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4L202: Présentation du livre « Dialoguer avec la terre » par Marie-Odile Terrenoire

Présentation du livre « Dialoguer avec la terre » par Marie-Odile Terrenoire

Il y a très longtemps que la question environnementale est au centre des préoccupations de notre association. Déjà, Il y a plus de 10 ans, lors de l’université d’été en 2012, Patrick Viveret parlait avec la vigueur qui est la sienne, de l’urgence écologique en lien direct avec la démesure des inégalités sur terre.

Fidèle à notre ligne, nous pensons que l’appel à un sursaut spirituel a un rôle à jouer pour relever le défi de la crise écologique.  La conviction de nos deux présidents, Jean-Baptiste de Foucault et Daniel Lenoir, est qu’il est possible et même nécessaire de fonder un nouvel humanisme porteur d’une société plus juste et libérée du productivisme à outrance.

En 2019, un groupe thématique sur l’environnement a été créé à l’initiative de Daniel Lenoir. Pour lancer la réflexion, il proposait un texte mettant en évidence les points de blocage qu’il nous faut repenser pour changer de paradigme. Par exemple, ce texte nous invitait à transformer profondément l’articulation entre l’individuel et le collectif, nos sociétés s’appuyant actuellement principalement sur une hypertrophie de l’individualisme.

Daniel Lenoir y développait surtout, selon ses termes, l’impérieuse nécessité d’opérer une nouvelle révolution copernicienne que l’on peut définir comme suit : Comme il fut un temps où nous avons compris que la Terre n’était pas le centre de l’univers, il nous faut aujourd’hui repenser la place de l’homme dans la nature, et comprendre que l’Homme n’est qu’un parmi d’autres dans la diversité des vivants.

De là, un petit groupe de 8 personnes a continué à se réunir, Daniel m’ayant demandé de l’animer. En dehors de Robert Levesque, agronome, nous étions composés de non spécialistes d’horizons différents mais partageant comme beaucoup de gens une inquiétude diffuse vis-à-vis de cet avenir incertain pouvant prendre une tournure apocalyptique.

Ne me sentant pas capable d’assumer seule l’animation du groupe, j’ai fait appel à une journaliste ayant travaillé sur les questions environnementales, Michèle Bernard-Royer. Bien m’en a pris !

Chacun, alors, a réfléchi en fonction de ses intérêts et compétences propres. L’axe de réflexion autour duquel a tourné tous nos échanges fut la relation entre les hommes et la nature.

Eliane Fremann s’est lancée dans l’étude de l’histoire plurimillénaire de cette réflexion à la fois philosophique et métaphysique. Il en ressort une fresque passionnante montrant, on pouvait s’en douter, que l’intérêt des hommes pour la nature existe depuis la nuit des temps et que celle-ci a donné lieu à de multiples définitions. Pour faire très bref, Eliane constate qu’en Occident, les grandes traditions religieuses majeures ont surtout professé l’idée d’une domination de l’homme sur la nature alors que la plupart des religions primitives et aussi des religions de l’Orient prêchent une relation plus harmonieuse, disons plus égale, entre l’homme et la nature, dont il fait partie.

Puis, étape par étape, Éliane nous montre comment l’Occident a progressivement pris conscience des impacts négatifs de l’homme sur son environnement, d’où, finalement, la naissance de l’écologie à la fois comme mouvement de pensée et combat politique.

Je laisserai Robert Levesque, qui est avec nous à cette table, développer beaucoup mieux que je ne le ferais son regard de scientifique de la terre et de son écosphère à protéger. Son texte, le premier qui ait été rédigé dans le groupe, a eu de l’importance sur le cours de nos réflexions. D’une concision inouïe, Robert remonte à la naissance improbable – c’est son mot – de la Vie sur terre jusqu’à l’apparition de l’Homo sapiens. Il décrit l’environnement très spécifique dont nous, les humains, avons besoin pour vivre. Ceci pour nous alerter vivement : la planète brûle au sens figuré comme au sens propre. Elle risque de devenir invivable pour l’humanité.

La jeunesse est, Ô combien ! encore plus concernée que nous. Lors d’une réunion, Odile Guillaud nous a proposé de consulter 3 de ses petits-enfants tout juste arrivés à l’âge adulte. Ils ont rédigé des textes montrant à quel point la dégradation de notre environnement est en tête de leurs préoccupations. S’est greffé, chemin faisant, le témoignage d’Aurélie Lenoir. Dans le livre, elle nous fait un récit poétique et poignant des phases par lesquelles elle est passée. Jeune ingénieure, et docteur en environnement, elle s’est lancée dans une première expérience professionnelle avec l’espoir de pouvoir réellement intervenir. Dans l’exercice de son métier, le désenchantement fut sévère. Elle le paya d’une dépression dont elle est sortie par un long voyage à vélo à travers la France.

Nos jeunes contributeurs sont tous les 4 très diplômés et informés des mécanismes et conséquences du changement climatique. Tous les 4 sont curieux et pleins d’idéaux mais c’est le sentiment d’impuissance qui les dominait. Mais j’ajoute, tous les 4 ont peut-être évolué car le temps a passé depuis.

