Les progrès de l’humanité se mesurent aux concessions que la folie des sages fait à la sagesse des fous (Jean Jaurès)
« Antivax », « provax », « fake news », « complotiste »… en cet été pour une fois non caniculaire, les insultes pleuvent dans le ciel de France et la sécession gronde. Les propos nuancés et subtils sont priés de se tenir hors de toute frontière. Mais le peuvent-ils ? C’est très exactement ce type de scénario qui a conduit à l’effondrement plusieurs civilisations confrontées à des défis écologiques selon le grand biologiste Jared Diamond.
Écologiques ou de santé ? C’est là probablement où, à défaut de s’entendre sur les remèdes à court-terme, nous pourrions au moins nous retrouver autour d’un de nos sages incontestés, Montaigne : « Je me défie des inventions de notre esprit, de notre science et de notre savoir-faire, en faveur de quoi nous avons abandonné la nature et ses règles et à quoi nous ne savons garder modération ni limite. » (Essai, LII, ch.37).
Car telle est bien in fine l’origine, la cause de cette nouvelle classe de virus dit émergents qui se multiplient depuis quelques décennies. Comment faire ? On a tout à fait raison de s’inquiéter de l’urgence climatique dont les 150.000 feux en cours sur la planète sont des symptômes brûlants au sens propre comme figuré. Nous aurions tort de sous-estimer la crise de la biodiversité dont la pandémie actuelle constitue un symptôme analogue. Certes, il faudra certainement des années pour connaître l’origine précise de la Covid-19. La fuite d’un virus d’un laboratoire de Wuhan est également une hypothèse discutée. Mais de toute façon, s’il n’y avait pas eu la Covid-19, une autre pandémie serait sans doute survenue.
Depuis plus de 20 ans, des chercheurs comme Serge Morand ou Jean-François Guégan, répètent, démontrent et publient des travaux sur le fait que les activités humaines bouleversent les écosystèmes, réduisent la biodiversité et engendrent la hausse du nombre d’épidémies. Si les villes, les fortes densités et l’emballement des déplacements à l’échelle mondiale facilitent leur propagation, la chute de la biodiversité multiplie des agents infectieux de plus en plus diversifiés.
Une de ses principales causes est reconnue : l’agriculture industrielle et les élevages intensifs. Prenons, l’exemple explicite du virus Nipah, en Malaisie. A la fin des années 1990, l’exploitation des forêts profondes en faveur de l’huile de palme a provoqué l’exode des chauves-souris, qui sont allées se nourrir de fruits dans des vergers, fruits qui ont contaminé des élevages de cochons, puis les humains. Ce n’est qu’un exemple, mais ce schéma de zoonose se répète. Depuis 1940, le nombre d’épidémies a été multiplié par plus de 10 et 60 % des animaux sauvages ont vu leurs populations régresser en 50 ans.
Après l’éclatement de la pandémie en 2020, de nombreux articles ou livres ont traité le sujet mais aucune mesure politique forte n’a été prise pour remédier à cette baisse dramatique de la biodiversité. On connaît l’adage numéro un dans la santé : mieux vaut prévenir que guérir. Alors faisons preuve de la même sagesse que le Montaigne des Lumières. Remettre en cause notre modèle, et notamment agricole et alimentaire changerait les structures profondes de nos sociétés et permettrait la construction de modèles respectueux de la nature. Cela permettrait d’ailleurs aussi de préserver la ressource en eau qui devient de plus en plus précieuse à cause du changement climatique.
De nombreuses études scientifiques ont montré que l’agroécologie, respectueuse du vivant, locale, qui privilégie la polyculture et où chaque déchet sert de ressource, pourrait tout à fait nourrir la planète et diminuerait le risque de zoonoses virales. La société civile multiplie les innovations sociales dans ces domaines, des innovations qu’il suffirait de soutenir et de généraliser. Pourrait-on au moins se mettre d’accord sur cette transition ?
* Respectivement économiste et auteur d’Utopies Made in Monde, le sage et l’économiste (Odile Jacob, 2021), et journaliste spécialisée dans les thématiques économiques et environnementales qui a lancé la collection « Carnets d’alerte » aux Presses du Châtelet et le site www.carnetsdalerte.fr.