Qu’est-ce que l’ « expérience du & » ? Quelle « mise en résonance » préparer ?
En préparant la prochaine UE, nous sommes tous d’accord pour appliquer à l’esperluette (le &) la même méthode que pour les deux précédentes sur la « spiritualité » et sur la « démocratie » en amenant le premier jour les participants à exprimer leur « expérience » le plus personnellement possible, en écoutant le second jour une pluralité d’expériences personnelles « autres », en mettant en résonance ces expressions directement, pour repousser au troisième jour les débats et les conceptualisations.
Cet exercice collectif nous a bien réussi les deux dernières années en nous permettant d’éviter les débats théoriques autour de concepts et en nous amenant à une attitude réflexive sur nos propres existences, par delà les simples « récits de vie », la description des multiples péripéties de nos vies, la complaisance que l’on trouve à se raconter : l’échange « en résonance » nous permettait de reprendre tout autrement nos divers parcours en y jetant de nouveaux éclairages, multiples et variés, dont plusieurs ont pu être fixés par écrit dans nos deux cahiers.
La force de cette résonance marque aussi sa limite, celle de nos expériences personnelles de la spiritualité et de la démocratie, ou plus précisément de ce que nous avons réussi à en exprimer par nos paroles, par nos gestes ou par nos silences partagés : nous étions bien conscients que l’expérience visée échappait à nos mots, mais nous avions pourtant réussi à la rendre présente et communicable. S’il y a eu une « mise en résonance », c’est que ce que nous en avons exprimé nous apparaissait aux uns et aux autres et de façon réciproque pleinement authentique et de ce fait, nous engageait à nous ajuster les uns aux autres et à poursuivre ce mouvement d’authenticité par le silence partagé ou par des harmoniques. Dès la deuxième journée, la confrontation avec les expériences autres (avec la « soumission » de l’islam, les rites maçonniques, la résurrection chrétienne… ou avec les expériences militantes grenobloises…) ont généré d’autres formes de résonance, beaucoup moins consensuelles. Et l’onde de nos résonances n’a guère trouvé d’écho au-delà de notre propre cercle : la rencontre avec les jeunes n’a pas eu de prolongement, la diffusion de nos cahiers reste restreinte, la mise en résonance interne de nos expériences ne nous a guère fait avancer sur une ouverture à l’extérieur ; elle ne nous a pas permis d’élargir notre audience ni notre public (contrairement à la Lettre, à notre site, aux conférences de JBF ou à la dynamique lancée autour du Pacte). Reste que la résonance entre nos expériences (ou tout du moins, entre ce que nous avons pu exprimer de nos expériences) a bien eu lieu effectivement lors de ces 2 UE en nous marquant les uns et les autres.
En ira-t-il de même avec le « & » ? L’esperluette est-elle un « quelque chose » dont on puisse faire l’expérience directement ? Comment va-t-on pouvoir en parler directement sans avoir à parler aussi de tout ce que relie le « et » ? Impossible d’exprimer notre expérience du & sans évoquer à la fois nos expériences de la démocratie, celles de la spiritualité et notre manière de les relier,
- soit comme deux pôles extérieurs l’un à l’autre, se renforçant l’un l’autre, (nous sommes tantôt spirituels et tantôt démocrates, dans une stimulation réciproque, en évitant le mélange des genres)
- soit comme deux espaces qui sont intérieurs l’un à l’autre, et qui s’imprègnent respectivement, (c’est dans de solides spiritualités que les réactions démocratiques puisent leur force, et c’est dans la vie démocratique que l’expérience spirituelle trouve son épanouissement complet)
La première différence avec les deux précédentes UE, c’est que l’expérience dont nous nous ferons l’écho, est une expérience seconde, l’expérience d’une liaison entre des expériences ! C’est donc une expérience encore plus complexe, qui a plusieurs composantes, qui est déjà formatée par des mots (que ce soit des « valeurs », des « motivations », des « justifications », des « analyses », des « conceptions de la justice, de la solidarité, du bonheur », bref des « références idéologiques »…) et par des mouvement collectifs (par l’appartenance à des mouvements de jeunesse, puis à des syndicats, à des partis, à des associations ou par notre participation à des moments historiques, la décolonisation, Mai 68, le soutien aux immigrés ou aux exclus, etc…) qui nous auront tantôt entraînés et tantôt « déçus » ou « lassés ». L’évocation de ce lien ne peut se faire sans évoquer aussi tout ce que ce lien cherche à réunir ainsi que toutes les médiations (tous les appuis, toutes les forces qui nous ont mis en orbite), et du coup notre méthode de « mise en résonance » et notre questionnaire de lancement doivent être adaptés.
