D&S Réunion conviviale du 8 juin 2021
Conclusions Jean-Baptiste de Foucauld
Pour tenter d’éclairer nos choix dans le débat politique en cours, je voudrais faire cinq observations :
- Les séparatismes se multiplient au sein de la société française
Ce n’est pas seulement le séparatisme islamique que nous devons prendre en compte, mais celui des autres qui ne veulent pas de l’islam. Et bien d’autres aussi, qui séparent le peuple de l’élite, les quartiers sensibles des quartiers insensibles, les métropoles des zones semi-urbaines, les actionnaires des salariés, les riches des pauvres etc. Nous payons durement le manque de mixité sociale qui s’est peu à peu institué et entraîne des procès d’intention permanents sur fond d’inégalités réelles. Comment rétablir la confiance pour gérer nos désaccords. Quel est le plus urgent maintenant, ou plus exactement par quoi commencer ? Faire face à cette crise démocratique ou faire face aux défis écologiques et sociaux ?
- La fin des idéologies a entraîné un déficit de verticalité qui accroît la crise démocratique
Les idéologies structurées des trente glorieuses, communisme, social-démocratie, démocratie chrétienne, fournissaient à la fois une vision du monde et des propositions d’action dans lesquelles les militants pouvaient prendre place et apporter leur concours désintéressé. L’horizontalité démocratique instituée par les lumières et la révolution, d’ailleurs prudemment (cf.la mention de l’Être suprême dans la déclaration de 1889, puis le recours en 1848 à la notion de fraternité qui renvoie implicitement à la Paternité) se trouvait ainsi rééquilibrée. Il n’en est plus de même aujourd’hui, où l’individu se veut roi, mais où il est dominé par le marché tandis que l’Etat, autre support de verticalité, est débordé par une mondialisation qu’il a lui-même contribué à forger. Il n’est pas sûr que la multiplication des procédures démocratiques, aussi utiles soient-elles, suffisent à combler ce vide. Pas plus que la menace écologique. Le besoin de retrouver une verticalité, le sens de l’intérêt général, une vision et un projet commun qui transcende nos aspirations individuelles est réel. Une vision exigeante de la démocratie (chaque personne est une histoire sacrée) adossée à de fortes valeurs éthiques et spirituelles pourrait y contribuer : Malheureusement, le mouvement spirituel informel qui se développe en dehors des religions est très peu politique, d’une part, et, d’autre part, les religions elles-mêmes sont soit trop extérieures au système démocratique (les intégrismes, dont une partie de l’islam), soit trop emprisées par lui, pactisant avec ses faiblesses (une partie du christianisme).
- Des politiques exigeantes non appuyées par les valeurs correspondantes, actives dans la société, ne fonctionnent pas
Le citoyen a tendance à se défausser sur l’Etat des exigences du moment. Mais on voit bien que le souci de justice sociale ne peut être porté uniquement par l’Etat et qu’il n’est pas compatible avec l’indifférence à autrui. De même, le souci écologique et de respect de la biodiversité suppose une autre manière de vivre et de consommer. Les politiques publiques peuvent influencer les comportements, mais dans une certaine mesure seulement. Il faut travailler en même temps sur les valeurs qui donnent leur sens et leur efficacité à ces politiques. Or ce travail, qui ressort lui aussi de ce besoin de verticalité, non seulement n’est pas fait, mais il est même dévalué par le managérialisme ambiant qui ne juge que par le concret et le mesurable. D’où l’importance de faire un travail individuel et collectif sur les valeurs, en particulier la fraternité et la sobriété, à cultiver à tous les étages comme le recommande le Pacte civique.
- La question des conditions du bon leadership et de la maîtrise du désir de pouvoir ne peut être éludée.
On a aujourd’hui besoin de leaders capables d’écouter sérieusement et de faire participer, mais aussi susceptibles de construire une vision et de la mettre en œuvre. Une des difficultés de la démocratie réside dans le fait que les qualités qui permettent d’accéder aux responsabilités ne sont pas nécessairement les mêmes que celles qui permettent de les bien exercer. Comment faire émerger des responsables correspondants aux besoins actuels de la société, comment les former, éventuellement les préparer ? Les nouvelles procédures démocratiques y parviendront-elles ? Faut-il s’inspirer de l’expérience monastique en la matière (construction collectives des qualités nécessaires à un moment donné, puis recherche de la personne la plus adéquate) ? La question de la maîtrise du désir de pouvoir, toujours en risque de venir une fin en soi, légitime à condition de s’incliner devant l’intérêt général, doit être posée alors que c’est un sujet difficile, particulièrement négligé, et pourtant essentiel.
- L’impact croissant des nouvelles données géopolitiques implique une nouvelle étape de la construction européenne
La montée en puissance de l’illibéralisme, la volonté de puissance de la Chine viennent désormais s’ajouter aux problèmes bien identifiés de la mondialisation et au déficit de régulation internationale. Isolé, un pays ne peut pas faire grand-chose. L’Union européenne doit pouvoir y suppléer en devenant un acteur capable d’influencer le contenu de la mondialisation en se dotant du minimum de puissance nécessaire. Elle a commencé de le faire, mais une nouvelle étape s’impose que le débat en cours sur sa réforme devrait éclairer.