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7L192 : Le savant et le politique pour Jojo

Pour Jojo, la praline, le savant et le politique

Lors de l’un de mes derniers séjours à Marseille (il y a longtemps, en 2019 avant le connard de virus), tu as affirmé que la sociologie était une science. C’est une question compliquée. Durkheim (XIX° siècle) voulait que la sociologie soit reconnue comme une science dont les résultats soient aussi incontestables que ceux des sciences naturelles (biologie, physique, chimie,…), c’est-à-dire sans que puissent intervenir dans l’énoncé des faits aucun jugement de valeur. A ce propos il citait les crimes. Il existe des crimes dans toutes les sociétés. Et à quoi reconnaît-on les crimes ? Au fait qu’ils soient immoraux ? Dans la vie ordinaire, oui : c’est mal de tuer, c’est mal de voler, etc. Mais si l’on veut les étudier comme des faits scientifiques il ne faut pas faire intervenir des jugements de valeur. Ainsi, pour Durkheim on peut constater que toutes les sociétés humaines identifient le concept de crimes mais que ces crimes varient d’une société à l’autre. Alors comment reconnaître ce qui est considéré comme un crime ? Est crime pour la sociologie, ce qui est sanctionné. Donc pas de jugement de valeur.
Les sanctions ? Des amendes, de la prison, ou des coups….
Mais si je t’envoie cette petite note, c’est aussi parce qu’en seconde, tu dois choisir ton orientation et que j’ai acheté pour toi un livre que j’adore : Le savant et le politique de Max Weber (1864 > 1920). Cela correspond au choix que tu as à faire : la voie scientifique ou une voie plus politique en t’engageant à l’école des sciences politiques : Le savant ou le politique ?
Max Weber, comme Emile Durkheim, est un des pères fondateurs de la sociologie. Le Savant et le Politique est un recueil de deux conférences prononcée en 1919 qui porte « le métier et la vocation de « savant » et de « politique ». 1919, ces 2 conférences ont donc été prononcées juste après la deuxième guerre mondiale, une période de désenchantement par rapport à toutes les espérances des scientifiques du XIX° siècle qui croyaient que le progrès social irait de pair avec le progrès technique. C’est sans doute pour cela que la lecture de ce petit texte est tellement moderne et qu’il est si souvent cité dans les débats politiques.

Qu’est-ce que la vocation scientifique ? Qu’est-ce un savant ?
Max Weber est un pragmatique. C’est un universitaire et il décrit le monde des savants tel qu’il l’observe autour de lui dans son université. Il en conclut que tout jeune homme qui croit avoir la vocation scientifique doit se rendre compte que la tâche qui l’attend présente un double visage : il doit posséder non seulement les qualifications du savant, mais aussi celles du professeur. Ainsi, David, ton oncle, est un enseignant chercheur. Téléphone-lui ! Il partage son temps entre l’enseignement à de jeunes étudiants et la recherche dans son laboratoire. Or ce n’est pas le même métier. On peut être un très bon enseignant et un piètre chercheur. Ou l’inverse. Un excellent chercheur tout en ne sachant pas enseigner. Je suis persuadée que David est à la fois un excellent chercheur scientifique et un bon professeur mais il faut se rendre compte que le temps passé à l’enseignement diminue son temps consacré à la recherche d’autant qu’il lui faut aussi trouver de l’argent pour financer ses recherches, ce qui n’était sans doute pas le cas du temps de Weber. Et toi qui semble te diriger vers un métier scientifique, auras-tu envie d’enseigner ? Est-ce l’activité de recherche qui t’attire ?

