7L208: Pensées vagabondes de début d’année 2025 par Stéphane Garros

Il y a 10 ans, du 7 au 9 janvier 2015 une série d’attentats meurtriers a endeuillé la France en
s’attaquant à des symboles forts de la nation dont le fameux triptyque républicain « Liberté – Egalité
– Fraternité »
Car comment ne pas déceler une triste analogie entre ces 3 valeurs essentielles et indissociables qui
sont l’étendard de notre pays et les victimes innocentes fauchés par une haine ignoble et assassine à
leur encontre et à l’encontre des valeurs susnommées ?
Le sang qui a coulé dans les locaux de Charlie Hebdo, c’est le sang de la liberté, dont la liberté
d’expression est un des murs porteurs, à travers la satire, la caricature et l’humour.
Le sang qui a coulé dans la rue le 7 janvier et le lendemain à Montrouge est le sang de l’égalité, celui
d’agents de Police qui veillent à la sécurité de tous, de manière égale, sans distinction.
Le sang qui a coulé à l’hyper-Casher, c’est le sang de la fraternité, celle qui consiste à associer les
différences dans la construction d’un destin commun, à reconnaître celui qui croit différemment ou
celui qui ne croit pas comme un citoyen à part entière plutôt qu’entièrement à part.
Hélas 10 ans après, tout comme la liesse fédératrice alors appelée France « Black-Blanc-Beur » suite
à la victoire à la coupe du monde de Football en 1998, cette union dans la douleur et la
condamnation des attentats n’a été qu’un feu de paille.
Aujourd’hui notre pays est fragmenté, miné par des conflits dans le monde dont les secousses se font
sentir sur notre sol.
Et chacun est sommé de choisir ses victimes, au pire en rejetant totalement la légitimité et le sort des
autres victimes, au mieux en les minimisant dans une morbide comparaison et hiérarchisation.
Dans ce terrible conflit israélo-palestinien, je n’arrive pas à comprendre que les français de toutes
origines et confessions ne se montrent pas capable de s’unir et de marcher tous ensemble contre
toutes les morts innocentes, celles israéliennes du 7 octobre et celles palestiniennes parmi les civils
de Gaza, et de réclamer toujours ensemble à la fois la libération des otages et la fin d’une guerre qui
tue tant de civils. Le seul camp à choisir est celui des victimes, de toutes les victimes.
D’autres actualités de janvier me rendent sceptique sur le fait que 2025 serait une année d’espoir
pour retrouver la cohésion nationale.
En effet, si combattre le terrorisme et condamner l’islamisme reste plus que jamais une nécessité et
un axe à renforcer, il serait contreproductif dans cette nécessaire lutte de ne pas arriver à faire la
différence entre musulmans et islamistes.
Hélas, cette nuance est de plus en plus ignorée, à l’instar de CNEWS dont la ligne éditoriale
obsessionnelle concernant l’islam en serait presque risible si elle n’était pas si dramatiquement
dangereuse par les amalgames que la chaine répète à longueur de journée.
Tous les poncifs y passent, du grand remplacement au séparatisme musulman et depuis peu, comme
le levier de la peur est toujours médiatiquement porteur, CNEWS a franchi le Rubicon en tentant
d’effacer petit à petit, en douceur, comme la fameuse grenouille dans la casserole, la frontière entre
l’islam et l’islamisme.
On y entend, de manière redondante que l’islam serait une religion importée et qu’elle serait
incompatible avec la république au grand mépris de tous les musulmans qui se sentent pleinement
français sans que cela leur pose problème.

