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Éditorial L199: De quoi les émeutes sont-elles le signe ? par Daniel Lenoir

« Nous vivons un temps d’Apocalypse » affirmait notre rapport moral il y a deux ans. Non pas au sens de la fin des temps ou même de la fin du monde – encore que ! … peut-être au moins la fin d’un monde -, mais au sens étymologique de « révélation ». Après les attentats djihadistes, la crise des gilets jaunes, le covid et son cortège de confinements, les événements climatiques, canicules, sécheresses, orages ou grêles, la guerre en Ukraine et le spectre d’un nouveau conflit mondial, le conflit sur les retraites et son point d’orgue en forme de concerts de casseroles … Les émeutes qui ont suivi l’homicide du jeune Nahel Merzouc par un policier viennent ajouter une nouvelle plaie à notre royaume d’Egypte national.

En ce jour anniversaire de la fête de la fédération et de son utopie d’unité nationale, notre pharaon républicain, souvent si prompt à vouloir siffler la fin de la partie, saura-t-il méditer ce nouveau signe des temps ? Tel n’est pas l’objet de cet édito. Car cette question s’adresse d’abord à chacun d’entre nous.

Nous reprenons dans le dossier du mois de ce numéro plusieurs déclarations qui appellent à une compréhension réciproque pour sortir de la logique archaïque du mécanisme du bouc émissaire et de l’illusoire réconciliation sur le sacrifice d’une victime expiatoire. Certaines, comme celle du Pacte civique, s’essaient également à esquisser des pistes de solution.

Mais, au-delà de ces nécessaires réactions à chaud qui visent d’abord à « calmer le jeu », il nous reste aussi à essayer de comprendre ce qui s’est passé, à comprendre les mécanismes qui ont conduit à un tel déchaînement de violence.  Et dans ce domaine chacun y va de ses explications, et des remèdes souvent à l’emporte-pièce qui en découlent : les violences policières, un racisme systémique ou endémique, l’abandon des ambitions du plan Borloo pour les banlieues et un investissement social qui n’a pas suivi l’investissement dans la rénovation urbaine, les parents défaillants, mais aussi les effets d’une monoparentalité, essentiellement des maman solo, devenue une des principales sources de la précarité aujourd’hui, l’ensauvagement ou la décivilisation d’une partie de la jeunesse, ou au contraire le retour du refoulé post-colonial, ou, plus refoulé encore, de notre passé esclavagiste, l’échec de la politique d’intégration d’une partie de la population d’origine immigrée, voire pour certains sa non assimilation, son rejet de la nationalité qui est la leur, les effets rebonds des blessures passées pour la deuxième ou plutôt la troisième, voire la quatrième, génération, la disparition de la police de proximité, une réponse pénale insuffisante, ou au contraire exclusivement pénitentiaire avec ses effets favorables à la délinquance ou à la récidive, les effets délétères d’une économie souterraine basée sur le trafic de drogue, …..

Cette liste n’est évidemment pas exhaustive et chacune des ces explications comprend surement une part de vérité, mais ne fait pas pour autant une vérité systémique ; et surtout ne suffit pas pour expliquer un embrasement qui a fini par tourner à une forme d’automutilation des quartiers par les plus jeunes de leurs habitants ; reprenant en quelque sorte cette maxime attribuée à Marguerite de Cortone « Je désire blesser ce corps que désormais j’abomine »(2).

 

Tout cela n’excuse en rien ni les exactions dans les banlieues, ni moins encore la « bavure » policière pour une fois visible aux yeux de tous qui en est à l’origine, mais renvoie chacun d’entre nous à cette question essentielle portée par les spiritualités depuis la nuit des temps : « Qu’as-tu fait de ton frère ? ».

Daniel Lenoir

Le 14 juillet 2023

2/  Citée par Robert Neuburger « Automutilation. Quelques généralités sur un nouveau symptôme » Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 2006.

A propos Régis Moreira

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