Bas les masques le Rassemblement national ! Le président du RN a fait dans son discours de lancement de campagne en mars 2024, un réquisitoire contre l’Union européenne. Les « orientations » exprimées pour l’Europe[1], à Marseille, et ses votes au Parlement sur le dernier mandat montrent l’outrance, le flou, les contradictions, et surtout les mensonges de ce parti de fait resté anti-européen.
L’outrance :
L’avenir proposé par l’Union européenne ne serait pas de mener une « transition écologique », mais de conduire à « un effacement anthropologique ». L’explosion du coût de l’énergie serait « un choix idéologique dont l’objectif est de limiter l’activité industrielle et même individuelle des Français ».
Assurant du « recul de la France chez elle, mais aussi en Europe et dans le monde », le président du RN établit un lien entre l’immigration et l’arrêt présumé du « lent progrès de la civilisation française, qui avait permis de pacifier les relations humaines et l’espace public ». Il considère ces élections comme un « référendum contre la submersion migratoire ».
Les contradictions :
Sur la conception de l’Europe : Le RN dit ne plus défendre un « Fréxit », mais se garde de détailler par quel moyen il peut mettre en œuvre sa vision d’un « espace de coopération entre les nations et de grands projets » à la carte… Cette « Europe des nations » est fondée sur des coopérations interétatiques d’opportunité, sans stratégie commune ; projet très théorique qui, sans l’assentiment de l’ensemble des Vingt-Sept pour réviser les traités, menacerait la France de sanctions économiques et politiques. L’objectif de « démantèlement » de l’Europe reste donc bien inchangé.
Sur les migrations : Le RN, qui se félicite d’avoir recruté l’ancien directeur de Frontex[2], a toujours refusé de voter des moyens supplémentaires pour cette agence de contrôle des frontières ; pour ce parti, l’Union européenne serait obnubilée par son « projet d’organiser sa propre submersion migratoire ». Le RN qui se pose en « lanceurs d’alerte » sur le manque de volonté de Bruxelles de protéger les frontières extérieures de l’UE, s’est opposé frontalement, au cours de la dernière décennie, à chaque tentative de renforcement des moyens de Frontex. Il a toujours dénoncé l’existence de cette agence, refusant par principe toute initiative communautaire susceptible d’entraver la souveraineté absolue des Etats sur leurs frontières, alors même que cette initiative a été assortie de recrutements massifs et d’un partage entre Etats d’informations susceptibles de protéger l’entrée dans l’espace Schengen. Les députés RN ont ainsi voté contre la création en 2019 d’un fonds de 8 milliards d’euros pour la « gestion intégrée de frontières extérieures » ou le recrutement de milliers d’agents pour étoffer les rangs de Frontex.
Sur l’agriculture : Le président du RN vilipende aujourd’hui la décroissance agricole qu’induirait à ses yeux la stratégie européenne « de la ferme à la fourchette » et se présente comme le premier défenseur de la Politique Agricole Commune (PAC), que le RN comptait pourtant abandonner dans son programme de 2019 ! Récemment, les eurodéputés RN ont voté contre les prix planchers, contre l’encadrement des marges, bref contre les agriculteurs et pour l’agrobusiness ! Ils ont majoritairement voté pour les accords de libre-échange, notamment avec la Nouvelle-Zélande, et pour le détricotage du droit du travail et de la protection de l’environnement.
Et sur bien d’autres sujets : En outre, alors que les droits des femmes constituent un des axes de la « dédiabolisation » du RN, en janvier 2020 celui-ci a désapprouvé une résolution résorbant les écarts de salaires entre les femmes et les hommes, et quelques mois plus tard, a rejeté une résolution qui condamnait la réglementation polonaise sur le droit à l’avortement.
On pourrait évoquer également les votes du RN dans la période récente, notamment contre le plan de relance européen (pourtant salué pour faire face au choc économique de la pandémie Covid), ou contre l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, ou encore contre la mise en œuvre de la politique étrangère et de sécurité commune…
Il est toutefois un sujet sur lequel le RN est constant dans la durée, c’est la relation avec la Russie : sur l’aide financière à l’Ukraine de 50 milliards actée au dernier Conseil européen, sur les sanctions envers la Russie ou encore la fourniture d’armes dépassant le simple arsenal défensif à l’Ukraine, le RN s’est abstenu ou a voté contre, pour éviter de trancher des questions qui l’embarrassent. Il a aussi en 2020 rejeté une résolution condamnant la tentative d’assassinat d’Alexeï Navalny. En 2021, il a refusé de voter un texte condamnant les violences commises par le groupe militaire privé russe Wagner.
