Julos Beaucarne, de retour vers le non-temps
Daniel Lenoir
Le 18 septembre dernier, Julos Beaucarne a rejoint le « non-temps » (ou peut-être le « oui-éternité » ). On l’avait un peu oublié, allergique qu’il était aux paillettes – auxquelles il préférait ses légendaires pullovers arc-en-ciel – et aux projecteurs – lui le vélorutionnaire qui avait fait pédaler les spectateurs pour éclairer son tour de chant. Pourtant après Magritte, Hergé, Brel ou Devos, il était l’illustration que nombre des meilleurs artistes français sont en réalité belges.
Les titres de ses albums -L’enfant qui veut vider la mer, le Front de libération des arbres fruitiers, Les Communiqués colombophiles, Mon terroir c’est les galaxies, Le Vélo volant, Le Chanteur du silence, L’Hélioplane, L’avenir a changé de berceau, L’Ère vidéo-chrétienne, Tours, temples et pagodes post-industriels, Le Jaseur Boréal ou Le Balbuzard fluviatile- parfois parlé dans ce wallon si proche du ch’ti –La P’tite Gayole, Co n’ rawète- dessinent un univers onirique à la fois humaniste et écologique, réenchantant le surréalisme d’Outre-Quiévrain avec les mots simples de son quotidien d’Écaussinnes (dans le Hainaut) où il était né, et de Tourrine la Grosse (dans le Brabant wallon) où il avait choisi de vivre au centre de l’univers mais à l’écart des tumultes du monde. Cela ne l’a pas empêché d’être aussi un chanteur engagé, dénonçant autant l’assassinat de Victor Jara par les putschistes chiliens et le soutien des Etats-Unis de Kissinger au coup d’État du 11 septembre, que la psychiatrisation soviétique des dissidents, comme le mathématicien Léonid Plioutch. « Tu penseras que ni l’Est ni l’Ouest ne te donnent contentement. Peut-être faut-il chercher plus verticalement ? ».
Sa spiritualité sans Dieu trouvait sa source dans l’amour, « la totale totalité totalisant totalement le tout tout le temps » et dans la conscience d’être partie d’un univers qui s’incarne en chacun de nous et auquel la mort nous fait communier. Elle avait été marquée par le drame qui l’avait touché, en 1975, le jour de la Chandeleur, quand Loulou, sa compagne, fut assassinée par un déséquilibré, qu’il avait d’ailleurs accueilli : « C’est la société qui est malade » rappelait-il.
En continuant, malgré les drames, à escalader « cet Everest de peine », en chantant, sur les paroles de Péguy, les « longs pèlerinages » de la vie, en persévérant, malgré les désastres, à vouloir « reboiser l’âme humaine », Julos Beaucarne a incarné ce Sisyphe heureux qu’imaginait Camus.
En hommage, je propose l’un de ses plus beaux textes extrait de son album Chandeleur Septante cinq sorti peu de temps après la mort de sa femme.
Nous sommes les oiseaux d’une île nouvelle,
Rien n’est perdu tout est à faire
Nous créons d’autres cris d’oiseaux et une eau propre et un ciel clair
Rien n’est perdu tout est à faire
Nous escaladons les désastres pour y planter la vie
Rien n’est perdu tout est à faire
Nous allons au bout de cet Everest de peine
A force de courir, à force de pâlir, à force de nous cogner aux murs de ce bas monde, nous débouchons dans les plaines de la sagesse
Rien n’est perdu tout est à faire
Et moi je te hisse devant moi comme la proue d’un vaisseau en pleine mer démontée
Rien n’est perdu tout est à faire
Sur ma Pompéi ensevelie, j’installe un nouveau pays
Rien n’est perdu tout est à faire