Démocratie et Spiritualité est une association rassemblant des personnes de diverses sensibilités, engagées dans différents champs de la vie sociale, souhaitant réfléchir en commun sur les relations entre ces deux dimensions de l’existence dans la France d’aujourd’hui. Sans nécessairement être animés par une foi religieuse, ses membres considèrent en effet que la démocratie a besoin d’une dimension éthique et spirituelle pour mener à bien sa promesse d’égale dignité de chacun.
La Charte qui les réunit a été écrite en 1993, dans le contexte de la disqualification de l’idéologie communiste qui a suivi l’effondrement des régimes collectivistes. La crainte des rédacteurs de ce texte fondateur, crainte vérifiée depuis, était que le développement de l’économie de marché ne devienne une fin en soi des sociétés humaines. L’association travaille donc, depuis, à faire des propositions pour répondre aux diverses crises économiques, sociales et financières, mais aussi morales et citoyennes, que vit la société française.
Dans ce contexte, nous ne contestons pas que l’on ait cru devoir engager un débat sur ce qui fonde aujourd’hui notre identité nationale. C’est un fait que les intégrateurs sociaux habituels se sont affaiblis et qu’il convient de rechercher ceux qui peuvent fonctionner aujourd’hui.
Cependant, nous nous interrogeons sur le moment et les modalités qui ont été retenues pour le mener. En effet, sur un sujet aussi délicat, il aurait fallu préparer le débat selon les règles de l’éthique de la discussion et pour cela consulter les forces vives et les sensibilités de notre pays avant d’organiser, ensuite, des assises nationales du « vivre ensemble ».
Un cadre convenable eût été ainsi constitué, qui aurait permis de prendre aussi en compte notre appartenance à l’Europe et au Monde. Il est étonnant et profondément anormal que le débat ne porte pas davantage sur notre participation à l’Union européenne. Celle-ci n’est pas sans effet sur notre identité, qu’elle devrait enrichir et non appauvrir, tout en nous dotant, avec nos partenaires, d’une nouvelle identité collective nous permettant de mieux nous situer dans ce monde multipolaire et multiculturel qui est maintenant le nôtre.
Plusieurs prises de position, en lien avec ce débat, nous semblent pouvoir guider nos propres réflexions sur ce sujet, en particulier celles de :
- Claudine Attias-Donfut (le Monde du 4/12/09) sur l’identité nationale et l’intégration :
« A trop insister sur les difficultés des immigrés, que ce soit pour les accabler ou pour les victimiser, on occulte la réalité de l’intégration, somme toute très banale, de la très grande majorité d’entre eux. Il serait plus utile de débattre de notre modèle d’intégration. A mon sens, il faut tourner le dos à l’idée d’assimilation des étrangers qui nie les différences et l’identité de chaque personne dans son appartenance. Il faut conserver l’esprit de l’intégration à la française en reconnaissant l’existence d’identités multiples. Améliorons l’enseignement de la langue française, préservons le creuset de l’école républicaine. Développons la participation à la société. Et, en même temps, acceptons de reconnaître les autres religions et la diversité de notre pays ». - l’Observatoire Chrétien de la Laïcité sur la laïcité, après la votation suisse sur l’interdiction des minarets :
« Dans nos sociétés pluralistes et sécularisées où vivent ensemble des personnes de convictions et de croyances diverses, religieuses, athées, agnostiques, l’État démocratique laïque garantit les droits de la personne humaine et notamment la liberté de conscience. Cette dernière est protégée contre toute idéologie officielle ou tout communautarisme clos par cet État laïque qui garantit aussi les libertés d’association et de culte dans le cadre du respect de la loi démocratique et des droits humains. L’État laïque ne reconnaît aucune religion, aucune conviction et se trouve ainsi dans l’obligation d’assurer l’égalité de traitement des citoyens Cette obligation joue évidemment en faveur de l’Islam comme des autres formes de conviction, religieuses ou non ». - Benjamin Stora, reçu par la mission d’information sur la pratique du voile intégral (burqa), à propos de l’islam : « Il me paraît essentiel que nous puissions à la fois combattre le rejet de l’autre – ces vieux démons de l’islamisme que sont la misogynie, l’homophobie, l’antisémitisme et la xénophobie prospèrent dans certains quartiers – et en même temps adresser un message qui rappelle l’impératif d’accueil, de générosité et d’égalité citoyenne. Sans cela, vos lois seront toujours perçues comme allant dans le même sens, celui de la stigmatisation et de l’assignation à résidence identitaire perpétuelle ».
