Rencontre avec Francesco Agnello
Avez-vous un « hang », un penchant, pour la musique ? Alors achetez une lentille.
Assez plaisanté, attirée par des sons inhabituels sortant de la chapelle attenante au Forum 104 à Paris, je me trouve face à Francesco Agnello tirant des sons doux et vibrants d’un instrument curieux que je pensais au premier regard venir d’un lointain désert de sables. Eh bien non, c’est un « hang », instrument de musique acoustique de la famille des idiophones – des percussions – inventé par deux Suisses, Félix Rohner et Sabina Schärer en l’an 2000. L’inspiration en est venu à Felix Rohner en entendant le son du « steel drum » originaire de Trinité-et-Tobago. L’instrument – en forme de lentille – est on ne peut plus simple – « c’est une structure sonore plutôt qu’un d’instrument – l’objectif initial était de trouver spontanément sa propre musique intérieure [avec] un outil créatif, méditatif et spirituel »
Francesco Agnello a bien voulu accepter une rencontre dans un bistrot parisien. En sirotant un café, il livre quelques bribes de sa vie. Né en Sicile, « je parle le « sicilianu » avec l’accent français » avoue-t-il en riant, sa famille est venue en France quand il avait 3 ans. Formation classique à la percussion au Conservatoire de Versailles, la suite s’écrit par des rencontres. L’une des plus importantes, au début de sa carrière, étant Peter Brook, dont la compagnie était longtemps en résidence au théâtre des Bouffes du Nord. Tournée mondiale et spectacles à Avignon ont suivi – Peter Brook ne donne guère de conseils, se souvient Francesco, mais pousse au développement personnel, au chemin intérieur, à l’abstraction de soi. D’autres rencontres l’ont enrichi, Ariane Mnouchkine, créatrice du Théâtre du Soleil, Eugenio Barba de l’Odin Teatret au Danemark, un des derniers grands maîtres occidentaux depuis le départ de Peter Brook, Miriam Goldschmidt actrice et autrice allemande qui, elle aussi, a travaillé avec Peter Brook.
Francesco aime apprendre, sa curiosité le pousse à regarder au loin, à se mettre en question. Avec son regard d’enfant, il tente de percer à jour le monde réel, « je ne suis pas du tout cartésien » ajoute-t-il, l’importance est l’écoute, la disponibilité à l’autre, à tout ce qui touche à l’humain. Il cherche à garder une âme libre, à trouver les mots pour le dire. C’est rare dans notre quotidien empli d’écrans qui incitent plutôt à une vie entre soi et soi. La musique joue un rôle important lors de ses rencontres pour s’ouvrir à l’autre, beaucoup d’autres. Sa liberté est le fruit de son voyage intérieur ; une rencontre rare.
Il écrit lui-même les partitions – c’est ce qui m’a le plus étonnée. Jouer de cet instrument consiste à le frapper, à frotter, à toucher doucement, j’en ai donc déduit que les sons étaient le fruit du hasard, de l’inspiration du moment. Que nenni, la preuve en est le trio qui se forme sur le podium avec Patricia Nagle, flûte basse et Lil Yly joueur de hang, venu du public. L’harmonie qui se dégage de leur jeu respectif est contagieuse.
Le public ce jour-là, bercé par la douceur des sons, formait une petite communauté, éphémère bien sûr, mais bien réelle, ses solitudes réunies se peuplant de souvenirs, de voyages, d’évasion. Moment paisible. Le son comme une promesse, la beauté pour élargir notre horizon, le plaisir de partager sans rien demander, juste être là, se laisser habiter par l’émotion du concert.
Monika Wonneberger-Sander
Mars 2025