Un nouvel humanisme pour régénérer la démocratie
La démocratie a besoin de se recréer en permanence. Penser la barbarie c’est contribuer à régénérer l’humanisme. C’est donc lui résister.[3]
Questions évoquées dans la préparation
Suite au rapport d’orientation et aux échanges à cette occasion, il s’agit à la fois[4] :
– D’interroger cette notion de crise de la démocratie : y a-t-il vraiment crise de la démocratie ; la notion de crise n’est-elle pas consubstantielle de la démocratie ? quels en sont les symptômes ? Comment expliquer la montée des démocratures ? quelle responsabilité du (néo)libéralisme antidémocratique ? qu’est-ce que la situation actuelle a de nouveau : complexité, nouveaux défis versus évolution des questions historiques (question sociale, question agraire, question de la guerre, etc…), gestion des transitions ? question du poids du numérique et des réseaux sociaux, rôle des médias, etc…
– D’explorer les différentes pistes pour améliorer la démocratie, notamment sa dimension dialogique : démocratie participative, démocratie locale, articulation avec la dimension régionale, nationale et européenne ; éducation à la citoyenneté et à la démocratie, rôle des corps intermédiaires, et des parties prenantes, de la démocratie économique (dans les entreprises) et de la démocratie sociale, dimension institutionnelle (constitution), problème de la gestion des communs, quel information pour quelle démocratie ? Comment répondre aux questions des plus jeunes ? Quid de la fonction représentative, ses exigences et ses limites ?
– Comment lever les obstacles à la constitution d’un monde commun : ostracismes, recherche de boucs émissaires, réticence au compromis, wokisme simplificateur avec, comme causes, l’intolérance à la complexité et le refus du débat faute de capacité à le soutenir… ce que requiert la pratique d’une éthique du débat
– Quels outils pour retrouver les conditions de la confiance et la constitution d’un monde commun : la fonction éducative, la démocratie sociale et les acteurs sociaux, démocratie participative (cahiers de doléances, conférence sur l’avenir de l’Europe, consultations organisées par la Commission européenne, conventions citoyennes sur la fin de vie, sur le climat, …) et les possibilités de faire prendre en considération sa propre réalité, …
– De réfléchir aux moyens de réenchanter la démocratie : quelles inspirations éthiques et spirituelles ? quels repères humanistes, convivialistes et républicains (liberté, égalité, fraternité) et leurs prolongements (solidarité, laïcité) ? Comment les exprimer concrètement (les incarner) dans nos pratiques ? Comment peuvent-elles inspirer davantage l’éthique de la responsabilité ? Comment développer une éthique du dialogue qui ne soit pas une morale de bisounours et assume les conflits et disputes sans tomber dans l’hystérisation des débats ? etc….
Les trois temps de notre réflexion
Il s’agit à la fois de conjuguer une approche collective, politique et sociologique, avec une approche personnelle, ou personnaliste, renvoyant chacune et chacun à ses propres responsabilités et ce dans une visée intégrant les fondements anthropologiques de l’aspiration à la démocratie en tension entre la violence des relations entre les homo sapiens et le souci de coopération, “l’autre loi de la jungle”.
Conformément aux travaux préparatoires il est proposé d’organiser notre réflexion sur l’année qui vient autour de trois temps.
- La démocratie rupture anthropologique
1.1. La démocratie face aux nouveaux défis anthropologiques
Conditions de la démocratie : existence d’un « monde commun » ou d’un « système de sens » commun. Difficultés et obstacles au partage d’un « monde commun » : contraintes de temps, complexité du réel, diversité des histoires personnelles… Que partageons-nous déjà et qu’est-ce qui fait que nous soyons capables de coopérer ? Quelles ressources et quelles possibilités pour la constitution d’un « monde commun » ?
Penser le changement culturel global : individualisme, complexité, rythme des changements, obsolescence des savoirs et des moyens de comprendre la situation. L’individu est perpétuellement déçu dans ses attentes, car il est dans une logique d’hubris, d’accroissement sans fin de ses désirs, sans cesse réactivés, se condamnant à ne jamais les voir assouvis. Besoin d’ancrage en soi-même, de permanence, de résonance pour tenir dans l’accélération du changement. Plus l’individu s’investit, plus l’horizon de ses perceptions s’éloigne et s’enrichit. A l’inverse, il est dans l’insatisfaction, la recherche d’un coupable, d’un bouc émissaire ou l’agressivité de la critique.
