Pour une démocratie éclairée
La dictature c’est « ferme ta gueule ! », la démocratie c’est « cause toujours ».
Jean-Louis Barrault (souvent attribué à Coluche)
Le dossier de la Lettre de D&S de ce mois est consacré à la loi « immigration ». Nous reviendrons sur ce sujet en interrogeant la question migratoire, en partenariat avec Compostelle-Cordoue, à partir de la notion d’hospitalité. Mais au-delà du sujet lui-même, les conditions dans lesquelles cette loi a été adoptée est aussi révélatrice des symptômes de la crise profonde que vit la démocratie dans notre pays.
Quand on parle de crise de la démocratie, on pense en général aux oxymoriques démocraties illibérales, à ces démocratures, ces chimères monstrueuses issues du croisement contre nature entre démocratie et dictature désignées par ce mot-valise. On pense à la Russie de Poutine, aux Etats-Unis de Trump, au Brésil de Bolsonaro, à l’Israël de Netanyahou, à l’Argentine de Javier Milei. On pense à la montée de l’extrême droite en Europe, à Orban en Hongrie, à Melloni en Italie, au PiS en Pologne, aux projets de l’AFD en Allemagne, ou du RN en France. Et, à juste titre, on s’en inquiète.
Mais cette forêt sombre et angoissante ne doit pas nous cacher le mycélium souterrain de la crise de la démocratie libérale dont ces arbres noirs se nourrissent.
Depuis plusieurs années le Pacte civique évalue la qualité démocratique des politiques conduites à partir des critères de tenue des promesses, de respect des valeurs de créativité, de sobriété, de justice et de fraternité, de la réponse aux besoins à long terme de notre société ainsi que du respect de l’éthique du débat public. L’un des points de vigilance à cet égard doit porter sur l’écoute des citoyens. Non pour suivre aveuglément leurs points de vue et faire la politique des sondages. Mais pour organiser une démocratie éclairée par une compréhension partagée des données de la connaissance et des enjeux. Ce n’est pas hélas ce qui s’est passé pour les retraites, où un mouvement unitaire, sans violence et sans précédent, a été méprisé, ni auparavant avec la conférence citoyenne sur le climat, ou encore avec le grand débat et les cahiers de doléances, qui ont été enterrés après avoir été détournés. Les promesses d’écoute et de démocratie participative non tenues alimentent la perte de confiance, la désaffection, le rejet des élites, le populisme, l’hystérisation des débats et la violence. Quand les responsables n’écoutent pas le peuple, on ne peut demander au peuple d’écouter les responsables.
Ce n’est pas non plus ce qui a été fait pour la politique migratoire et l’idée d’une conférence citoyenne sur le sujet permettant un dialogue éclairé, hors des idées reçues, portée par le président du Cese n’a pas été entendue au profit d’un projet supposé ménager la chèvre et le chou, être « méchant avec les méchants et gentil avec les gentils » : résultat une victoire idéologique de l’extrême droite qui a vu ses principes repris dans la loi qui a été votée, comme celui de la préférence nationale, et les mesures en découlant plébiscitées par les sondages. La seule expression citoyenne organisée a été celle du Conseil national des villes où siègent des habitants des quartiers et que nous reprenons dans ce numéro, mais qui est bien sûr passée totalement inaperçue.
Mais la loi sur l’immigration révèle une évolution plus grave encore car c’est l’éthique même de la démocratie qui a été bafouée, avec des parlementaires votant des dispositions avec lesquelles ils étaient en désaccord en faisant le pari qu’elles seraient annulées par le Conseil constitutionnel. Quand l’éthique de conviction disparaît derrière l’inversion de sens de l’éthique de responsabilité, comment demander au peuple de croire encore dans l’éthique de la démocratie ?
Daniel Lenoir, Président de D&S.