Le jardin d’Afrique, créé par Rachid Koraïchi à Zarzis, un port au sud-est de la Tunisie,
un jardin du souvenir pour accueillir les corps des migrants inconnus, rejetés par la Méditerranée.
Constatant l’inaction de la communauté internationale et scandalisé d’apprendre que les corps des migrants morts sur le chemin de l’Europe, repêchés ou jetés sur les grèves de la Méditerranée, étaient entassés par milliers depuis 2003 dans une décharge publique, le peintre et graveur Rachid Koraïchi s’est rendu en 2018 dans la ville côtière de Zarzis, près de la frontière libyenne. Il y a acheté un lot de terre de 2500 m2 pour créer le Jardin d’Afrique, une oasis-sépulture au milieu des sables et des oliviers, le seul cimetière privé au monde, financé intégralement par la vente de ses œuvres et inauguré en juin 2021 par la directrice de l’Unesco, Audrey Azoulay. Plus de 800 personnes avaient alors trouvé la mort depuis le début de l’année en traversant la Méditerranée, contre 350 en 2020 selon les chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Des Africains animistes, chrétiens ou musulmans mais aussi des Pakistanais et des Bangladais, travailleurs migrants au Qatar qui tentaient de fuir par la mer.
L’artiste dit avoir essayé de créer un « paradis », auquel on accède par une imposante porte jaune représentant un soleil ardent. Les visiteurs doivent se courber pour entrer, en signe de déférence envers les morts. De multiples essences ont été plantées – dont douze vignes pour les douze apôtres, cinq oliviers pour les cinq piliers de l’Islam, mais aussi des orangers amers, grenadiers, bougainvilliers rouges, jasmins. Si les murs de ce jardin du souvenir sont blancs, le sol est un magnifique tapis coloré de carreaux de céramique, copies de ceux de la Médina de Tunis du XVIIème siècle. Grâce à la mobilisation pendant trois ans du savoir-faire d’artisans et d’ingénieurs locaux, un lieu de prière non-confessionnel a été construit. Un soin méticuleux est apporté à l’identification des corps, y compris par le biais de prélèvements ADN et un espace est dédié à la toilette des corps. Pas de carré spécifique à une religion ou à une autre mais un lieu de paix de portée universelle, des tombes côte à côte, toutes orientées vers le lever du soleil. Chacune est surmontée d’une stèle portant un nom quand la victime peut être identifiée, la date de sa mort, son code ADN, son sexe et sa tranche d’âge, et parfois la mention d’un vêtement et de sa couleur.
Aujourd’hui ce cimetière peut accueillir environ 800 défunts, mais face à l’afflux des morts, son extension est déjà prévue. « Le Jardin d’Afrique nous rappelle que ce qui préserve l’humanité d’un naufrage collectif, c’est le refus de l’indifférence aux malheurs des autres » écrit David Diop, auteur de Frère d’âme et de La porte du voyage sans retour (Seuil, 2021).
Suite à la demande d’une association locale d’aide aux réfugiés de Fuerteventura, dans l’archipel des Canaries, Rachid Koraichi envisage la création d’un second cimetière pour les migrants, Le Jardin des îles, du côté ouest de l’Afrique cette fois, non loin de l’île de Gorée, en face du Sénégal, lieu symbole de la mémoire de la traite négrière en Afrique, pour relier l’extrémité occidentale de l’Afrique et l’extrémité orientale de l’Afrique du Nord, relier la mémoire du passé à celle d ‘aujourd’hui. Dans un contexte de renforcement des contrôles en mer Méditerranée, l’archipel espagnol des Canaries est en effet confronté à un afflux massif de migrants venus de l’ouest de l’Afrique, dont beaucoup de femmes et d’enfants, à bord d’embarcations de fortune, au péril de leur vie.
Ce devoir de mémoire traverse toute l’œuvre de Rachid Koraichi, inscrit dans une longue filiation, puisque les Koraïchi appartiennent à une dynastie descendant du prophète Mahomet, des nomades dont plusieurs branches sont parties au VIIème siècle d’Arabie Saoudite pour semer la parole soufie jusqu’en Algérie d’une part et jusqu’au Caucase de l’autre. En 2005, Rachid Koraïchi a créé le Jardin d’Orient, dans le parc du château royal d’Amboise, en hommage à l’émir Abdelkader et sa suite emprisonnés entre 1848 et 1852 à Amboise après leur défaite face aux Français. Il rassemble 25 stèles de pierre, des sépultures carrées de 49 cm de côté symbolisant le cube de la Kaaba, gravées d’hymnes à la paix et à la tolérance pour ces musulmans exilés, morts sans faire leur pèlerinage à La Mecque.
En 2016, lors d’une conviviale exceptionnelle, nous avons eu la chance d’accueillir à D&S cet artiste engagé pour la fraternité et l’humanité, peintre et graveur d’origine algérienne, de renommée internationale, dont l’œuvre se réfère au poète Al Rûmî (1207 – 1273). Il nous avait présenté ses réalisations (sculptures ciselées ou vitraux, gravures, céramiques peintes, soieries parfois brodées, peintures sur parchemin, illustrations d’œuvres poétiques, de textes en hommage aux sept moines trappistes de Tibhirine assassinés en 1996), inspirées de la symbolique des chiffres et de la calligraphie, enracinées dans la mystique soufie.
En Pj quelques photos du jardin d’Afrique
1-Entrée du cimetière de Zarzis, « Jardin d’Afrique »
2-Stèle des Koraichi protégeant les morts à l’entrée
3-Le grand rabbin de la synagogue de Djerba, l’archevêque de Tunis et l’imam priant ensemble pour les défunts, lors de l’inauguration, en présence d’Audrey Azoulay, directrice Générale de l’UNESCO, le 9 Juin 2021 à Zarzis.
Vous pouvez aussi consulter :
Le site de l’artiste : http://rachidkoraichi.com/
et celui de D&S où figurent des photos de ses œuvres :
https://www.democratieetspiritualite.org/2016/02/25/rachid-koraichi-conviviale-ds-compte-rendu/
Eliane Fremann