Les mensonges : en particulier sur l’écologie
Le RN mène une offensive de démolition à l’encontre de la politique climatique européenne sans proposition de solutions alternatives : la transition écologique serait « responsable de la désindustrialisation, de l’appauvrissement des classes moyennes ». L’écologie « positive » que le RN prétend porter consiste à renoncer aux objectifs de l’Accord de Paris sur le climat sans le dire, par exemple en partant en croisade contre les véhicules électriques ou les énergies renouvelables. Il s’agit de fait d’une régression climatique qui risque de maintenir les ménages (moyens et modestes en particulier) dans une dépendance dangereuse au gaz et au pétrole au moment où les Européens voient leurs factures énergétiques et de carburants s’envoler à cause de ces mêmes énergies fossiles. Même si en 2022, la candidate Le Pen a affirmé ne pas vouloir sortir de l’Accord de Paris (alors qu’elle s’était abstenue lors de sa ratification), tous les éléments de son programme et le vote des députés RN au Parlement européen montre qu’elle n’a aucune intention de le respecter. Le RN promet l’arrêt des projets solaires et le démantèlement des éoliennes en France. Les députés européens du RN et de Reconquête – le parti d’Éric Zemmour – ont aussi voté contre le doublement de la part des énergies renouvelables prévu par le Pacte vert[3].
Bien qu’il se considère comme le défenseur des classes moyennes et populaires, le Rassemblement national s’oppose aux solutions européennes qui pourraient aider les ménages dans la transition énergétique. Ainsi, il a voté contre le Fonds social pour le climat ; ce fonds vient pourtant en aide aux ménages qui souhaitent rénover leur logement, accéder à un véhicule électrique ou installer une pompe à chaleur par exemple. Doté de 86,7 Mds d’euros, il cible les classes moyennes et populaires, pour leur permettre de sortir de leur dépendance au gaz et au pétrole pour se chauffer et se déplacer.
Au contraire, le RN défend la baisse de la TVA sur le gaz, le fioul et les carburants à 5,5% au lieu de 20% à l’échelle nationale, ce qui encourage donc la consommation des énergies fossiles, accroît le déficit de nos finances, et profite aux grands consommateurs dont les plus riches, ainsi qu’aux grands producteurs, comme la Russie…
Par ailleurs, le RN s’est opposé (ainsi que Reconquête[4]) à une mesure forte en faveur de la justice sociale : la taxation des superprofits des géants du pétrole, gaz et charbon. Ces derniers ont atteint 200 milliards d’euros en 2022 en raison de la hausse des prix des carburants et du gaz. Les taxer permettrait de financer les aides pour les ménages et de mettre en place un bouclier énergétique.
Le flou des alliances :
Il n’existe pas de réel projet des extrêmes droites au sein de l’Europe, faute d’accord sur les deux principaux sujets qu’ils portent dans leurs pays respectifs : l’immigration et la relation avec la Russie.
En termes d’alliances au parlement européen, le RN, très soucieux d’apparaître comme un parti de gouvernement respectable, est embarrassé par son alliance avec le parti allemand Alternative für Deutschland (AfD), alors qu’a été révélé le projet[5] de ce dernier d’expulsion massive de personnes d’origine étrangère.
Quant à la relation avec la Russie, elle divise les partis européens d’extrême droite, notamment les partis Vox (Espagne) et Fratelli d’Italia (G.Meloni) très atlantistes et antirusses, d’une part et le RN (ainsi que La Ligue de Salvini, l’AfD (Allemagne), ou le FPÖ (Autriche), tous pro-Poutine, d’autre part.
Et alors, que faire ?
