JC Devèze 15 01 25
Ma critique du livre « Les temps nouveaux » (1)
Alors que la France ne cesserait de pleurer l’époque associée à la croissance et au progrès, un collectif de quatorze auteurs invite à rompre avec la nostalgie stérile des « Trente Glorieuses ». L’ambition du livre est de débloquer notre capacité à imaginer de nouvelles façons de vivre aujourd’hui pour honorer un présent créatif en inventant un récit à partager.
J’ai été déçu par le résultat proposé pour trois raisons. D’abord, même si de nombreuses contributions sont intéressantes, l’absence de conclusion du livre montre bien qu’il était impossible d’arriver à la présentation d’une vision commune en juxtaposant des écrits personnels sans un travail collectif ; si on comprend un peu mieux notre époque après la lecture, par contre, nous disposons juste des bribes de perspectives hétérogènes qui ne mobilisent pas une envie de penser et d’agir ensemble. Ensuite, l’obsession du directeur de l’ouvrage (2) de dire que c’était moins bien avant nuit à la crédibilité du message qu’il s’agit enfin d’oublier les trente glorieuses ; par exemple, il faut rappeler que, à cette époque, l’équipement ménager a libéré les femmes, l’ouvrier ou l’employé pouvait devenir cadre et la vie affective ne se limitait à « jouir sans esclaves » et sans entraves. Enfin l’absence d’une vision humaniste et géopolitique porteuse de sens (3) limite la portée de l’ouvrage.
Les diverses parties et contributions du livre sont d’intérêt inégal. A mon avis, la partie intitulée « Les illusions perdues » est la plus cohérente : elle dénonce à la fois « le bonheur par la consommation » et « la croissance infinie » et pose les questions des limites de notre planète et du rôle de la science et de la vérité pour rechercher des bases crédibles permettant de co construire notre futur commun. Par contre, la partie intitulée « Une certaine idée de la France » se contente de juxtaposer un appel à une nouvelle modernité agricole et des manifestations culturelles ouvertes à la diversité grâce à des mandataires nouveaux promouvant une culture pour tous. Quant au nouvel imaginaire politique, il prône de « Partager le pouvoir » en excluant tout homme providentiel et en s’appuyant sur une valorisation du travail de chaque personne, sur la mobilisation des mouvements sociaux et sur un futurisme éclairé.
Je regrette que l’imaginaire féministe, écologique, démocratique, progressiste qui est esquissé dans ce livre ne débouche pas sur l’invention collective d’un devenir désirable pour chacun et pour tous.
1/ Sous la direction de Vincent Martigny, Les Temps nouveaux, en finir avec la nostalgie des Trente Glorieuses (Seuil, 256 p., 21 €)
2/ Vincent Martigny a titré le chapitre d’introduction du livre « Le passé ne suffira pas », un passé qu’il décrit ainsi : “Un temps de la grandeur et des valeurs, celles d’une société patriarcale, où les immigrés travaillaient dans l’ombre, où la culture, l’art, le savoir, étaient considérés comme universels, incarnés par une élite intellectuelle essentiellement masculine, blanche et occidentale”.
3/ Raphaël Llorca propose une analyse stimulante de la nouvelle religion, addictive, du « bonheur par la consommation ». Pour lui, « Le salut de l’âme n’est plus dans l’au-delà, il est dans les choses », dans la jouissance permanente et la satisfaction de tous les désirs.