Soit dit en passant il me semblait que toutes les religions monothéistes présentes en France, y
compris le catholicisme étaient des religions originaires du Proche-Orient et non pas nées sur le sol
de France.
Serions-nous donc désormais contraints, par souci de cohérence historico-géographique, de
rechercher avec force et détermination des vieux druides new-âge qui seraient garants d’une
spiritualité porteuse de notre héritage gaulois ??
Avec toutefois le risque de devoir demain les remplacer par une spiritualité portée par les dessins
rupestres de nos grottes préhistoriques car cette spiritualité serait légitimement plus anciennement
ancrée sur notre territoire……. jusqu’à ce qu’on se rende compte que ces dessinateurs préhistoriques
étaient en premier lieu des migrants venus d’ailleurs.
Et qui oserait expliquer aux amérindiens, descendants des peuples animistes autochtones que le
Christianisme d’origine des Etats-Unis (sic) pourrait être demain menacé par un islam invasif ?
Il m’est venu à l’idée en ce début d’année qu’il est en fait heureux que l’islam existe car il est porteur
de bénéfices inattendus dans sa capacité à transformer des personnes, même si ces personnes sont
avant tout des non-musulmans.
L’islam, par la détestation qu’en ont certains, a ainsi contribué à convertir de nouvelles personnes au
principe de laïcité ainsi qu’à la liberté d’expression.
Je plaisante évidemment car cet intérêt nouveau porté à la laïcité et à la liberté d’expression par des
personnes qui y étaient parfois anciennement hostiles est biaisé par la définition fausse qu’ils s’en
font et par la partialité qu’ils manifestent dans leurs jugements ainsi que leurs indignations.
Certains défendent la Laïcité et la liberté d’expression avec force car ils y voient un instrument contre
l’islam.
Combien de personnes, en particulier sur les plateaux de CNEWS, affirment que la laïcité devrait se
montrer intransigeante avec l’islam et devrait faire preuve d’adaptation avec le christianisme qui
serait l’essence de la France ?
Ils participent de ce fait à abimer et détourner ce beau principe de laïcité qui nous permet de faire
société ensemble et en même temps ils envoient un message selon lequel il y aurait des droits
différents pour les citoyens selon leur religion. N’est-ce pas là une volonté de séparation ?
Paradoxal me direz-vous quand parfois certaines de ces mêmes personnes nous bassinent avec les
dangers du séparatisme musulman.
Il en va de même pour la liberté d’expression où l’on peut voir émerger des nouveaux défenseurs de
Charlie, parmi ceux qui étaient les plus critiques avec l’humour et la caricature quand ils se sentaient
blessés dans leurs convictions.
Ce nouveau « Charlisme » est d’ailleurs fluctuant, fragile et éphémère en fonction de la cible de la
caricature.
Certains sont Charlie le lundi vu qu’on doit pouvoir rire de l’islam car il n’y a pas de limite à la
caricature et anti-Charlie le mardi car quand même il y a des limites à la caricature et qu’on ne peut
pas rire de tout.
Les indignations sélectives sont hélas un des maux majeurs de notre époque et CNEWS en est
souvent l’exemple frappant.

En effet cette chaine dénonciatrice d’un séparatisme musulman qu’ils sous-entendent généralisés et
qui met en doute insidieusement la sincérité de la citoyenneté des musulmans n’a pas hésité à inviter
sur ses plateaux avec une bienveillance confondante Jo PERALDI qui raconte son engagement avec le
FLNC (Front de Libération Nationale Corse) dans son livre « Confessions d’un patriote corse ».
Le FLNC qui incarne le nationalisme Corse et sa volonté, parfois violente et meurtrière d’obtenir
l’indépendance de la Corse.
Il y a donc chez CNEWS une condamnation très fluctuante de la notion de séparatisme.
Et même si Jo PERALDI explique avoir organisé la cavale d’Yvan COLONNA, l’assassin du Préfet
ERIGNAC, il a reçu sur le plateau de CNEWS un accueil des plus chaleureux.
On peut donc être séparatiste, issu d’une organisation clandestine qui a du sang sur les mains, avoir
lutté contre la France, avoir protégé l’assassin d’un préfet (plus haut représentant de l’Etat dans les
régions et départements de France) et être reçu avec tous les honneurs.
CNEWS choisit ses cibles et ses colères et préfère donc logiquement nous parler du concept d’
« Insécurité culturelle » défendu par le député Charles RODWELL, insécurité culturelle dont serait
bien sur responsable l’islam grandissant.
Lutter contre l’insécurité se comprend et semble même salutaire mais lutter contre une potentielle
insécurité culturelle est une aberration totale.
La culture est quelque chose de mouvant, qui absorbe, se nourrit d’apports extérieurs et d’héritages
locaux ou régionaux, qui se régénère, évolue, invente de nouvelles expressions.
La culture française est riche et reconnue à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières mais il est
évident que la culture française du moyen-âge, de la renaissance, du 19 ième ou du 21 ième siècle est
différente.
Et il y aura dans le futur des changements, des apports comme il y en a toujours eu et la culture doit
avoir confiance en ses valeurs pour éviter de sombrer dans la peur et le refus de la rencontre.
Le jour où la culture aura peur et se renfermera sur elle, elle se sclérosera et c’est là qu’elle sera en
danger comme toutes les civilisations qui par souci de pureté, par peur, ou par sentiment de
supériorité ont refusé la porosité vers l’extérieur et ont toutes contribué à la fin de leur grandeur et
de leur rayonnement.
La vraie insécurité culturelle c’est l’enfermement sur soi et le refus d’évoluer.
Quand le Jazz est né, il était perçu comme une sous-musique basée sur l’héritage de l’esclavage, un
style inventé par des noirs, réservé au noir sur fond d’improvisation opposé à la noblesse de la
musique classique réservée aux blancs et fidèle aux partitions écrites.
100 ans plus tard, il est une musique noble et universelle dont se sont inspiré bon nombre de
nouveaux genres musicaux.
Le Jazz était pourtant perçu à sa naissance comme un danger culturel !!!
Pour continuer on ne peut pas s’étonner qu’une chaîne comme CNEWS soit ainsi capable de jouer sur
la peur et la stigmatisation quand sur ses antennes on ose répéter plusieurs fois, le jour de sa mort,
que Jean-Marie LE PEN était un lanceur d’alerte et un visionnaire.

