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4L203: Des cultures religieuses, spirituelles et laïques face aux intégrismes par Jean Claude Devèze

Des cultures religieuses, spirituelles et laïques face aux intégrismes

« Nul ne possède la vérité, chacun la recherche. »   Mgr Claverie

 

Les religions ont marqué l’histoire pour le meilleur comme pour le pire. Ainsi, les processus de conversion forcée et les guerres de religions ont laissé des traces sombres dans les mémoires. Actuellement, les menaces viennent à la fois de la récupération de la religiosité populaire par des leaders populistes et de la prolifération des intégrismes religieux, à l’exemple des dérives liées à un islamisme palestinien et à un judaïsme israélien conquérants, à un hindouisme antimusulman, à un bouddhisme antirohingyas, à des églises évangéliques communautaristes soutenant des populistes autoritaires, etc. Ma thèse est que seules des cultures religieuses basées sur une vie spirituelle authentique et sur l’amour du prochain peuvent continuer à alimenter pour le meilleur nos cultures sociales, économiques, écologiques et politiques et à contribuer à trouver des voies pour édifier le bien commun.

Un besoin de religion et de spiritualité s’exprime un peu partout dans le monde depuis la nuit des temps. Ceci conduit à reconnaître que les civilisations ont des difficultés à se passer de rites et de symboles comme de fondements spirituels. Par contre, la montée d’un rationalisme critique comme les crises de transmission de la foi ont contribué à remettre en cause la religion, en particulier de la foi chrétienne en Occident.

Dans chaque religion, des spiritualités nourrissent la vie des croyants en quête de ce qui donne sens à leur vie. Pour le christianisme, citons trois de ses spiritualités éminentes, celles de St Augustin qui a privilégié l’unité et le désir, de St François d’Assise qui a prôné émerveillement, humilité et sobriété, celle de St Ignace de Loyola qui a promu le discernement et associé consolation et action. Pour l’islam, le soufisme est porteur d’une spiritualité qui cherche à créer un lien intime entre l’âme immortelle et le divin,  l’entreprise d’une vie étant de prendre soin de notre âme qui doit absorber lumière et vérité avant de poursuivre sa route. Des spiritualités enrichissent aussi d’autres traditions religieuses, à l’exemple du zen et l’hindouisme qui influencent des chrétiens. Il existe enfin d’autres courants reliés à l’invisible comme le chamanisme ou cultivant une symbolique propre comme la franc-maçonnerie.

Les Français seraient dans une phase paradoxale, avec à la fois un besoin d’avoir des croyances, par exemple pour répondre à la question de ce qui se passe après la mort, et un désir de désaffiliation par rapport à des appartenances religieuses.  En lien avec les longs affrontements passés autour du rôle de l’Église catholique et aux interrogations actuelles sur la place de l’islam, il s’est installé en France une certaine religiophobie ; la moitié des français seraient pour que la religion joue un  moins grand rôle.

En France, trop de responsables politiques ont longtemps cru à une inscription sans problèmes de l’ensemble des musulmans dans la République, mais la montée des influences des courants fondamentalistes,  comme le salafisme et le « frérisme », et la ghettoïsation de certains quartiers, ont remis en cause cette vision idéaliste. Après les catholiques, ce sont maintenant de nombreux musulmans en France qui ont du mal à séparer le pouvoir politique du pouvoir religieux. L’affaiblissement de l’idéal républicain et la montée du nihilisme constituent un terreau fertile des communautarismes, en particulier celui lié à un islamisme conquérant. La majorité des musulmans sont encore partie prenante de notre démocratie laïque, mais restent souvent timides dans l’expression de leur soutien à ce bien commun. Quant aux élites intellectuelles musulmanes qui œuvrent pour promouvoir un islam ouvert et accompagnent l’intégration des croyants dans la société, elles ont du mal à unir leurs efforts et à se faire entendre. Il ne faut donc pas fuir la délicate question des rapports entre religion et politique dans le cas de l’islam, question qui se pose différemment selon les pays.

Une certaine désaffection vis-à-vis du religieux a conduit à un report de la recherche de sens sur le spirituel ; ceci a été perçu par des observateurs comme Frédéric Lenoir et par des poètes comme Christian Bobin. Un des avantages de notre époque en recherche, c’est qu’elle suscite en beaucoup d’entre nous le besoin de raviver une énergie spirituelle et de fortifier l’âme. Entre piétisme ou fondamentalisme religieux et insensibilité au transcendant, il semble se chercher une voie spirituelle, religieuse ou non, cultivant une poétique et une mystique.

Dans un contexte de sécularisation de nos sociétés, la culture laïque doit rester une culture séculière ouverte à la diversité des convictions ; elle est au centre d’interactions multiples non seulement entre le politique et le religieux, mais aussi entre la religion et l’éducation. De même, les religions à vocation universelle se doivent d’être indépendantes de toutes civilisations et de toutes nations ; c’est le cas du christianisme, le pape François rappelant que « le christianisme ne dispose pas d’un seul modèle culturel » et que « le message révélé ne s’assimile à aucune culture ».

Alors que la question permanente de la place des religions se pose dans toutes les sociétés, il est important de se référer au compromis laïque sur lequel il faut sans cesse veiller. La laïcité est en effet un principe juridico-politique défini par l’État de droit pour permettre de gérer ses rapports et ceux des citoyens avec les religions. Un premier obstacle est souvent la superposition et la complexité des textes juridiques. Une autre difficulté est, en miroir de l’intégrisme religieux, une dérive intégriste de cultures laïques liées à des courants philosophiques qui font de la critique du religieux un dogme auquel toute la société devrait se plier.

Dans le cadre d’une société séculière favorisant le respect et l’expression apaisée de nos diverses convictions, approfondir nos cultures religieuses, spirituelles et laïques comme source de sens, de fraternité et d’humanité doit contribuer à lutter contre tous les intégrismes et à penser de façon ouverte l’avenir du reste du monde.

Extraits du Chapitre 6 du livre de Jean-Claude Devèze « Vers une civilisation-monde alliant culture, spiritualité et politique » (Chronique sociale, 2020).

A propos Régis Moreira

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