La mutation actuelle du christianisme appelle à un changement de paradigme dans l’Eglise catholique
La crise que traverse l’Église catholique relève-t-elle seulement de dysfonctionnements dans son organisation ou de retards dans les bonnes décisions ? Est-ce que, par exemple, la réforme annoncée de la Curie romaine (Evangelium predicandi) va influer sur un renouveau de la foi chrétienne ? Le Synode catholique allemand en cours demande, pour une part significative de ses participants, l’ordination d’hommes et de femmes mariés, l’abrogation de la loi du célibat et même la liberté pour les prêtres déjà en exercice de se marier (1). Est-ce que ces vœux du Synode allemand, s’ils sont acceptés, libéreront les évangiles ? Est-ce que le Synode catholique universel, lancé par le pape François, qui culminera à Rome à l’automne 2023, tiendra compte des demandes tous azimuts que les catholiques du monde entier vont faire remonter à Rome ? Quelles demandes considérera-t-on comme prioritaires ? Dans l’état actuel des choses et compte tenu de ce qui s’est passé au Synode sur l’Amazonie, bien des doutes sont permis.
Il est surtout bienvenu de se demander si les « réformes retenues » seront suffisantes pour revitaliser la voie chrétienne. Seront-elles assez déterminantes pour permettre aux chrétiens du XXIe siècle d’affermir leur foi en Dieu, de marcher sur les pas de Jésus de Nazareth, au sein de cultures marquées par les sciences physiques et humaines, et par ce que nous appelons la modernité qui gagne tous les peuples de la planète ? Avançons quelques pistes.
- Un premier point que l’on peut aborder, dans la crise du catholicisme, concerne la structure hiérarchique de l’Église catholique qui n’est née qu’au second siècle de notre ère. Dans son fonctionnement, elle pratique très peu la démocratie élective. Du pape aux évêques, aucun responsable n’est soumis à un processus représentatif. Le conclave papal ne l’est que d’une façon très limitée. Les prêtres sont formés pour l’essentiel dès leur jeune âge dans des séminaires fermés, avec essentiellement de la philosophie et de la théologie traditionnelles.
La réforme protestante, inaugurée par Martin Luther en 1517, avait mis par terre cette structure pyramidale. Aujourd’hui, toute personne honnête et informée reconnaît que ce fut une rupture libératrice à l’encontre du pouvoir pontifical (les indulgences) et en faveur d’une lecture directe de la Bible par le peuple. Malheureusement, le Concile de Trente (1565), dans sa contre-réforme, refusa de tirer le moindre enseignement de la nouveauté protestante. Il congela l’Église catholique pour plusieurs siècles. Ce n’est qu’au XXe siècle que les choses bougèrent sensiblement, en particulier, avec la tenue du Concile Vatican II (1962-1965). Mais, on connaît aujourd’hui les limites de ce concile, ainsi que les résistances et les retours en arrière qui se sont produits depuis sa clôture.
En 1905, au moment des lois de séparation de l’Église et de l’État, Émile Durkheim qualifiait l’Église de « monstre » (2) en raison du caractère d’exception qu’elle s’attribuait par rapport aux conquêtes démocratiques et face à la laïcité. Saura-t-elle aujourd’hui aller plus loin en matière de pratiques pluralistes ? Sans revenir encore et encore au phénomène du 3ème homme décrit en 1966 au lendemain du concile, par François Roustang dans la revue Christus (3), il faut bien admettre que depuis lors beaucoup de catholiques ont quitté la pratique liturgique, et la vie de l’Église, et continuent de le faire presque 60 ans après. Et cela, en raison de sa doctrine et de ses formulations pré-modernes. Ce qui aujourd’hui stupéfie beaucoup d’observateurs, c’est que l’énorme exode, disciplinaire et doctrinal que ce phénomène représente, qui a touché autant les prêtres et les religieux que les laïcs, ne semble pas inquiéter/ni interroger en profondeur l’Église catholique institutionnelle.
- Abordons un premier point de doctrine. Jésus est-il de nature divine, comme l’ont proclamé les conciles de Nicée (325) et de Constantinople (381) et comme l’affirme un article du credo? Est-il né d’une vierge par une opération du Saint-Esprit ? Aujourd’hui, avec les acquis de l’exégèse historico-critique, il est admis que Jésus était pleinement un humain, certes d’exception, qui avait une relation d’intimité avec Dieu qu’il appelait son père. Que Jésus n’était pas, non plus, un prêtre de l’ordre de Lévi, mais un prophète qui a parcouru les routes de la Galilée et de la Judée pour annoncer que le royaume de Dieu était proche. Pour les catholiques, voilà une formidable interrogation dogmatique à assumer sans se boucher les yeux.
