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4L188 – QUE RESTE-T-IL DU MOMENT SOLIDARNOSC ?

Par son attachement à l’État de droit, par son souci de la qualité de la vie institutionnelle, par sa capacité à réunir les cultures autour d’un enjeu commun, l’Union européenne est continuatrice du moment exceptionnel qu’a été le combat de Solidarnosc. 

 

QUE RESTE-T-IL DU MOMENT SOLIDARNOSC ?

 

Par Anne Duruflé, Présidente de l’association Solidarité France-Pologne et Patrick Boulte

Un colloque s’est tenu au Sénat, à Paris, le 13 décembre 2021, pour marquer le quarantième anniversaire de l’instauration de l’état de siège en Pologne.

Il a permis, notamment, de souligner le rôle des intellectuels dans la création du syndicat Solidarnosc depuis la fondation du KOR, le comité de soutien aux ouvriers, en septembre 1976, expérience préparatoire à ce qui a fini par aboutir, grâce à la mobilisation de la société civile, au renversement du totalitarisme, en Pologne d’abord, dans les autres pays du bloc soviétique, ensuite. Pendant des années, malgré les innombrables écueils qui se présentaient sur sa route, dont les dangers qui menaçaient les individus engagés dans l’action collective n’étaient pas les moindres, la société n’a pas dévié de sa ligne, opposant une forme de rectitude à un système caractérisé par un énorme décalage entre son discours et les réalités vécues, le propre de tout régime autoritaire, voire totalitaire.  Pour beaucoup, il y avait, dans ce combat pour les droits fondamentaux, un signe de portée universelle qui a contribué, à l’époque, à l’engagement massif, aux côtés des Polonais, de citoyens européens, français notamment, pourtant non immédiatement concernés, tant pendant la période d’existence du syndicat, que pendant celle de son interdiction – dans les années quatre-vingt – et après. Ce qui était à défendre était clair !

Le décalage avec l’interprétation que les politiques avaient de l’événement était grand, en France notamment. Il suffit de rappeler  la déclaration de Claude Cheysson, alors Ministre des Relations extérieures, « Bien entendu, nous ne ferons rien pour la Pologne, je note dans la déclaration de Jaruzelski que c’est une affaire intérieure polonaise ». La société civile a, quant à elle, appris qu’elle pouvait faire bouger les lignes. Voulant, au départ, élargir l’espace démocratique, elle a fait beaucoup plus, puisqu’elle a contribué à la chute du mur de Berlin et à la réunification de l’Europe.

Depuis, l’évolution de la Pologne ces dernières années montre qu’en matière de démocratie, rien n’est jamais acquis. Au début des années 80, la Pologne était l’espoir et la fierté du continent européen dans son combat pour les libertés syndicales, la liberté de la presse, le  droit de grève… Aujourd’hui, elle défend un modèle de société illibéral en limitant l’indépendance de la justice et celle des médias. Cette situation a pu engendrer une forme de dépit exprimé par de nombreux citoyens, ici ou là, à travers l’expression « tout ça pour ça», mais elle invite à la vigilance les institutions européennes, à commencer par le parlement, qui s’opposent aux dérives des régimes bafouant les règles élémentaires à la base des systèmes démocratiques.

Ces institutions rappellent, avant toute autre considération, que l’Union est fondée sur des principes, ceux formulés dans l’article 2 du traité sur l’Union européenne, sur lesquels les pays membres se sont entendus à partir du moment où ils ont ratifié leur adhésion :

« L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’état de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes »

Ce qui veut dire : « …la primauté de la personne humaine, l’égalité entre les individus, la liberté de conscience et d’opinion, le renforcement de la cohésion nationale, l’affirmation de la liberté individuelle et de la libre détermination par chaque personne de ses choix de vie, la reconnaissance du rôle de la raison dans la détermination et la conduite de la politique des sociétés humaines, la légitimité de la place de la science dans les sociétés, etc. »  comme le décline Dominique Reynié dans « Le XXIème siècle du christianisme » – p. 341.

Alors que se multiplient les violations de l’article 2 sur les valeurs fondamentales de l’UE, dont l’état de droit, et que certains pays remettent en cause le principe de la primauté du droit européen sur le droit national au titre du refus de l’asservissement institutionnel et de la limitation radicale de la souveraineté, il est essentiel de rappeler l’importance des principes qui encadrent l’action et en garantissent la portée. Laurent Berger, Secrétaire général de la CFDT l’a dit et répété pendant ce colloque : « il faut être intransigeant sur la question des valeurs ; le totalitarisme a toujours été à combattre ».

L’Union apparaît là comme le lieu où sont encore à peu près opératoires les valeurs qui la fondent, à distance où elle se trouve des considérations tactiques à court terme, qui, souvent, dictent la conduite des pays membres. Cela ne nous empêche pas de la critiquer, mais il faut reconnaître qu’elle se détermine en fonction des orientations fondatrices convenues par les États signataires  et que leurs citoyens ont tendance à oublier ou, même, à mépriser, et qu’elle prend la responsabilité de trouver des solutions à des problèmes complexes, quand ses membres reconnaissent leur incapacité à en trouver à leur niveau ou quand, plus positivement, ils décident de les traiter en commun.

Un autre enseignement à tirer de ce qui s’est passé est l’importance de la place qu’y ont prise les personnes, les sociétés civiles, en comparaison de celle occupée par les pouvoirs publics nationaux. Elles sont sorties de leur quant-à-soi et de leurs préoccupations quotidiennes pour s’impliquer dans une action à portée historique et contribuer à l’orientation de la marche de l’histoire. Pendant que les gouvernants en restaient au registre des modes de relation entre États, sans bien prendre la mesure de ce qui était en train de se passer au niveau des sociétés, les institutions européennes, quant à elles, peut-être dégagées de ce type de contraintes, préparaient l’avenir en montant des programmes à destination des organisations de la société civile, avant même l’entrée de leurs nations dans l’Union européenne. Aujourd’hui encore , la voix des sociétés civiles se fait entendre sur tous les sujets qui dérangent pour rappeler aux dirigeants leurs obligations à l’égard des populations qui souffrent, les migrants en premier lieu. L’élan démocratique en Pologne s’est brisé sur la réalité de la montée des inégalités économiques et sociales qui a marqué la période du passage à l’économie de marché dans les pays libérés du joug soviétique. L’insuffisance  de la place faite au social explique largement l’évolution politique récente de certains pays européens, d’où l’urgence et la nécessité de mettre le social au cœur des débats qui marquent les réformes socio-économiques, en vue de conforter la construction d’une Europe démocratique.

Il peut donc être utile de se remémorer les événements qui ont fait notre histoire, ceux où a été en jeu ce que l’on ne veut pas voir ou ce dont les problèmes quotidiens détournent notre attention, pour ne pas oublier trop vite ce qu’ils nous ont révélé de nous-mêmes et pour mesurer l’importance et le poids des institutions que nous nous sommes données pour veiller à ce que l’essentiel ne soit pas oublié.

A propos Régis Moreira

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