Surmonter la déprime spirituelle française
Yvon Rastetter
Préambule politique
L’attente d’un renouveau politique qui s’est exprimé en 2017 s’est soldée par une désillusion qui vient après une longue suite, où l’on peut situer parmi les plus marquantes celle suivant les espoirs de 1981, ceux de 1968, etc.
Les trente glorieuses n’ont pas été seulement économiques mais aussi, d’une certaine façon, spirituelles, venant conclure la grande stimulation induite par l’affrontement des deux Frances qui commence au 19ème siècle, dans la suite du grand mouvement de la Révolution.
Ce grand conflit a disparu ; il laisse un vide spirituel déprimant qui contraste avec l’enthousiasme de mai 68, lequel secouait l’autoritarisme paternaliste devenu insupportable aux générations d’après-guerre.
Le grand rêve de l’autogestion ne s’est pas concrétisé politiquement.
Les organismes de sondage, les analystes politiques constatent le retour du besoin d’autorité, de sécurité sur fond d’identité fantasmatiquement menacée parce que les fondements politiques s’effritent. La grandeur de la France laisse place à une nostalgie entretenant cette déprime avec l’image d’un pays menacé, rabougris, la France moisie évoquée naguère par un brillant intellectuel.
Cette déprime est malheureusement en phase avec celle d’autres pays européens, de plus en plus séduits par la tentation de la démocrature, pente fatale vers laquelle un nombre croissant de concitoyens semble glisser pour les prochaines échéances électorales, espérant le sursaut
de l’autorité restaurée, avec un pouvoir à poigne censé débarrasser la France des indésirables et recréer un cocon protecteur.
La déprime des autorités spirituelles
La République est vécue dans beaucoup de pays comme la seule structure politique raisonnable, suite aux faillites de nombreuses monarchies.
Elle est parée en France d’une aura spirituelle, fruit d’un passé glorieux, qui se manifeste actuellement par des invocations pesantes et répétées du personnel politique. Ces invocations ne sont pas le signe d’une vitalité constamment renouvelée mais d’un risque de perte d’autant plus inquiétant qu’il n’est étayé par un raisonnement politique traçant des pistes à suivre ; d’où les déplorations rabachées sur la perte de sens, des valeurs, etc.
Le grand espoir mis par le Concile pour apporter une espérance spirituelle à un monde sécularisé, et mettre en œuvre un dialogue fructueux avec d’autres courants spirituels hors de la croyance, a été entravé dès le départ par une condamnation (monitum) qui est passée inaperçue médiatiquement, celle de l’œuvre de Teilhard de Chardin.
Elle aurait dû donner lieu à un travail théologique en profondeur visant à une résolution positive de ce qui est toujours perçu comme un conflit entre la science et la foi1. Sa réhabilitation est repoussée et le sera sans doute éternellement, si l’on peut dire…
L’obsession anticommuniste a donné lieu dans le passé à des fautes relatives au nazisme. L’effondrement du communisme a été attribué à tort à la résistance spirituelle du catholicisme ; le système s’est effondré de l’intérieur. On assiste malheureusement à une renaissance de l’autoritarisme avec la bénédiction de l’orthodoxie et la condamnation de l’Occident diabolique !
En Amérique latine l’espoir de la théologie de la libération a été bousillé par cette obsession anticommuniste ; le résultat est que l’évangélisme2 taille des croupières à l’église catholique, particulièrement au Brésil, mais potentiellement ailleurs, par exemple en Afrique. Fort heureusement ce mouvement semble avoir peu de prise en France, sauf auprès de certains africains3.
Pour peu que l’on s’y intéresse, on constate une grande souffrance du personnel ecclésiastique. Peu de ses membres sont capables de l’athlétisme spirituel imposé par la sacralisation de la fonction issue de la Réforme.
Les reproches actuels concernant par exemple la pédophilie accablent encore plus l’institution. Ces pratiques ne sont pas récentes, contrairement à ce qui est couramment affirmé. De façon positive ils manifestent une plus grande exigence spirituelle de la part d’une population débarrassée de la peur du péché et de la damnation4 .
Il n’est pas exagéré de parler de perversion spirituelle induite par l’institution5.
