Jean-Marie Muller, philosophe et stratège de la non-violence
Étienne Godinot *
Jean-Marie Muller (1939-2021), initiateur du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN), conférencier, formateur, était d’abord un grand lecteur et un écrivain prolixe, auteur de 36 ouvrages sur la non-violence, Il présentait la non-violence comme le « référent éthique universel« , et il aimait rappeler que l’ONU, en célébrant le 2 octobre de chaque année depuis 2007 la Journée internationale de la non-violence, a affirmé « la pertinence universelle du principe de non-violence ».
Avec une pensée rigoureuse, il était précis sur le choix des mots dont il aimait à rappeler l’étymologie. Il avait le souci de clarifier les concepts (dans le Dictionnaire de la non-violence), de distinguer la force et la violence, de réhabiliter le conflit pour déraciner la violence, de proposer des définitions, par exemple celles de défense civile non-violente ou d’intervention civile de paix, d’apporter des bases solides à des notions essentielles et nécessaires, mais encore discutées, comme celle de désobéissance civile. Une affirmation essentielle qui lui était chère est que la lutte est compatible avec l’amour : « La non-violence, disait-il, réconcilie la lutte et l’amour. Elle est le chaînon manquant entre la violence et l’amour. »
C’était un orateur apprécié et un débatteur redoutable. À un contradicteur très cérébral qui, depuis cinq minutes à la fin d’une conférence-débat dans les années 1970, lui opposait la nécessité de la lutte armée contre l’oppression et l’injustice, il demandait : « Monsieur, vous avez de beaux discours, mais à titre personnel, dans quel mouvement violent militez-vous ? ».
Il aimait à manier l’humour : « Face à la réalité des menaces, le pacifisme est un vœu pieux. Certes, il vaut mieux formuler des vœux pieux que des vœux impies, mais cela ne change rien à la réalité ! », ou encore « Il faut corriger ce que Gandhi a pu dire par ce qu’il a fait, et se méfier du gandhiraton,… ».
C’était un militant. La philosophie de la non-violence et la stratégie du combat non-violent étaient ses préoccupations omniprésentes et même dévorantes. En se démarquant de l’Arche de Lanza del Vasto et du Mouvement International de la Réconciliation (dont il restait proche, bien sûr), en rédigeant le « Manifeste pour une alternative non-violente« , base de la création du MAN par des groupes locaux en 1974, il a voulu donner à la pensée sur la non-violence et à l’action non-violente une dimension pleinement politique et clairement non confessionnelle, bien que profondément spirituelle.
Parmi ses engagements les plus forts, il faut citer son combat pour le désarmement nucléaire et particulièrement celui de la France. En 1973, il participe avec le général Jacques de Bollardière, Jean Toulat et Brice Lalonde à une action directe contre les essais nucléaires dans l’océan Pacifique, qui marque la fin des essais nucléaires atmosphériques de la France. Un de ses derniers ouvrages paru en 2014 s’intitule Libérer la France des armes nucléaires. Sa grande tristesse est celle de n’avoir pas vu avant sa mort le changement de position de la Conférence épiscopale française (CEF) au sujet de la dissuasion nucléaire à la suite des positions des papes et des Églises chrétiennes, le dernier texte de la CEF à ce sujet remontant à… 1983.
Il a milité pendant dix ans avec les paysans du Larzac contre le projet d’extension du camp militaire, il a participé avec Solidarnosc et la Charte 77 au combat non-violent qui a abouti à la chute du communisme en Europe de l’Est, il a soutenu les communautés de paix en Colombie, il a animé des formations au Liban, en Jordanie, en Syrie, en Irak, en Afrique. Pendant des années, il a échangé avec les militaires (SGDN, COFAT) sur les stratégies de défense de la démocratie.
Sa préoccupation constante a été de « dédogmatiser » et de désarmer les religions pour les orienter vers une voie spirituelle, celle du combat non-violent pour la justice, la paix et l’écologie.
Par des conférences, des écrits, des formations animées au Moyen-Orient, il a milité en vue de la coexistence pacifique des peuples et particulièrement la fin de l’occupation militaire de la Palestine par Israël. Le symbole du pont lui était cher, car, disait-il, « il est nécessaire de détruire les murs qui séparent les hommes et de bâtir des ponts qui les relient, mais il est plus difficile de bâtir de ponts que des murs. »
Jean-Marie Muller disait qu’il y a dans l’histoire de la non-violence un avant-Gandhi et un après-Gandhi. Ajoutons que dans l’histoire de la non-violence en France, il y a aussi un après-Muller.
* Membre cofondateur du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN), vice-président de l’Institut de recherche sur la Résolution Non-violente des Conflits (IRNC)