1.2. Le commun spirituel comme outil
Retour sur l’intuition de D&S : la spiritualité, une dimension anthropologique de l’humanité, pas de démocratie sans spiritualité incarnée. Or la spiritualité n’est pas « dite », ne s’exprime pas, n’est pas travaillée, ou alors uniquement sur un mode religieux qui devient minoritaire et ne dialogue pas, ou pas assez, voire s’opposent[5]. La démocratie a échoué à produire du sacré.
Vivons-nous et depuis quand (la Renaissance ?) un nouvel âge axial[6], autour de la notion d’humanisme ? La fraternité à laquelle il conduit trouve-t-elle son fondement dans un « commun spirituel » qui transcende les différentes « spiritualités incarnées » (notamment les religions) ?
- Les voies (et voix) du dialogue et de la délibération démocratique
La démocratie ne repose pas uniquement sur le vote et l’élection, technique de décision collective, mais d’abord sur la délibération. Quelles que soient les formes qu’elle peut prendre (démocratie directe, représentative, sociale, participative, etc …), elle suppose d’abord engagement citoyen et écoute et nécessite une éthique de la responsabilité, notamment politique, qui respecte les valeurs de la démocratie.
2.1. Engagement
Il n’y a pas de démocratie possible sans citoyens engagés qui soient aussi des individus construits pour cela. C’est l’engagement des personnes qui fait vivre la démocratie. Quels sont aujourd’hui les ressorts de l’engagement ? Y a-t-il une crise de l’engagement notamment chez les jeunes ou le développement de nouvelles formes d’engagement ?
2.2. Ecoute
Qu’est-ce qui se passe dans la tête de nos concitoyens ? Qu’est-ce qui conduit près de 4 français sur 10 à voter pour l’extrême droite ? Au-delà des sondages, notre démocratie est-elle suffisamment à l’écoute des citoyens ?
2.3. Délibération
Avant toute chose la démocratie c’est la délibération collective qui suppose organisation et dispositifs. En amont de ces dispositifs, comment redonner du sens à la délibération, au dialogue démocratique ?
2.4. Exercice des responsabilités et du pouvoir
Le groupe « Responsabilité et pouvoir » a depuis quatre ans engagé un travail important sur ce sujet (au moins dans la sphère politique) débouchant sur un livre à paraître (« Logique de pouvoir et éthique) sur lequel on peut s’appuyer pour développer la question de l’éthique des responsabilités démocratiques.
- Un nouvel humanisme pour redonner des raisons d’espérer dans la démocratie
Retravailler la question du nouvel humanisme que nous avons développée dans les deux premiers ouvrages de la collection : « Des raisons d’espérer » et « Dialoguer avec la Terre ». Pour répondre aux défis du monde contemporain, et en l’espèce au nouveau défi démocratique.
3.1. Quelle vision du monde, quelle « doctrine » peut inspirer ce « nouvel humanisme » ?
Les systèmes d’espérance (christianisme, marxisme, notamment) se sont effondrés où ont été dévoyés (communisme « réel », nationalisme, islamisme, par exemple). La Charte a été écrite face à ces évolutions. Ne manque-t-il pas une (des) doctrine(s), ou au moins une (des) vision(s) du monde sur lequel doit aussi s’exercer la délibération démocratique.
3.2. Relire la Charte à la lumière de nos réflexions.
Ce serait un débouché de nos travaux que de proposer une relecture (actualisation) de la Charte.
A suivre ….
Une suggestion que nous n’avons pas eu le temps d’approfondir : interroger les partis politiques, notamment à partir de la synthèse de nos quatre livres.
[1] Michel Ray a représenté D&S à ses obsèques, et un contact a été pris avec son épouse de façon à garder le contact avec la famille.
[2] Voir les quatre engagements de la Charte.
[3] Edgar Morin “Culture et barbarie européennes”, Bayard, 2005
[4] Ces orientations générales n’ont pas été modifiées par rapport à la note précédente
[5] Voir Laïcité et spiritualité.