Au-delà de ces constatations, il importe de s’interroger sur la façon dont nos organisations démocratiques (institutions européennes, partis, associations, ONG, médias…) peuvent répondre à la « banalisation » de la rhétorique du rejet de l’autre, du repli sur soi et des « discours antisystème » relayés en particulier par les réseaux sociaux (le RN maîtrise bien l’usage notamment de TikTok et de You Tube).
Il convient aussi de comprendre et d’apporter des réponses lisibles à la crainte grandissante du déclassement, liée en particulier aux effets de la crise économique, à la défiance face aux difficultés de gestion européenne des flux migratoires, ainsi qu’au ressentiment de certaines catégories de population vis-à-vis des mesures environnementales (souvent considérées comme « punitives » et instrumentalisées à ce titre par les extrêmes-droites), et enfin à l’affaiblissement de la confiance dans les instances politiques (dont européennes), qui est un des effets collatéraux des points précédents.
Cela passe notamment par :
- Le rappel de ce que l’UE a apporté : la paix, la prospérité, la liberté de circulation, Erasmus pour la jeunesse, la réponse organisée contre la pandémie Covid (achat groupé de vaccins, plan de relance…), l’aide à l’Ukraine face à l’agression russe, une aide au développement pour les pays du Sud,
- Des mesures qui donneraient envie de plus d’Europe, en particulier, en élargissant Erasmus aux lycéens, en créant un « pass-train européen » pour les moins de 26 ans, en s’engageant plus fermement pour une Europe sociale, en développant la pédagogie sur les institutions européennes,
- Enfin et surtout, une affirmation des « vrais enjeux » des années à venir, d’une Europe unie et solidaire pour affronter les défis du dérèglement climatique, répondre aux enjeux de migrations inéluctables, faire face aux défis de l’intelligence artificielle, et pour se doter d’une véritable défense européenne afin d’exister souverainement dans un monde multipolaire et incertain d’aujourd’hui…
Le Pacte civique proposera dans un prochain Flash info ses propositions pour l’Europe du pouvoir de vivre et d’agir, élaborées notamment dans le cadre d’une réflexion commune à 61 organisations réunies dans le collectif du Pacte du Pouvoir de Vivre dont le Pacte civique est l’un des 19 membres fondateurs.
La représentation politique au sein du Parlement européen à la veille des élections européennes de juin 2024. Les groupes politiques au parlement européen : Le Parlement européen est composé actuellement de 705 eurodéputés, répartis en 7 groupes politiques : le Parti populaire européen (PPE), le plus important avec 177 députés, dont 8 élus français appartenant aux Républicains (LR) ; le deuxième groupe est celui des socialistes et démocrates (S&D) avec 141 députés, dont 6 élus français (PS, place publique…) ; le groupe Renew Europe, avec 101 députés, dont 23 élus Renaissance ; les Verts/Alliance libre européenne (Verts/ALE) avec 72 députés, dont 12 français ; viennent ensuite les conservateurs et réformistes européens (CRE 6) 68 députés, Identité et démocratie (ID7), 59 députés, dont 18 français (RN), enfin La gauche au Parlement européen (GUE/NGL), 37 députés , dont 6 français (LFI,…) et les non-inscrits (41 députés, dont 4 ex-RN). A noter que le PPE et le S&D ne possèdent plus la majorité absolue à eux deux.
[1] C’est aussi vrai pour l’échelle nationale
[2] Fabrice Leggeri, ancien directeur de Frontex, l’Agence européenne de gardes-frontières et de garde-côtes ; il est à noter que celui-ci accuse la Commission européenne de l’avoir entravé dans l’exercice de ses fonctions – niant que sa démission soit liée aux enquêtes ouvertes à son encontre pour des faits de harcèlement moral et pour avoir fermé les yeux sur les refoulements illégaux au large de la Grèce.
[3] Jugées inutiles par l’extrême droite, les énergies renouvelables ont pourtant fait économiser 100 milliards d’euros aux Européens en importations de gaz, principalement de Russie.
[4] Un député N. Bay (au CRE) seulement représente Reconquête au parlement européen aujourd’hui ; Gilbert Collard (Non inscrit) s’est par ailleurs rallié à Reconquête en 2022…
[5] Projet par ailleurs « soutenu » par Reconquête…éennes 2024 : Contradictions et mensonges du Rassemblement National : le risque d’une Europe démantelée.