Ce même personnage qui en plus de ces propos antisémites avait déclaré qu’il n’était pas Charlie,
mais qu’il était Charles MARTEL.
Il fut troublant pour moi d’observer, après la mort de Jean-Marie LE PEN, une attitude à rebours du
Rassemblement National.
Après avoir il y a quelques temps, dans un souci de « dédiabolisation », changé le nom de son parti et
exclu son fondateur, condamnant à juste titre ses dérives et obsessions antisémites, voilà que le
Rassemblement National nous offre le spectacle de la réhabilitation politique de Jean-Marie LE PEN
pendant que d’autres, de manière aussi honteuse, en contrepoint macabre, se réjouissent de la mort
d’un homme en chantant, dansant et sabrant le champagne. Deux tristes spectacles de notre
société.
Pour conclure j’affirme que pour ma part il n’y aura jamais d’indignation sélective.
Une victime innocente est une victime innocente et elle recevra ma douleur, ma considération et
mes larmes d’une égale façon, qu’elle soit juive, chrétienne, musulmane, non-croyante ou d’une
autre confession.
En ces jours d’espoirs, mon cœur est joyeux de penser que les otages du 7 octobre pourront
retrouver leurs familles et malgré le calvaire vécu tenter de se reconstruire.
Mon cœur est aussi joyeux de penser que des civils palestiniens innocents ne mourront plus sous les
bombes et les tirs et pourront malgré le calvaire vécu tenter de se reconstruire.
J’affirme aussi que pour ma part la laïcité n’est pas fluctuante en fonction des religions.
La laïcité, telle que définie, garantit la liberté de conscience, elle implique la neutralité de l’Etat et
impose l’égalité de tous devant la loi sans distinction de religion ou conviction, elle garantit aux
croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté d’expression de leurs croyances ou
convictions, elle implique la séparation de l’Etat et des organisations religieuses, elle n’est pas une
opinion parmi d’autres mais la liberté d’en avoir une, elle n’est pas une conviction mais le principe
qui les autorise toutes sous réserve du respect de l’ordre public.
J’affirme enfin que pour ma part la liberté d’expression n’est pas fluctuante en fonction des religions.
Je suis Charlie dans le sens où la caricature, la dérision, la critique où l’humour n’ont pour seule limite
que les limites de la loi, à savoir l’injure, la diffamation, la provocation à la haine, l’apologie du crime
ou l’incitation à la violence.
Si la liberté d’expression où l’exercice humoristique entre dans un de ses cas et si des personnes se
sentent blessés il est toujours possible de porter plainte.
La justice et le droit, à l’inverse de la vengeance et de la violence seront toujours le chemin de la
résolution des conflits.
J’aime l’humour, je le chéris dans sa capacité à convoquer les rires, la dérision et les
questionnements, ainsi que dans sa capacité à chatouiller, à critiquer, à remettre en question. Je
l’aime dans sa liberté et son génie. Mais je peux comprendre qu’on puisse penser qu’il n’est pas
possible de rire de tout, qu’on puisse être blessé par des mots, des dessins ou des images présentées
sous le signe de l’humour.
Mais rien ne peut justifier la violence ou le sang versé.

J’aime à penser que l’artiste est libre et que la garantie de sa liberté nourrit et renforce son génie
créatif.
J’aime aussi à penser que la part de sacré qui peut animer certains d’entre nous est si forte et si
grande qu’elle ne peut être atteinte par aucune caricature ou provocation.
Car au final celui qui insulte le plus la grandeur de Dieu n’est pas celui qui fait une caricature mais
celui qui y voit une offense si forte qu’il se croit autorisé à défendre Dieu se plaçant de ce fait au-
dessus de lui.
Mais quel est donc cet homme à l’égo surdimensionné qui juge Dieu si petit qu’il s’en fait le
protecteur ? Ne devient-il pas lui-même une caricature ?
Voilà où vagabondent mes pensées dans la morosité de ce début d’année 2025.
En conclusion je vous souhaite de trouver l’espoir ou l’espérance, c’est selon, pour cheminer
sereinement vers 2026 avec dans votre besace, un peu d’humour et la farouche détermination du
pèlerin sur les chemins tortueux menant à la fraternité.
Stéphane GARROS
Début janvier 2025