Arthur, renonçant à la carrière qui lui était destinée, s’est complètement réorienté après sa formation initiale, pour s’investir dans l’agriculture et l’alimentation durables. Héloïse, elle, éprouvait un fort ressentiment vis-à-vis des générations qui l’ont précédée. Je la cite : « durant les mois d’isolement que nous avons accepté de subir pour protéger nos aînés lors du COVID-19, j’avais l’amère impression de sacrifier mes plus belles années à la génération qui a condamné mon futur ». Elle est sévère.

Dans le groupe, nous étions une majorité de baby-boomers. On s’est senti concerné par cette accusation. Etions-nous vraiment inconscients que la croissance dont nous avons profité pendant les 30 glorieuses puisse, un jour, détruire la vie sur Terre ? Il n’en est rien. Le témoignage d’Eliane est éloquent. Nous, les boomers, sommes aussi la génération 68 qui a combattu la société de consommation. Les préoccupations écologistes n’étaient pas absentes de nos révoltes. La conversion de certains au libéralisme ne concerne pas toute cette génération.

Je suis moi-même une baby boomer et j’ai travaillé dans un domaine, l’urbanisme, souvent montré du doigt. L’urbanisation s’est développée de manière faramineuse.  Une part énorme de la surface agricole de la France a été artificialisée en 50 ans ! Avec la généralisation de la voiture dans presque tous les foyers et la multiplication des autoroutes, la France s’est couverte de lotissements et de centres commerciaux en périphérie des agglomérations. Mais c’est moins cet aspect que j’ai développé dans mon texte, que ma conviction qu’il faut agir avec prudence. Ayant vécu tant d’échecs dus à des mesures technocratiques hors sol et trop brusques, ou à des utopies déconnectées des réalités sociales, je me méfie. Toute l’histoire de l’urbanisme démontre que l’enfer est pavé de bonnes intentions. En la matière, la nécessité d’améliorer la relation des habitants avec la nature a souvent servi de prétexte à des mesures plus injustes qu’efficaces pour maintenir une relation harmonieuse entre l’homme et la nature.

 

Michel Ray avait, dans notre projet de livre commun, la lourde tâche de définir ce nouvel humanisme appelé de ses vœux par Daniel Lenoir. Ce nouvel humanisme n’est rien de moins qu’une mutation anthropologique, selon Michel !

 

Nous sommes aujourd’hui au pied du mur. Les innovations techniques seront importantes mais les incitations financières et réglementaires à courte vue que l’on connaît ne sont pas à la hauteur des enjeux. Les questions posées relèvent des fondements de l’humain sans esquive possible. Cette mutation anthropologique est du même ordre que celle qui s’est produite au néolithique, mais celle-ci s’est faite en plusieurs millénaires alors qu’aujourd’hui chaque année compte car la survie de l’humanité est posée. Cette mutation peut également être rapprochée de ce qui s’est passé au 15ème siècle, au début de ce qu’on a appelé l’humanisme, époque où l’anthropocentrisme s’est affirmé pour remplacer le théocentrisme.

 

Après une période marquée par une accumulation maladive de l’argent des plus riches aux dépens des limites de la terre et des plus pauvres de la planète, il faut tendre vers une société d’entraide et de sobriété. Aujourd’hui, l’urgence écologique doit conduire l’humanité tout entière à faire communauté. Les hommes doivent renoncer à certaines caractéristiques de l’espèce humaine : freiner cette propension au « toujours plus », sortir des logiques strictement territoriales et de la loi de la jungle pour envisager un collectif à l’échelle planétaire.

L’expression « notre mère la Terre » employée par François d’Assise et reprise par le Pape actuel dans Laudato si’ permet de montrer de manière remarquable l’unité de l’Homme et de la nature d’autant que cette manière de nommer la Terre rejoint celle, très ancienne, de nombreux peuples autochtones.

Je ne terminerai pas cette évocation de notre travail sans évoquer le témoignage de Marie-José Jauze car c’est cette contribution qui correspond le mieux à ce qui est donné à voir dans la quatrième de couverture.  Marie-José a toujours été habitée par ce que l’on nomme aujourd’hui l’écospiritualité.  Elle nous confie qu’elle n’a jamais compris cette division du monde où les humains ne font pas partie intégrante de la nature. Élevée dans la foi catholique, toute petite, elle se sentait proche de François d’assise et de cette exaltation de la création, toute la création. Mais elle s’est éloignée de la religion chrétienne car le discours officiel des ministres du culte mettait en garde contre le panthéisme et la divinisation de la nature. C’est ainsi qu’elle s’est rapprochée de cercles animés par le soufisme, le bouddhisme ou le chamanisme, qui remettent radicalement en question les modes de production et de consommation occidentaux. Ressentant en son for intérieur les souffrances faites à la nature, elle est heureuse qu’aujourd’hui on accorde des droits à la nature et que l’on commence à attribuer une personnalité juridique aux éléments naturels tels qu’un fleuve, une montagne, une forêt ou une mer.

 

Chacun d’entre nous a brossé quelques pistes plus pratiques pour sortir de la désespérance qui est la nôtre. J’espère que Jean-Baptiste de Foucauld, grand défenseur d’une sobriété heureuse, nous en dira quelques mots tout à l’heure. Je retiens de sa postface une formule percutante : « Le respect du vivant devient une nouvelle forme du sacré. »

 

A propos Régis Moreira

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