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6L209: Du « Maître » au « Naître » : chemins vers la seconde naissance. Chronique de Bernard Ginisty

Du « Maître » au « Naître » : chemins vers la seconde naissance.

Chronique de Bernard Ginisty du 7 février 2025

Frère Roger, fondateur de la communauté œcuménique de Taizé, définissait ainsi le sens de son initiative : « Accueillir avec mes frères tant de jeunes à Taizé, c’est avant tout être pour eux des hommes d’écoute, jamais des maîtres spirituels. Qui s’érigerait en maître pourrait bien entrer dans cette prétention spirituelle qui est la mort de l’âme ». Il explicite ainsi ce respect du cheminement spirituel de chacun : « A tout âge, Dieu confie quelqu’un ou quelques-uns à écouter, à accompagner jusqu’aux sources du Dieu vivant. De telles sources sont de Dieu, personne ne peut les créer. Qui voudrait s’y employer n’amènerait pas à Dieu, mais à lui-même. Cette attitude a un pouvoir de confusion. Pour l’Évangile, il n’y a pas de maîtres spirituels » (1).

Le jésuite et philosophe Paul Valadier souligne, dans un livre d’entretien, que le danger actuel pour le Christianisme « viendrait plutôt d’une invasion du sentimentalisme, d’une pratique du fusionnel, tellement sensible dans les groupes fondamentalistes ou charismatiques»qui conduit « à une excessive domination des fondateurs ou des directeurs sur les adhérents. Il est sûr à cet égard qu’une valorisation excessive de l’obéissance religieuse laisse trop souvent démuni devant les volontés de puissance, ou tout simplement la bêtise des supérieurs » . Pour éviter ces dérives, Paul Valadier insiste sur la nécessité pour le chrétien, et plus généralement pour tout être humain, d’être capable de vivre dans une tension correspondant à la dualité de notre condition humaine au lieu de la fuir dans un fidéisme non critique ou un rationalisme plat : « La dualité est essentielle à la condition humaine et chrétienne, ne serait-ce que celle de l’homme et de la femme, tellement centrale dans toute société. Ces diverses dualités entre corps et esprit, nature et culture, raison et foi doivent être maintenues et voulues en tant que telles : toute disparition de l’un des termes aboutit à un écrasement de la richesse du réel » . Lorsque, à la fin de l’ouvrage, son interlocuteur lui demande de définir « la pointe du christianisme », Paul Valadier répond ceci : « De manière un peu abstraite, je dirais que le christianisme tient dans cette expression : jamais l’un sans l’autre. Jamais Dieu sans l’homme, jamais l’homme sans Dieu, en Christ d’abord, mais en chacun de nous ensuite, jamais l’homme sans la femme, jamais l’âme sans le corps, jamais le spirituel sans le temporel » (2).

L’errance du peuple d’Israël pendant quarante ans dans le désert constitue l’archétype d’un cheminement spirituel. Il n’a été viable, nous dit la Bible, que grâce à la « manne », un « pain du ciel » qui « pleuvait » chaque jour. La première fois que les fils d’Israël découvrirent ce phénomène « ils se dirent l’un à l’autre manne-hou (Qu’est-ce ?), car ils ne savaient pas ce que c’était » (3).Ils nommèrent alors cette nourriture par cette question ! Pour le rabbin et philosophe Marc-Alain Ouaknin, « pendant toute la traversée du désert, pendant quarante ans, les enfants d’Israël ont mangé du « qu’est-ce que c’est ? ». Expérience fondatrice où s’est forgé l’apprentissage de la liberté et de la parole. Être libre, c’est pouvoir garder de façon constante une distance par rapport au monde, ne pas être happé immédiatement dans la « toile d’araignée du sens » idéologiquement préfabriquée. Être libre, c’est garder une interrogation devant le monde et être capable de voir en lui, à chaque fois, l’aube qui recommence » (4).

Pour l’apôtre Paul, la Résurrection du Christ ouvre à « l’exode » permettant de passer « du vieil homme à l’homme nouveau ». Dans l’Épître aux Colossiens, il invite à se libérer des éléments constitutifs ce que Marc-Alain Ouaknin appelle « la toile d’araignée du sens idéologiquement préfabriquée ». Bien loin d’asséner sa « maîtrise spirituelle », il ouvre à chacun les chemins de sa liberté spirituelle en mettant en cause les prétentions totalisantes :

– des idéologies: « cette creuse duperie à l’enseigne de la tradition des hommes, des éléments du monde et non du Christ ».

– des abus de pouvoir : « Il a dépouillé les Autorités et les Pouvoirs, il les a publiquement livrés en spectacle, il les a traînés dans le cortège triomphal de la Croix ».

– des dévotions chimériques : « Ne vous laissez pas frustrer de la victoire par des gens qui se complaisent dans une dévotion, dans un culte des anges, ils se plongent dans leurs visions et leur intelligence les gonfle de chimères ».

– du ritualisme : « Pourquoi vous plier à des règles comme si votre vie dépendait encore du monde : ne prend pas, ne goûte pas, ne touche pas ; tout cela pour des choses qui se décomposent à l’usage (…) Voilà bien les commandements et les doctrines des hommes. Ils ont beau faire figure de sagesse, religion personnelle, dévotion, ascèse, ils sont dénués de toute valeur »

– des cupidités : « Faites donc mourir ce qui appartient à la terre : débauche, impureté, passions, désir mauvais et cette cupidité qui est une idolâtrie ».

– de l’enfermement dans les identités : « Il n’y a plus Grec et Juif, circoncis et incirconcis, barbare, Scythe, esclave, homme libre, mais Christ : il est tout en tous » (5).

Philosophe, théologien, psychothérapeute, prêtre catholique, Maurice Bellet n’a cessé dans toute son oeuvre d’inviter à des chemins de naissance : « La question est : est-ce que l’Evangile peut paraître comme Evangile, c’est à dire parole inaugurale qui ouvre l’espace de vie ? Le paradoxe est grand, parce que l’Evangile… c’est vieux ! Mais peut-être que le temps des choses capitales n’est pas régi par la chronologie ; peut être que la répétition peut être répétition de l’inouï comme, après tout, chaque naissance d’homme est une répétition banale – et, à chaque fois, inouïe » (6). Pour lui, « Ce n’est pas d’être vieux ou récent qui définit le neuf, c’est d’être naissant » (7).

(1) Frère ROGER, de Taizé (1915-2005): Aux côtés des plus pauvres, Presses de Taizé, 2017, pages 143 et 221.

(2) Paul VALADIER : L’intelligence de croire. Entretiens avec Marc Le Boucher, éditions Salvator, 2014, pages 49-50.

(3) Exode : 16,1

(4) Marc-Alain OUAKNIN : Méditations érotiques. Essai sur Emmanuel Levinas, éditions Balland, 1992, pages 69-70.

(5) Épître aux Colossiens : 2,8 à 3,11

(6) Maurice BELLET (1923-2018) : La quatrième hypothèse.Sur l’avenir du Christianisme, éditions Desclée de Brouwer, 2010, page 17

(7) Maurice BELLET : L’Épreuve, éditions Desclée de Brouwer 1988, page 96

A propos Régis Moreira

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