par Bernard Ginisty
Depuis plusieurs semaines, le chef de l’Etat multiplie les références à la religion. Dans son discours au Latran il déclarait : « Un homme qui croit c’est un homme qui espère. Et l’intérêt de la République c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent ». Parlant de l’éducation, il affirme que « dans la transmission et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur » – Des mots « incompatibles avec sa fonction » qui ne peuvent que « scandaliser les défenseurs de la laïcité, qu’ils soient croyants ou non-croyants », réagit le syndicat Snes-FSU.
François Bayrou, président du Mouvement démocrate et chrétien de conviction compare la conception de la religion du président français à celle de son homologue américain, George Bush. Dans un entretien publié dans Le Figaro, il regrette : « le retour que l’on croyait impossible en France du mélange des genres entre l’Etat et la religion. Ce mélange des genres n’a jamais produit de bons fruits« , ajoute-t-il. François Bayrou juge paradoxal que Nicolas Sarkozy « affiche chaque fois qu’il le peut sa complaisance avec le matérialisme financier et, en même temps, souhaite faire de la religion une autorité dans l’espace public ». »Cela s’est déjà produit dans l’histoire. Aujourd’hui par exemple, chez Bush« , ajoute-t-il.
La question est importante. C’est celle de savoir, dans cette période de mondialisation accélérée, si la vie collective se construit à partir de communautés identitaires, ou par l’accès de chaque être humain à sa responsabilité personnelle vis-à-vis du sens et des valeurs. Si le domaine religieux constitue l’espace des langues maternelles du sens, la vie spirituelle commence avec la « seconde naissance », celle où chaque être humain fait l’épreuve personnelle de ce qu’il pense, de ce qu’il croit, et cet espace-là est laïc. En langage chrétien, cela se dit ainsi : nul ne peut faire partie du Royaume s’il ne renaît de l’Esprit. L’Évangile refuse de faire de la géographie ou de la généalogie d’un être humain un destin.
Est-ce à dire que la laïcité serait la négation de toutes ces langues religieuses premières ? En aucun cas. Et c’est là qu’il nous faut prendre distance avec la laïcité étriquée de ceux pour qui les sources religieuses n’auraient aucun sens, leur destruction conditionnant la libération de l’homme. Il est vrai que l’espace laïc s’est créé en France contre le cléricalisme et qu’il convient d’être vigilant sur toutes les tentatives de restauration. Cela dit, une fois que le combat laïc a obtenu ce progrès fondamental qui consiste à séparer les pouvoirs séculiers des croyances et des instances porteuses des langues du sens, il reste le plus difficile, à savoir favoriser le chemin de chacun vers sa propre responsabilité. C’est ce qu’exprime avec beaucoup de justesse le grand croyant que fut le philosophe Emmanuel Levinas : « les rapports interhumains, indépendants de toute communion religieuse, au sens étroit du terme, constituent en quelque façon l’acte liturgique suprême, autonome par rapport à toutes les manifestations de la piété rituelle. Dans ce sens, sans doute, les prophètes préfèrent la justice aux sacrifices du temple. (…) C’est à l’homme de sauver l’homme : la façon divine de réparer la misère consiste à ne pas y faire intervenir Dieu. La vraie corrélation entre l’homme et Dieu dépend d’une relation d’homme à homme, dont l’homme assume la pleine responsabilité, comme s’il n’y avait pas de Dieu sur qui compter. État d’esprit conditionnant le laïcisme, même moderne. Il ne se présente pas comme le résultat d’un compromis, mais comme le terrain naturel des plus grandes œuvres de l’Esprit. » +.
Un tel propos nous rappelle que le sens d’une religion n’est pas de servir tel ou tel ordre sociétal, mais d’ouvrir chaque particularisme à la fraternité universelle.
Bernard Ginisty