Un été avec Jankélévitch
Cynthia Fleury – Ed. Équateur France Inter ; Collection parallèles ; 2023
Ce texte, s’il fait partie d’une série d’émissions sur France Inter, s’insère dans la collection « Un été avec », un dialogue d’auteurs contemporains avec leurs écrivains, poètes ou philosophes favoris ; cela va de Homer à Colette, de Machiavel à Rimbaud ; de quoi passer un bel été.
Jankélévitch (1903-1985) naît de parents russes ashkénazes, naturalisé français à l’âge d’un an. Il est le philosophe du temps, de l’instant, ce battement du cœur, dit la 4e de couverture. C’est aussi un grand résistant, un homme engagé.
Cynthia Fleury, (une des quatre laïcs avec Dominique Quinio, Abdennour Bidar et Marion Muller-Colard à représenter les plus importants courants religieux au sein du Comité Consultatif National d’éthique pour les sciences de la vie et la santé (CCNE), où les autorités religieuses ne disposent plus d’aucun siège) évoque les thèmes favoris de Jankélévitch, l’amour, la musique, l’engagement dans l’Histoire.
Comprendre c’est faire, créer – et surtout vouloir, avec courage, ce courage est en nous, c’est ça le mystère, c’est le lien avec je ne sais quoi, dont Cynthia Fleury dit qu’il s’agit de la conscience aiguë des choses, elle est inexprimable car la dire la ferait disparaître. Ce n’est pas vouloir la toute-puissance, non, derrière le courage de vouloir il y a un élan vital, quelque chose qui s’allume en nous, une conscience, l’autre nom de la liberté (p. 157). Magnifique.
Je suis personnellement très touchée par les pages sur le pardon, l’impossible pardon pour lui qui a souffert des persécutions nazi et ne peut faire taire son cri devant l’horreur des camps. Aucun de ses « collègues » philosophes allemands ne lui a jamais écrit la moindre lettre exprimant sa honte devant les faits accomplis. Ils ont continué leur vie après ce désastre comme avant, fait irréparable pour Jankélévitch. Il trouvera un certain apaisement grâce à la rencontre avec Wiard Raveling, né en 1939, donc non responsable des crimes commis, qui, dans une lettre, évoque cette « nuit de l’humanité » dont il parle à ses élèves, à ses enfants. Une rencontre à Paris leur permet d’échanger autour de cette horreur qui finalement échappe à toute compréhension et sur laquelle il semble impossible d’apposer un nom.
Jankélévitch est conscient du pouvoir absolu du mal – pour lui l’antidote est l’amour, ce qu’il appelle l’infini de l’amour, seul capable de faire face – et à faire naître l’espoir.
L’Histoire, elle, enregistre, constate de quoi l’homme est capable, hier aujourd’hui et demain, et doit être le garant des droits de l’homme, aujourd’hui comme hier pour construire demain. Avancer, par de nouvelles découvertes, sur la route héritée, disait Kundera. Mais avec humilité, en évitant la pensée unique.
Mais, bien entendu, le livre parle aussi d’amitié, de fidélité, de justice, de beauté, de musique et de joie de vivre. Précieux textes à découvrir lentement pour goûter les mots, se laisser habiter par les émotions qu’il suscite. Beau compagnon pour l’été.
Monika Wonneberger-Sander, juillet 2023
1 France Culture 7.2.80