Apprivoiser son histoire
Amina Damerdji, Bientôt les vivants,
Ed. Gallimard
Amina Damerdji signe Bientôt les vivants, son deuxième roman. Elle y conte l’histoire d’une famille durant la guerre civile des années 1990. Une période douloureuse qu’elle a vécue et sur laquelle elle revient aujourd’hui.
Qu’est-ce qui a déclenché chez vous le désir d’écrire ce livre ?
Je vivais en Algérie dans les années 1990. Je savais que je reviendrais un jour sur cette époque de mon enfance par la littérature. Avant, je ne me sentais pas prête à affronter cette matière douloureuse. Puis j’ai commencé à écrire ce roman presque naturellement. Je me posais une question qui, pour moi, est au cœur du livre: quand les liens de l’enfance commencent à nous abîmer, faut-il les rompre ?
Vous avez vécu la décennie noire en Algérie. Est-ce qu’écrire a été une catharsis?
Je ne sais pas s’il y avait une dimension cathartique. Mais cela m’a permis de me réapproprier une histoire vécue enfant à travers les yeux et les récits des adultes et de façon morcelée. Écrire m’a permis de construire mon propre regard sur cette période qui a marqué ma famille. C’était plutôt une réappropriation qu’une catharsis.
Est-ce vraiment et totalement votre expérience ?
Cette histoire était en moi depuis toujours. Mais c’était en jachère. Ce monde perdu de l’enfance est un réservoir d’odeurs, d’images, de sons. J’ai puisé dans cette matière-là. Je me suis inspirée de choses simples: les plats, les sacs en plastique noir, la peur. Je parle de la forêt de Baïnem. Mon premier souvenir de la guerre, c’est ce jour où ma mère m’a dit: «On ne peut plus y aller. » Cela marque un avant et un après dans mon enfance.
Votre livre opère un glissement vers une violence de plus en plus forte, avec une sensation d’oppression croissante à mesure que l’on avance dans le récit. Était-ce voulu ?
Peut-être pas consciemment, mais c’était la destinée de mes personnages de s’enfoncer dans la décennie noire. Cela commence pendant les émeutes de 1988. L’inquiétude était moindre. On pensait alors que cette période serait brève. À chaque moment, on se dit que les personnages ne savent pas ce qui va se passer après, et que ce sera pire que la veille. C’était important d’épouser leur trajectoire et de vivre avec eux cette montée d’inquiétude.
L’équitation – il y a une cavalière en couverture – tient une place importante dans
votre récit. Pourquoi ?
J’ai été moi-même cavalière. L’univers du cheval est un univers sensoriel plein de voluptés. Le personnage de Selma n’a pas la même relation avec les humains qu’avec les chevaux. Les humains sont déchirés entre souvenirs, tendresse, oppositions, etc. Avec un cheval, Selma a des relations beaucoup plus instinctives, qui se passent de mots.
Propos recueillis par Maïlys KHIDER. Témoignage Chrétien n°4046 du 15 février 2024