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3/L195 – Quelle vision de la société française et quel rôle pour des intellectuels engagés ? par JC Devèze

Jean-Claude Devèze (Version du 23/01/23)

Quelle vision de la société française et quel rôle pour des intellectuels engagés ?

Dans notre monde déboussolé, alors qu’une vision pessimiste de la société française et de son avenir se répand, la question se pose du rôle des intellectuels pour éclairer les débats en cours et proposer des voies et moyens pour co construire un futur désirable.

 

Quelques éléments sur la situation de la France

  • En positif : place dans le monde encore importante (ONU, UE, langue, culture, etc.), respect des libertés fondamentales, filet social protecteur, Etat régalien encore présent presque partout, riche patrimoine, socle républicain et démocratique, etc.
  • En négatif : démographie déclinante, désindustrialisation, affaiblissement de notre puissance agricole, territoires perdus de la République (banlieues, départements ultramarins, séparatismes, dégradation des services publics), poids des mafias et trafics, multiplication des normes et codes déshumanisants, etc.

 

Quelle vision de la société française ?

  • Une vision pessimiste dominante (1)
      • La vie en société devenant plus difficile suscite des critiques et plaintes multiples ; de nombreux Français souffrent en effet de divers maux réels, mais les exigences autocentrées de nombreuses minorités et corporations oublient de les resituer dans le cadre de la prise en compte de l’intérêt général.
      • Les tensions et les nouvelles anxiogènes se multiplient ; fuyant celles-ci, omniprésentes sur les médias, beaucoup de nos concitoyens deviennent indifférents ou fatalistes.
      • Le tissu démocratique s’érode ; la gouvernance technocratique à base de chiffres et de normes nous envahit ; la culture se déculture ; les religions se cherchent entre une sécularisation où souffle trop rarement l’esprit, des intégrismes où le religieux cherche à prendre un pouvoir politique et une recherche spirituelle dominée trop souvent par la quête d’un développement personnel.
      • La valeur travail perd de sa consistance (on pense plus au temps passé hors effort qu’aux recherches exigeantes de sens partagé).
      • Face aux problèmes et aux contraintes qui s’accumulent pour une majorité de Français (éducation, santé, enfance en danger, dépendances, violences, climat, pauvreté, etc.), on a du mal à discerner les solutions permettant de réhumaniser nos relations et de rendre nos territoires plus habitables.
      • Le pouvoir politique affaibli (décadence des partis, régime trop présidentiel, abstention croissante, perte de civisme…) a du mal à lutter contre les populismes alimentés par les peurs (sécurité, immigration, déclassement, etc.).
      • L’Etat peine à résoudre les problèmes urgents (santé, éducation, justice) et à lutter contre les divers séparatismes, procrastinant, démissionnant, communiquant plus qu’agissant, refusant d’augmenter la fiscalité des plus riches, etc.
  • Des prises de conscience ayant du mal à s’incarner pour édifier un devenir commun
      • Les multiples prises de conscience, en particulier des jeunes sur l’urgence écologique, ne suffisent pas à vaincre les multiples pesanteurs politiques,  sociales, culturelles.
      • L’importance de la dimension internationale, en particulier avec la guerre en Ukraine, est mieux appréhendée, mais se heurte à la l’obstacle du domaine réservé du Président, aux lenteurs de la construction européenne et à l’affaiblissement du multilatéralisme à la suite du rejet de l’Occident.
      • Les initiatives trop dispersées de l’État ont du mal à converger pour dynamiser certains territoires délaissés, pour combattre le pessimisme ambiant, etc.
      • Les difficultés des invisibles, pourtant de plus en plus repérées par les radars sociaux, ne sont toujours pas prises en compte.
      • Les multiples organisations de la société civile ont du mal à coopérer entre elles (même au Pacte du pouvoir de vivre) et à peser face à un État en panne de vision mobilisatrice et de stratégie crédible.
  • Des collectifs en manque d’interactions constructives 
      • L’individualisme ambiant entrave la construction de personnalités sachant allier corps, âme et esprit pour se construire et pour co-construire.
      • Les coopérations entre organisations, souvent centrées sur leurs priorités et en recherche de visibilité, restent difficiles à construire dans la durée.
      • La montée des communautarismes se nourrit du besoin d’identités sécurisantes aux dépens de cheminements au sein de communautés fraternelles et ouvertes capables de discerner.
      • La difficulté à partager des imaginaires communs porteurs de renouveaux motivants s’accroît.
  • L’importance de faire converger et interagir les transformations personnelles et transformations collectives (par exemple dans le cadre de travaux intellectuels structurants) est trop souvent oubliée.