Manifestation d’espérances spirituelles non satisfaites
L’incendie de Notre Dame en est une des manifestations emblématiques. La déploration s’est emparée de la majorité de nos concitoyens pour la plupart détachés de la pratique, sinon de la foi. Elle a plus à voir avec le glissement du cultuel vers le culturel, couramment analysé par des sociologues.
La nostalgie du passé se manifeste par l’obsession de la restauration à l’identique, crainte d’une sorte d’amnésie spirituelle, de la perte des traditions.
Le choix d’une charpente métallique, comme celle de la reconstruction des cathédrales de Chartres et de Reims, n’a pas été fait. Mais celles-ci ont été effectuées à l’époque ou l’hégémonie spirituelle de l’Église catholique permettait ces innovations compatibles avec la modernité.
Cette nostalgie est bien en phase, si l’on peut dire, avec les déplorations6 horripilantes sur la perte de la spiritualité ; elle traduit bien cette incapacité actuelle à faire vivre toute la richesse spirituelle et philosophique qui s’est développée dans la modernité se détachant de l’hégémonie et de l’emprise spirituelle de l’église catholique.
Il semble pertinent de s’inspirer de la pensée de Spinoza qui a dénoncé les passions tristes empêchant la puissance d’agir. On peut considérer que son traité théologico-politique est une des contributions qui favorisa l’émergence de la laïcité.
Le renouveau ambigu de la laïcité
Pendant les années succédant au concile, les conflits sur la laïcité se sont atténués. L’émergence d’Islam à tendance salafiste dans le paysage français a eu un effet positif de réactivation de la mise à distance de la politique par rapport au religieux, mais aussi un aspect négatif d’un Islam perçu comme foncièrement hostile et incompatible avec la laïcité. Les mouvements identitaires hostiles aux musulmans se sont opportunément convertis à la laïcité qu’ils réprouvaient auparavant pour en faire un élément de l’identité française.
Il devient donc indispensable de travailler à un approfondissement des rapports entre laïcité et spiritualité qui suppose encore une fois un dialogue non seulement interconvictionnel mais entre les instances spirituelles croyantes et non-croyantes.
L’innovation spirituelle indispensable pour surmonter la déprime
La démarche philosophique personnelle d’un Teilhard est un bon guide pour cette innovation spirituelle ; le fait qu’elle ait été entravée par son institution concerne aussi l’ensemble de la société. Nous n’avons pas tiré toutes les conséquences de la mise en évidence du processus d’hominisation qui nous éloigne de toutes les conceptions des origines des différentes sociétés humaines par le passé.
Il convient de repenser à l’aune des connaissances scientifiques nos conceptions des sociétés humaines et de leur évolution ; c’est particulièrement vrai pour les sciences humaines et sociales. La carence de leur prise en compte dans le processus de numérisation accélérée de nos sociétés est symptomatique de ce manque.
Ce sont précisément ces difficultés affectant notre vie quotidienne qui nous amènent à faire preuve de puissance d’agir alors que nous sommes entravés par les passions tristes de la ‘perte de’, passions particulièrement prégnantes dans une société française qui fantasme sur son passé glorieux.
C’est donc une tâche éminemment spirituelle qu’il convient d’accomplir : tâche pour laquelle les référents spirituels traditionnels n’offrent guère de secours, sinon dans la rénovation du modèle républicain d’instruction qui intègre et assimile les composants nécessaires à cette modernisation accélérée.
- Cette transformation théologique est sans doute impossible du fait de sa prétention à l’hégémonie spirituelle ; mais ce sujet n’est pas abordé dans ce texte qui ‘brasse’ déjà beaucoup, peut-être trop !
- L’évangélisme devrait faire partie d’une étude approfondie de sa ‘spiritualité’ dans le cadre de D&S.
- C’est plutôt l’intégrisme qui menace l’église dans son effondrement de l’intérieur marqué de plus en plus politiquement à droite…autre vaste sujet à traiter.
- Voir La pastorale de la peur de Jean Delumeau https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2010-3-page-145.htm
- Beaucoup d’expressions se manifestent sur la Toile concernant l’influence néfaste de l’institution du Péché Originel par Saint Augustin, la haine de la chair,etc…
- J’emploie ce terme religieux à dessin !