Ce livre, qui devrait particulièrement intéresser les membres et les sympathisants de Démocratie et Spiritualité, part du déni, dramatique selon l’auteur, dont la gauche française ferait preuve vis-à-vis de l’intégrisme islamiste en refusant d’en voir la dimension religieuse. A l’appui de son raisonnement, il cite les réactions du Président de la République, et de beaucoup de commentateurs progressistes, s’évertuant à affirmer, après les attentats de Janvier 2015, puis après ceux du 13 novembre, que ces actes horribles n’avaient rien à voir avec l’Islam.
« Les djihadistes avaient beau se réclamer du djihad, leurs actions ne devaient en aucun cas être reliées à quelque passion religieuse que ce fut » écrit Jean Birnbaum qui rappelle les qualificatifs qui ont été utilisés pour écarter la moindre référence à la foi : barbares, monstres sanguinaires, personnalités fragiles, gamins des cités qui ont mal tourné, panne de notre modèle d’intégration, enfants d’internet et des jeux vidéo, etc. Toutes les explications, toutes les causalités possibles, ont été envisagées sauf une : la religion.
« Il ne s’agit bien évidemment pas de nier que le djihadisme ait des causes géopolitiques ou socio-économiques » observe Jean Birnbaum mais, à ignorer sans cesse sa dimension proprement religieuse, on passe à côté de sa singularité. Pour lui, une violence qui s’exerce au nom de Dieu n’est pas n’importe quelle violence. Au regard de l’histoire récente, il ajoute : « Qu’elle ait fustigé la religion, qu’elle ait été tentée de l’instrumentaliser ou qu’elle ait fait comme si de rien n’était, la gauche a, le plus souvent, refusé de prendre le fait spirituel au sérieux ».
Ne se limitant pas à fustiger les ravages que ce déni produit actuellement, il en explore les racines et les prémisses à travers plusieurs chapitres de son livre. Celui qu’il consacre à la guerre d’Algérie est, sans aucun doute, le plus captivant, notamment pour ceux qui ont milité, à l’époque, en faveur de l’indépendance algérienne. La dimension musulmane, largement occultée du côté français dans l’histoire de cette guerre, a été le « point aveugle de l’engagement anticolonialiste ». A ce sujet il rappelle des propos sans ambiguïté de Ben Bella concernant les desseins que le FLN poursuivait dans ce domaine.
Ce « rien-à-voirisme » a aussi pour effet d’occulter la guerre qui ravage l’islam de l’intérieur et de prendre à revers ceux des musulmans qui se battent courageusement pour un islam des lumières. En effet, ces nouveaux penseurs de l’islam, comme Rachid Benzine qui pourrait participer à notre prochaine université d’été, sont bien conscients, eux, que les attaques menées au nom de l’islam aux quatre coins du monde ont quelque chose à voir avec le devenir de leur religion. Pour eux Daech fait partie de la famille même s’il en est un élément dévoyé.
L’auteur consacre aussi des chapitres à l’Iran et à l’expérience de Michel Foucault, au traitement par Karl Marx de la question religieuse ou encore aux dérives de l’extrême gauche avec le fameux épisode de la candidate voilée du NPA aux régionales de 2010. Il raconte notamment comment les militants du NPA ont vu, quelques années après, certains de leurs anciens « camarades » investis dans la lutte contre la théorie du genre et le mariage homosexuel.
Le livre de Jean Birnbaum peut susciter de sérieuses interrogations quand il tend à comparer les jeunes djihadistes occidentaux, rejoignant aujourd’hui la Syrie, aux volontaires venus défendre l’Espagne républicaine, peu avant la seconde guerre mondiale, mais il constitue sans aucun doute une interpellation salutaire. Comment comprendre, en effet, que le djihadisme soit aujourd’hui la seule cause pour laquelle un grand nombre de jeunes Européens sont prêts à aller mourir loin de chez eux ? Et comment admettre aussi qu’une partie significative d’entre eux soient des convertis n’appartenant pas à des milieux défavorisés ?
Jean-Claude SOMMAIRE (15 02 2016)
Je recommande aussi de voir, sur le site des Bernardins, la vidéo retransmettant le débat de Jean Birnbaum avec Marcel Gauchet, Fehti Ben Slama et le père Mathieu Rougé