Quel rôle pour des intellectuels engagés face à cette situation ?

  • Se centrer sur un essentiel à penser, à partager et à vivre
      • Prendre mieux en compte les réalités vécues en dialoguant avec le peuple français dans toute sa diversité et en intégrant la dimension internationale.
      • Contribuer à élaborer un essentiel partagé s’inscrivant dans un récit motivant allant du local au global.
      • Renforcer les capacités à dialoguer et à délibérer en promouvant l’éthique du débat entre intellectuels reconnaissant humblement leurs limites.
      • Promouvoir le civisme grâce à l’éducation scolaire et populaire.
      • Décloisonner nos sociétés grâce au dialogue entre générations, entre genres, entre classes sociales, entre territoires, entre nations, etc.
  • Explorer des voies nouvelles compte tenu du diagnostic sur l’évolution de la société 
      • Élaborer une vision mobilisatrice de notre devenir prenant en compte l’évolution de notre société et les imaginaires des Français.  s’appuyant sur leurs imaginaires communs, réussir les mutations indispensables avec les acteurs concernés, promouvoir le bien commun et le bien vivre, etc.
      • Chercher des convergences durables entre Français prenant en compte des intérêts réciproques dans la durée.
      • S’attaquer à la question de l’émergence d’élites de qualité se mettant au service de la collectivité, ce qui facilitera la désignation parmi elles de personnes capables de s’impliquer dans des démarches collectives (par exemple pour désigner des candidats à des élections démocratiques, y compris celle de président de la République).
      • Travailler avec les jeunes générations sur les cheminements communs à conduire et sur les bifurcations à envisager.
  • Promouvoir des perspectives politiques cohérentes et désirables s’incarnant
    • Partager nos visions du monde en veillant à leur cohérence avec nos manières de faire société.
    • Contribuer au décloisonnement de la société civile en élaborant des convergences politiques autour de processus démocratiques et de propositions largement partagées (par exemple dans le cadre du Pacte de pouvoir de vivre).
    • Mettre en scène et en chaîne des innovations et des initiatives porteuses du bien commun et redonnant de l’espérance en nos capacités de se mobiliser autour de projets partagés (exemple de Territoires zéro chômeur de longue durée).
    • Contribuer à promouvoir des réformes politiques durables dans le cadre de processus rigoureux requérant une ingénierie démocratique (diagnostic, délibération, discernement des priorités et des actions, prise de décisions, évaluation rétrospective).

 

Les citoyens comme les intellectuels doivent mobiliser leur cœur et leur intelligence pour faire face aux évolutions préoccupantes de nos sociétés et de nos civilisations. Passer de nos prises de conscience à des dialogues permettant de discerner les voies à suivre, à des pouvoirs d’agir rassembleurs, à des organisations et institutions pertinentes requiert de donner du sens et de la cohérence à nos transformations personnelles et collectives.

 

1/  J Julliard : « Un déclin délibéré » (Le Figaro du 5/12/22) ; Houellebecq et Onfray  l’effondrement de la France, avec une prochaine guerre civile en lien avec le grand remplacement (revue Front populaire) ; G Bencheikh : une société foutraque et un Etat qui démissionne (Fondation Jean Jaurès) ; J Fourquet : un archipel français plein de fractures ; etc.

A propos Régis Moreira

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