Pour éviter de réduire le débat aux questions de l’immigration et de l’Islam et pour éviter de présenter l’identité nationale comme une réalité immuable, alors qu’elle est une construction permanente, inscrite dans une histoire, recevant du passé des valeurs et animée par une dynamique tournée vers l’avenir, trois pistes de réflexion peuvent déjà être proposées :
L’identité n’est plus donnée, elle se construit
La première, c’est de réfléchir aux interactions entre identité et sens. Pendant longtemps les individus ont pu se construire, au plan identitaire, à partir d’un « sens » initial qui leur était donné au sein de la famille en fonction des appartenances sociale, religieuse, syndicale, politique, etc. Ils construisaient leur identité individuelle en s’inscrivant dans cet héritage, pour le faire évoluer ou pour s’en émanciper en le contestant, voire en le détruisant. Aujourd’hui, dans un contexte de brouillage des valeurs de référence et de déficit des transmissions familiales, les choses sont devenues plus compliquées. Les individus, plus isolés, doivent se débrouiller comme ils peuvent dans un environnement saturé d’offres de consommation marchande dans lequel les héritages porteurs de sens et d’espoir sont largement remis en question. La relation entre identité et sens se retourne : aujourd’hui, les personnes qui arrivent à donner du sens à leur vie, se donnant de l’identité, arrivent à mieux traverser les épreuves de cette société complexe et évolutive. Permettre à chacun de se construire en tant que personne et d’accéder ainsi à son identité unique, à sa citoyenneté, telle est aujourd’hui la question première. Le débat sur l’identité nationale ne doit pas servir de prétexte pour l’esquiver.
L’identité se nourrit de la richesse de nos appartenances multiples
La seconde piste, c’est de reconnaître qu’une identité individuelle accomplie se construit souvent aujourd’hui à partir d’appartenances multiples qui pouvaient être hier antagonistes. Notre modernité contemporaine a entraîné un relativisme des valeurs, souvent dénoncé, mais elle permet aussi à l’individu de faire coexister pacifiquement, dans sa valise identitaire, une pluralité de références. Il ne faut donc pas revenir sur cet acquis émancipateur de la démocratie en demandant à nos concitoyens les plus récents de choisir entre leurs diverses attaches citoyennes, sociales, spirituelles, celle qui a leur préférence. L’identité française sera naturellement la plus importante pour l’exercice de la citoyenneté, mais les autres sources d’identité, notamment les sources spirituelles, s’avèreront peut être les plus utile pour faire face aux évènements de la vie. Aussi convient-il que la collectivité nationale reconnaisse aux diverses identités une véritable légitimité sans les minimiser, afin qu’elle puisse exiger de chacune d’entre elles qu’elles reconnaissent à leur tour les autres identités, ainsi que l’identité de la collectivité nationale elle-même, tout comme les identités européennes et mondiales.
Il faut prendre en compte la confrontation des identités
La troisième piste, c’est de prendre en compte, comme nous y incite Jean-Claude Guillebaud dans son dernier livre, « Le commencement d’un monde », que nous abordons actuellement une nouvelle période de la modernité contemporaine. La longue séquence historique de l’hégémonie occidentale sur le monde s’achève et une modernité métisse s’installe au cœur même de nos sociétés. Dans ce contexte, le multiculturalisme, l’immigration, les brassages et les métissages des cultures nous posent, à l’évidence, des problèmes nouveaux que nous ne pouvons plus penser en faisant appel aux analyses et aux concepts du passé. L’altérité va faire partie de notre quotidien. Il faut s’appuyer sur elle pour favoriser les dynamiques d’interaction entre transformations personnelles et transformations collectives. Il faut promouvoir hardiment la délibération pour trouver de nouveaux équilibres s’inscrivant dans un projet commun de vivre ensemble. Ceci conduit à aborder tous les sujets qui fâchent comme la surdélinquance des jeunes issus de l’immigration ou l’apparition de ghettos dans nos banlieues.
Plus que dans des discours de circonstance, c’est dans la manière dont chacun d’entre nous, comme nos collectivités, organisent les relations entre racines et aspirations d’une part, entre vocation et engagement d’autre part, entre spiritualité et démocratie enfin, que se construisent nos identités porteuses d’un vivre ensemble. Pour partager nos expériences et nos espoirs, pour répondre à cette crise multiforme qui nous appelle à penser, agir, vivre autrement en démocratie, nous pensons que la société civile doit s’organiser. S’organiser pour proposer un Pacte civique comportant des engagements personnels, des transformations de comportements organisationnels et des réformes politiques en vue de rendre la société plus sobre, plus juste et plus créative. Ce sera la meilleure façon de travailler activement sur notre identité en la tournant vers l’avenir.