Ensuite, Max Weber s’adressant à des étudiants, leur dit que quand on s’engage vers un métier scientifique, on aura à se spécialiser sur un sujet très précis. Cela peut être frustrant. On n’en est plus à l’âge de Léonard de Vinci (XVème siècle) qui était à la fois peintre, scientifique, inventeur, sculpteur, architecte, urbaniste, musicien, philosophe et écrivain et j’en passe. Le monde est devenu tellement complexe que c’est fini cette époque des hommes universels, même pour les plus intelligents. On en sait de plus en plus sur de moins en moins ! Cette rationalisation intellectuelle ne signifie pas que nous connaissions le monde mieux qu’un indien d’Amérique avant l’invasion de leur continent. Celui-ci connaissait parfaitement ses outils. Il savait comment se procurer de quoi manger et il était en mesure d’interpréter le vent et les nuages pour savoir quel sera le temps le lendemain. On dit souvent que les indiens d’Amérique étaient en harmonie avec la nature. Tandis que nous qui utilisons par exemple un tramway pour se déplacer, nous n’avons aucune idée du mécanisme qui le fait avancer, à moins d’être un ingénieur en génie mécanique.
En plus, la science moderne est en devenir, c’est-à-dire que le progrès constant des sciences fait que le travail n’est jamais fini. Les résultats auxquels les chercheurs arrivent sont vite périmés car les chercheurs sont en perpétuel questionnement. Ils avancent pas à pas par expérimentations successives ce qui veut dire qu’ils cherchent à établir des relations de causalité de manière rationnelle en éliminant tout jugement de valeur.
Quoiqu’en disent Durkheim et Weber, je pense qu’il faut quand même faire une distinction entre les sciences « dures » (mathématiques, physiques, etc.) et les sciences humaines et politiques sur le plan de la stricte neutralité ou de l’objectivité. C’est plus difficile d’être totalement neutre sur les questions sociales que sur des équations mathématiques.
Le « savant », comme dirait Weber, doit expliquer sa méthode. Ce passage par une rationalité explicite participe au désenchantement du monde caractéristique de la modernité. La pensée scientifique exclut la pensée magique. Elle contribue à détruire les mythes et croyances religieuses qui structurent les représentations symboliques et les conduites sociales d’une société. Elle donne sans doute l’illusion que nous pouvons maîtriser toute chose par la prévision. L’épisode Coronavirus est bien la preuve que c’est une illusion.
Malgré leur rationalité, les sciences modernes ne peuvent répondre à certaines questions élémentaires de l’existence humaine. La science ne répond pas à la question du sens de la vie, elle ne répond pas aux questions que posent la mort ou la souffrance. Conscient de ces limites, Max Weber rappelle à ce propos que les croyances et pratiques religieuses ne disparaîtront pas, justement parce qu’elles cherchent, elles, à répondre à la question du sens de la vie même si elles ont perdu le rôle structurant des représentations symboliques et des conduites sociales qu’elles avaient autrefois.
D’ailleurs, les progrès vertigineux des sciences de la vie (par exemple dans le domaine de la procréation médicale assistée) font tellement peur qu’il a paru nécessaire de faire des lois pour empêcher leur progrès (arrêt des expérimentations sur le clonage) et un collège de sages (le comité consultatif national d’éthique) pour les contrôler. Ce fut aussi l’histoire de la bombe atomique : une belle découverte qui a tourné à la catastrophe. Il faut distinguer la science qui permet de comprendre les phénomènes et l’usage que l’on en fait qui nécessite des choix basés sur une réflexion éthique et des valeurs. Ainsi, il faut aussi s’inquiéter du développement foudroyant de l’informatique dans nos vies. Le simple fait qu’on puisse nous pister dans tous nos déplacements est inquiétant pour nos libertés et le serait encore plus si nous étions dans un régime dictatorial. La maîtrise du monde a ses revers. Il y a aujourd’hui dans l’histoire de la science une sorte de pacte avec le diable comme l’histoire de Faust.
L’écologie en tant que « science des milieux où vivent les êtres vivants, ainsi que des rapports de ces êtres avec le milieu » a permis de comprendre les dangers que court l’humanité dans sa course au progrès. Elle a donné lieu à une doctrine et sert aujourd’hui de programme aux hommes politiques.
Tu vois comme les choses sont imbriquées.

