Relever le défi de régénérer notre démocratie
JC Devèze, le 6 10 21
Le diagnostic de notre actuelle crise démocratique repose sur divers constats inquiétants comme les suivants : un rejet croissant d’un système politique de plus en plus impuissant à relever les grands défis ; un président de la République trop mal élu pour pouvoir promouvoir des solutions acceptées à nos multiples problèmes ; un fossé croissant entre la monarchie présidentielle de la cinquième république et une demande d’implication citoyenne pour avoir voix au chapitre ; des partis politique en crise, sans identité claire, se transformant en entreprise de conquête d’une part du marché électoral ou de machine au service d’une personnalité ; un parlement où le débat est peu constructif ; un néolibéralisme économique dominant peu porteur de sens ; une confiscation du pouvoir par des minorités élitistes fonctionnant en circuit fermé, issues des mêmes grandes écoles, habiles à détourner le cours de la justice, s’appuyant sur des médias aux mains des pouvoirs financiers ; une montée des émotions face aux multiples épreuves subies qui ont du mal à être prises en compte politiquement ; trop d’électeurs plus soucieux de leur bien vivre individuel que du bien commun ; des jeunes générations plus intéressées par des actes citoyens au quotidien que par des mises en perspective de l’ensemble de nos problèmes. Si les possibilités d’information et d’expression des citoyens ont progressé, le bon sens populaire semble par contre avoir du mal à émerger, en particulier du fait de la fracture croissante entre les classes moyennes et les élites. La démocratie par le haut, où l’on attend des élus et d’un Etat providence des solutions à tous nos problèmes, a montré ses limites, ce qui renforce la perte de confiance des citoyens dans une politique devenue trop politicienne.
Pour mettre en perspective l’ambition de régénérer notre démocratie qui découle de ce qui précède, il est proposé de repartir d’une définition de celle-ci : régime politique fondé sur la souveraineté du peuple. De cette conception découle l’exigence de promouvoir une implication citoyenne reposant sur la confiance en la politique et sur des institutions et de processus démocratiques adaptées à chaque situation. Il s’agit d’inciter les citoyens à prendre position en mettant la diversité de leurs convictions et de leurs savoirs au service de l’intérêt général, ce qui facilite ensuite une prise de décision susceptible d’être largement acceptée.
Chaque citoyen ayant vocation à exprimer son opinion, cette expression plurielle doit être canalisée pour construire des accords et clarifier les désaccords, ce qui nécessite d’une part de développer la capacité d’information et d’expression du citoyen, d’autre part d’organiser l’espace de la délibération et de promouvoir l’éthique du débat. Une présentation claire des problèmes et des solutions par les responsables politiques et les partis contribue à alimenter le débat avec les citoyens et à rechercher des solutions et des compromis dans un climat de promotion d’un esprit civique. Prôner un « en même temps » systématique ne permet pas au débat démocratique de se nourrir des légitimes désaccords politiques. La situation empire quand les citoyens, la société civile et les corps intermédiaires ne sont ni écoutés, ni surtout entendus.
Les élections et les consultations doivent être une occasion pour les citoyens d’exprimer leur choix et d’arbitrer leurs désaccords ; encore faut-il que les enjeux soient pertinents, clairs et motivants. En parallèle, il est sain que les divergences, les résistances et les indignations puissent s’exprimer dans diverses expressions de résistances comme, par exemple, à travers des protestations et des manifestations. La difficulté est de discerner les causes qui nécessitent de se mobiliser et de trouver les façons de le faire collectivement sans faire plus de mal que de bien ; ceci exige d’être capable de s’organiser entre citoyens dans la durée pour trouver des solutions politiques dans le cadre d’institutions démocratiques.
Face à la crise politique qui s’aggrave, le défi est de régénérer notre démocratie pour faire face aux enjeux actuels et futurs en s’appuyant sur des citoyens et leurs élus qui se mobilisent au service de l’intérêt général. Ceci requiert des processus démocratiques de coproduction citoyenne permettant aux citoyens et à leurs élus de s’impliquer, de participer à la préparation des décisions et, si possible, de contrôler leur mise en œuvre et d’évaluer leurs impacts.
Les élus doivent donc veiller à ce que les processus participatifs soient pertinents et à ce que le recours aux experts et spécialistes ne soit pas une façon d’abriter leurs décisions derrière la technostructure. Ceci rend nécessaire de développer une ingénierie des politiques publiques comme de celle des collectivités locales pour veiller à la cohérence des mesures proposées et à leur inscription judicieuse dans le rythme de la vie de la nation et dans le tissu social et territorial. Une piste à explorer pour promouvoir la qualité du débat public et l’expertise en matière d’ingénierie démocratique serait de renforcer le rôle de la Commission nationale du débat public (CNDP), par exemple pour conseiller les élus sur la mise en œuvre de processus démocratiques depuis le diagnostic jusqu’à la réalisation et au contrôle.
Tout ce qui précède nécessite de mobiliser des citoyens s’impliquant et de choisir des élus de qualité. Il faut en particulier faire émerger des leaders politiques qui ne soient pas des communicants sachant se vendre ou des vendeurs de rêves, mais d’abord des personnalités crédibles ayant une vision et un projet, une épaisseur humaine et une capacité à discerner en équipe. Ces personnes authentiques doivent pouvoir être portées par un peuple de citoyens trouvant dans la culture les repères indispensables à leur vie et dans la spiritualité le courage de s’engager et le sens du service d’autrui.
Cette amélioration de la qualité de la vie démocratique doit en parallèle être portée par une vision de l’avenir liée au réel pour édifier un monde plus humain et une Terre plus habitable. Il faudra en particulier trouver comment éviter que la critique légitime ne dérive pas en résistance sans perspective, que la régulation n’en reste pas à une gestion technocratique des problèmes et que les utopies mobilisatrices comme l’Europe ou l’écologie ne tournent pas à des proclamations idéalistes.