- Passons à la doctrine du péché originel, selon laquelle les humains naîtraient avec une tare spirituelle, impliquant une réparation dont Jésus serait par la croix la victime sacrificielle. Or, ce point de doctrine est radicalement contesté par la théorie de l’évolution, mise au point au long d’un processus scientifique par Charles Darwin (4) et ses prédécesseurs. En plein XXesiècle, elle sera, dès les années 1920, la matrice de la recherche théologique de Pierre Teilhard de Chardin. Les humains proviennent de l’espèce des mammifères et, par la branche des hominidés, sont les descendants de l’Homo sapiens dans ses différentes émergences, il y a environ 300 000 ans. Nous, les femmes et les hommes, nous provenons d’une longue évolution et nous continuons d’évoluer nous-mêmes par le travail, la culture, les changements sociaux, au fils des générations. Au Iersiècle de notre ère, le prophète de Galilée est venu après bien d’autres – Juifs, Grecs (Socrate), Asiatiques (Confucius, Bouddha, les Upanishads…) – pour indiquer une voie d’excellence manifestée dans les Evangiles (les paraboles, le Sermon sur la montagne, les paroles sur le royaume de Dieu, le primat de l’amour et de la miséricorde sur la loi…).
Quand l’Église catholique mettra-t-elle aux archives le catéchisme de Jean-Paul II (1992) qui symbolise, sur les points précédents, tout le retard qu’elle a pris dans sa mise à jour du message chrétien ?
- Il est enfin opportun de dire un mot sur les recherches actuelles concernant Dieu. De plus en plus d’humains rejettent la conception d’un Dieu théiste, créateur de l’Univers et gouvernant directement les nations et les hommes. Ce Dieu qu’il suffirait de prier pour que cesse la guerre en Ukraine, pour qu’un malade soit guéri du cancer ou du sida. Une représentation de Dieu qui traverse encore aujourd’hui toute la liturgie chrétienne, faite de supplications et de demandes de pardon (5).
Des auteurs comme Paul Tillich, Marcel Légaut, Adolphe Gesché, John Shelby Spong, Eugen Drewermann ont écrit sur la fin du théisme et ont cherché à offrir une autre expression de Dieu, avec des mots comme transcendance, Fondement de l’être, Source de la vie et de l’amour (6). Aujourd’hui, d’autres comme Jacques Musset, José-Maria Vigil, José Arregi…poursuivent ce travail pour renouveler notre représentation de Dieu. Un Dieu inconnaissable, forme du vide et du plein, personnel et impersonnel, décelable dans la profondeur de notre conscience (7).
Les théologiens de l’Église catholique accepteront-ils de franchir le Rubicon de l’athéisme et du post-théisme pour/dire un autre visage de Dieu ? L’expérience de Dieu, revue et ressourcée, garde-t-elle de nos jours un intérêt bénéfique pour les humains ?
Aujourd’hui, un ensemble de croyants – et pas uniquement les catholiques et les chrétiens – se sont engagés dans une nouvelle voie religieuse ou plutôt post-religieuse. Ils vivent à la marge des églises et des temples, et même complètement au dehors. Ils ne se reconnaissent plus, ou alors faiblement, dans les manifestations visibles de l’Église ou des Églises. Ce divorce va s’aggravant, à tel point que l’on peut se demander quelle forme aura l’Église catholique en France quand, dans deux ou trois décennies, elle ne sera plus habitée que par des chrétiens traditionnels, avec des prêtres formés à l’ancienne.
Comment expliquer et admettre que beaucoup de théologiens, d’informateurs religieux et d’intellectuels ne saisissent pas, ou très petitement, les signes actuels de la formidable mutation en cours du christianisme ? Des signes qui, plus qu’à des réformes disciplinaires, appellent à un changement de paradigme, à un véritable retournement, à une refondation.
Le groupe pour un christianisme d’avenir : Robert Ageneau, Serge Couderc, Paul Fleuret, Jacques Musset, Philippe Perrin, Marlène Tuininga.
1-Voir l’article Remue-ménage dans l’Église d’Allemagne, Régine et Guy Ringwald, Golias-Hebdo n° 713 du 24 au 30 mars 2022.
2- Émile Durkheim, TEXTES, Tome 2 : religion, morale, anomie, Les Éditions de Minuit, 1975, page 166.
3-François Roustang, « Le troisième homme« , Christus, n° 52, Tome 13, Octobre 1966, p. 561-567.
4- Charles Darwin, L’évolution des espèces, Éditions Flammarion, poche, 2008.
5-Article collectif, Ukraine : « Quelle prière pour la paix par temps de guerre ? » La Croix numérique du 19 mars 2022.
6-John Shelby Spong, Être honnête avec Dieu. Lettres à ceux qui cherchent, Éditions Karthala, 2020.
7- Voir Après Dieu. Un autre modèle est possible, Vigil, Villamayor, Musset, Kohler, Dockendorff, Magallon, Arregi, Ress, NTA-3 FR, Nouveau temps axial, 2021.