Le métier et la vocation d’homme politique
Je vais être plus courte pour la partie qui concerne la vocation politique car même si tu t’engageais dans les études de sciences politiques, ce n’est pas pour autant que tu voudrais t’engager dans la politique. Comme dit Max Weber, on peut vivre de la politique sans vivre pour la politique. C’est le lot de beaucoup de fonctionnaires travaillant directement dans les arcanes du pouvoir sans être investis dans le combat politique.
Mais en plus à côté d’eux, il existe une foule de fonctionnaires de carrières dont la fonction administrative, par exemple à l’Education nationale, impose une gestion non partisane selon des règles impersonnelles et des compétences juridiques, c’est-à-dire « sans ressentiment et sans parti pris ». Ils constituent le lot de la bureaucratie d’Etat.
L’homme politique est donc, d’après Weber, celui qui travaille pour la politique. Il cherche le pouvoir car seul le pouvoir permet de mettre en pratique les idées et les projets qu’on pense utiles à la société tout entière. Évidemment, on peut employer le mot politique pour désigner autre chose que le pouvoir politique mais Weber emploie le mot politique uniquement pour désigner la direction de la société par l’Etat. Ce qui implique qu’il définisse aussi l’Etat. Il reprend la méthode de Durkheim : il faut se dégager des jugements de valeurs et définir un fait social par un lien de « causalité » avec un autre fait social. L’Etat ne se laisse définir sociologiquement que par le moyen spécifique qui lui est propre, à savoir la violence physique ! Tout Etat est fondé sur la force. Weber a cette formule étonnante mais qui est devenue célèbre : « L’Etat a le monopole de la violence légitime » sur un territoire déterminé. Si d’autres groupes sont violents dans la société, c’est que l’État le tolère. Retiens la formule ! Elle provient d’un homme qui a un regard froid sur sa société et qui ne prend pas vraiment partie.
Et pourtant, sans éthique, il n’y a pas de politique.
Max Weber considère l’éthique comme un système de valeur personnellement construit, contrairement à la morale, issu de la culture. On retrouve donc bien là l’émergence de la société moderne puisque le passage de la prédominance de la morale à celle de l’éthique témoigne du passage d’une société holiste (société où les normes sociales s’imposent aux individus) à une société individualiste, caractéristique de la modernité.
Nous avons vu que l’éthique du savant était la responsabilité, ce qui amène ce dernier à rechercher la vérité par une attitude objective et rationnelle. L’homme politique, au contraire, agit afin de mettre en œuvre des politiques en accord avec une idéologie — ses jugements de valeurs (« quelle est la société la meilleure et que faut-il faire pour y arriver ? »). Max Weber opère donc une distinction fondamentale entre le monde de la pensée et celui de l’action.
L’homme politique est donc guidé par l’ « éthique de la conviction » car il poursuit un but qu’il croit bon. Dès lors, l’homme politique se met au service d’une fin en faisant parfois abstraction des moyens utilisé pour la réaliser, et en rejetant l’évaluation des chances de succès ou d’échec qui caractériserait une attitude purement rationnelle. Mais en dépit de la puissance de sincérité et du sens du dévouement qui caractérise l’homme politique, Max Weber considère son action comme voué à l’échec du fait notamment de l’irrationalité de son action.
Selon Max Weber, l’action politique doit suivre une voie raisonnable en procédant à un juste compromis entre éthique de responsabilité et éthique de convictions : « L’éthique de la conviction et l’éthique de la responsabilité ne sont pas contradictoires, mais elles se complètent l’une l’autre. Un homme qui arrive à lier les deux est une sorte d’idéal d’homme politique pour Weber car il allie la rigueur de la pensée à l’énergie de la volonté d’agir efficacement. Celui qui arrive à lier les deux peut prétendre à « la vocation politique ».
Selon Max Weber, l’action politique doit suivre une voie raisonnable en procédant à un juste compromis entre éthique de responsabilité et éthique de convictions : « L’éthique de la conviction et l’éthique de la responsabilité ne sont pas contradictoires, mais elles se complètent l’une l’autre. Un homme qui arrive à lier les deux est une sorte d’idéal d’homme politique pour Weber car il allie la rigueur de la pensée à l’énergie de la volonté d’agir efficacement. Celui qui arrive à lier les deux peut prétendre à « la vocation politique ».

Max Weber le dit, il s’agit donc bien d’un compromis, né le plus souvent d’un choix cornélien entre deux options imparfaites surtout en période de conflits, de crise et de guerre où il n’y a pas de bonne solution «°juste° ». L’homme politique ne peut pas être pur comme un anachorète dans le désert qui s’est retiré de la société séculière (ça, c’est de moi). Il a les mains dans le cambouis.
Voilà ! C’est fini ! Je ne sais pas si cela peut avoir de l’influence dans le choix de ton orientation…..
Bisous
Mari-O

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