Colloque-action du 1er février 2025 : Spiritualité(s), archipel ou bien commun ?
Intervention lors de la table ronde « Vers une dynamique d’actions communes »
Pour moi, l’interaction est forte entre spiritualité et action, je n’imagine pas l’une sans l’autre. La spiritualité doit déboucher sur l’action, et l’action doit être d’une façon ou d’une autre être immergée dans la spiritualité.
La spiritualité est en effet nécessaire pour éclairer l’action à deux titres au moins : d’une part, il s’agit, dans les deux cas de se confronter à la question du mal et de la souffrance (d’où vient-elle, comment y remédier ?) ; d’autre part, nous avons tous à travailler sur la tradition dans laquelle nous avons été élevés, sur notre langue maternelle du sens que nous devons revisiter, spiritualiser, intérioriser pour mieux mesurer sa portée et ses limites.
Mais alors, à quelles conditions la ou les spiritualité(s) peuvent-elles faire bloc pour aider à faire face aux grands défis actuels ? Cela dépend à mon avis de notre capacité à établir des rapports féconds entre ces trois aspects de la réalité que sont les spiritualités personnelles, les religions, et ce que l’on pourrait appeler la méta-spiritualité (le commun des spiritualités et des religions, la dimension oubliée). Essayons de préciser cela.
Les spiritualités : j’entends ici celles qui sont auto construites par les personnes qui intériorisent divers matériau religieux ou philosophiques en fonction de leur vision de la vérité, de leurs besoins, et de leurs capacités ; les spiritualités se sont beaucoup développées pour combler le vide laissé par les religions et redonner du sens à la vie confrontée à la souffrance. On peut parler à cet égard d’une sorte d’intériorité de masse. Ces spiritualités sont assez ouvertes au méta-spirituel, par nature (cf. Infra), mais elles n’en cultivent que des fragments. Et ne disposant d’aucune de ces forces unificatrices que sont la métaphysique, la liturgie, ou les repères éthiques stables, elles ont peu de chance de dépasser la juxtaposition de démarches individuelles, authentiques certes, mis ne faisant pas bloc en vue d’une dynamique d’actions communes. On est donc là plus dans l’archipel que dans le bien commun.
Un redoutable fossé s’est peu à peu institué entre spiritualité et religion. Les tenants des spiritualités reprochent aux religions, souvent de manière véhémente, ce qui est perçu comme une mécanique sacrificielle du salut fondée sur des règles morales rigides, trop extérieures aux personnes, ne prenant pas assez en compte la variété des situations individuelles et les apports des sciences sociales et psychologiques. Ce fossé ruine le commun. Il existe pourtant, car les traditions religieuses, dans ce qu’elles ont de meilleur, sont porteuses de diverses spiritualités. Mais la liaison ne se fait plus bien. Les religions, pour une partie d’entre elles, se réfugient dans une attitude intégriste qui constitue une forme de refus du monde ; et celles qui cherchent à se réconcilier avec le nouveau monde dans lequel nous sommes peinent à convaincre et ne génèrent pas actuellement la recherche philosophique, théologique et spirituelle qui serait nécessaire. Ce rapprochement entre les spiritualités et les religions est pourtant la condition d’un commun.
Peut-être celui-ci pourrait-il se constituer dans le cadre de ce qu’on pourrait appeler le méta-religieux ou la méta-spiritualité. Il s’agit d’une attitude qui tend à considérer que ces différentes approches sont les composantes d’une Vérité ultime qui nous dépasse, qu’aucune ne peut expliciter intégralement et qui s’enrichissent mutuellement dans leurs cheminements différents. Car il y a dans ces approches au moins autant de points communs et d’accords implicites que de contradictions. Ce filon discret, se trouve notamment, et par exemple, dans « Nathan le sage » de Lessing (1779) , dans « Le Jeu des perles de verre » d’Hermann Hesse (1945), dans « La philosophie éternelles » d’Aldous Huxley (1945) ou dans « L’homme intérieur et ses métamorphoses » de Marie-Madeleine Davy (1978). Et on pourrait citer bien d’autres exemples de livres de ce type qui ont aidé des spiritualités personnelles à se former, au sein d’une tradition, ou en dehors d’elles. On constate également que beaucoup de parcours spirituels au sein d’une tradition prennent de l’élan grâce à l’étude d’une autre tradition (c’est ce que Panikkar appelait l’intra-spiritualité). Mais ce courant n’est guère formalisé et enseigné en tant que tel, en particulier parce que les religions s’en méfient généralement, y voyant une sorte de surplomb par rapport à une position qu’elles entendent occuper seule. Pourtant, cette méta-spiritualité bien comprise ne dévalorise pas les religions ni les spiritualités individuelles, bien au contraire.
Peut-être y-a-t-il là un moyen de sortir par le haut des difficultés actuelles, de dépasser l’actuelle juxtaposition, dont on ne voit que trop les limites, et de faciliter ainsi la convergence des actions.