La deuxième différence, à mon avis, c’est que l’expérience du & est incomparablement plus problématique que celles de la spiritualité et de la démocratie: si tous les participants des UE ont aujourd’hui une expérience vécue de la spiritualité et la démocratie relativement positive, il n’en va pas de même du « & », tant s’en faut ; c’est justement ce qui fait question autour de nous et même en nous (en France aujourd’hui, la spiritualité fait peur aux démocrates, et la vie démocratique effraie les spirituels !) ; c’est en tous cas plus flou que jamais, pour ne pas dire plus faible… et du coup, l’un des principaux objectifs de cette UE me semble être à la fois d’éclaircir ce lien et de le renforcer : la mise en résonance ne vise pas cette fois-ci seulement l’expression réciproque de chacun et l’écoute partagée d’un vécu personnel ; elle doit à mon avis viser beaucoup plus que les autres fois :
- Un travail d’élucidation d’un « quelque chose » qui, pour chacun d’entre nous, s’est beaucoup transformé et qui apparaît de moins en moins clairement
- Un renforcement de cette « chose » dont on regrette qu’elle se délite… en nous… et aussi autour de nous, car cette question est largement partagée par beaucoup de mouvements ou d’associations analogues.
Dernière différence, c’est que cette expérience ne peut pas viser seulement l’expérience personnelle des participants ; elle vise aussi de plein fouet l’expérience de l’association en tant que telle, son « objet », son « projet », sa charte. La mise en résonance de cette UE ne peut pas à mon avis éviter de mettre aussi en résonance l’expérience de l’association en tant que telle, ses réussites, ses échecs, ses moments de mobilisation, les enthousiasmes, les intérêts et les déceptions qu’elle a suscités.
Quel bilan l’association tire-t-elle du & qui est au centre de sa « raison sociale » ? Quelle « expérience collective » avons-nous vécue depuis 17 ans ? Quel écho la charte a-t-elle trouvé ? Où ? Chez qui ? Quels points de la charte sonnent moins bien ? L’heure n’est sans doute pas à la modifier ni à trouver les nouvelles formulations ; il faut aussi attendre l’apport des nouveaux partenariats noués dans le cadre de la préparation du Pacte. Mais si nous ne voulons pas que ce lien « passe à la trappe » dans la dynamique du Pacte, encore faut-il que notre association se mette au clair sur ce thème et redevienne porteuse ! Et cela lui permettrait d’ailleurs de trouver un écho dans beaucoup d’autres associations (depuis le Secours Catholique jusqu’à la Ligue de l’Enseignement) qui partagent le même souci de contribuer à la démocratie en réactivant nos capacités morales.
Il ne s’agit pas de répondre aujourd’hui aux questions auxquelles l’UE aura à répondre, mais de réfléchir à la situation dans laquelle nous sommes, aux diverses dimensions (individuelles, collectives, culturelles et associatives) de ce thème, au sens que l’on donne au mot « expérience », afin de poser les bonnes questions et de stimuler la réflexion, d’élucider et d’affermir les positions.
Que veut dire l’expérience du « & » ?
En choisissant l’ « expérience vécue » comme point de départ de la prochaine UE, nous renonçons à partir d’une présentation des différentes théories qui explicitent ce lien entre démocratie et spiritualité (dans la science politique ou dans les doctrines religieuses ou spirituelles), même si nous n’ignorons pas qu’elles configurent plus ou poins consciemment les positions (parmi d’autres éléments socio-culturels), car nous préférons adopter une démarche plus pragmatique. Mais qu’est-ce à dire ? Qu’est-ce que l’expérience du & ?
- ni un « quelque chose » que l’on puisse définir objectivement, indépendamment des expériences de spiritualité et de démocratie qu’elle relie (de la vitalité de nos quêtes spirituelles et de l’effectivité de notre implication dans la société civile ou dans l’espace politique)
- ni un vécu purement intérieur et affectif (un engagement, une adhésion, une conviction, un attachement, un désir, une volonté…) indépendamment des situations historiques, des contextes de justice ou de liberté, des rapports sociaux
- ni une « affaire » purement individuelle renvoyant à la liberté de chacun et aux choix individuels, indépendamment des médiations, des mouvements, des appartenances, des problématiques du moment, des débats portant sur les conceptions de la société
- bref, une articulation vivante et foisonnante, éminemment personnelle (en tant qu’elle implique les personnes au plus profond d’eux-mêmes, non sans les bousculer et les émouvoir), et totalement publique (en tant qu’elle implique tout un environnement social et culturel et qu’elle fait émerger des risques et des opportunités, des situations de souffrance et de bonheur…)
- et sans doute, une interaction de la spiritualité au cœur de la démocratie (pour la réactiver et l’animer), et de la démocratie au cœur de la spiritualité (pour donner corps à son désir de communication, de compassion ou d’amour)
Que rechercher dans la « mise en résonance de nos expériences du & » ?
- l’élucidation et le renforcement de l’expérience personnelle de chacun dans son histoire collective et dans son environnement actuel
- le bilan de notre charte, une appréciation sur la vie de notre association
- l’ouverture aux expériences vécues autour de nous.
Christian Saint-Sernin