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10L202: À Gaza, Dieu est sous les décombres

À Gaza, Dieu est sous les décombres 

Sermon donné le 22 octobre 2023 à l’église de Noël à Bethléem par le pasteur Munther Isaac

Ce sermon de lamentation et de colère, cri contre la guerre qui se poursuit à Gaza, a été prêché  en Palestine le 22 octobre 2023, à l’église évangélique luthérienne de Beit-Sahour et à l’église  évangélique luthérienne de Noël de Bethléem. Trois jours plus tôt, le 19 octobre 2023, les forces  de défense israéliennes avaient attaqué l’église orthodoxe grecque Saint-Porphyre, la plus  ancienne église en activité de Gaza, construite en 1150. L’église a été endommagée par ce  bombardement et 18 personnes ont été tuées, d’autres ont été blessées, et environ 400 civils qui  s’étaient réfugiés dans le complexe de l’église ont dû être déplacés. Les Amis de Sabeel France  ont traduit cette prédication à partir de sa version anglaise disponible sur : 

https://sojo.net/articles/god-under-rubble-gaza 

Ils ont assiégé notre famille palestinienne à Gaza, ils ont traité ses membres de monstres, et les  ont blâmés, accusés. Leurs maisons ont été bombardées, leurs quartiers d’habitation rasés, les  habitants ont tous dû partir, et ce sont eux qui ont été accusés. Nos familles, nos frères et nos sœurs, nos tantes et nos oncles, nos neveux et nos nièces avaient cherché refuge dans des écoles  et ils y ont été bombardés, dans des hôpitaux et ils y ont été bombardés, dans des lieux de culte  et ils y ont été bombardés, et ce sont eux qui ont été accusés.

Nous sommes tous brisés. Les habitants de Gaza souffrent. Ils ont tout perdu, tout, sauf leur  dignité. Beaucoup d’entre eux sont entrés dans la gloire : la gloire du martyre, mais sans l’avoir  cherché. Et aujourd’hui, une fois de plus dans notre histoire, ils se retrouvent devant le même  choix : la mort ou partir. Notre Nakba continue !

Où voulez-vous qu’ils aillent ? Il n’y a pas de place pour eux dans ce monde !

Les grandes nations de ce monde sont contre eux. Elles ont recours aux finances, aux armes, à  la diplomatie et à la théologie contre le peuple de Palestine, contre le peuple de Gaza. Ils  discutent entre eux de l’endroit où nous finirons après le nettoyage ethnique qu’ils nous  imposent, comme si nous étions des boîtes en trop pour lesquelles il n’y a pas de place dans la  maison !

Il n’y a plus aucune pitié. Plus aucune humanité. Plus personne pour pleurer notre mort.  Personne n’est là pour arrêter cette machine de guerre, parce que nous ne sommes pas des  membres du bon peuple, de la bonne religion, de la bonne race. Nous ne faisons pas partie des  « élus ». Les puissances politiques du monde nous considèrent comme un obstacle, et non comme un allié. Nous avons été brisés, et nous le sommes à nouveau chaque jour : par toutes  les images de mort, surtout lorsque ce sont nos proches qui sont touchés par elle : nos familles,  nos sœurs, nos parents, tous ces êtres chers avec lesquels nous nous entretenions chaque jour.  Nous sommes brisés, tous. Nous entendons des histoires terrifiantes qui nous parlent de l’enfer  sur la terre. L’enfer est une réalité à Gaza aujourd’hui. Et nos frères et sœurs palestiniens le vivent en ce moment même.

Ce qui se passe à Gaza n’est pas une guerre ou un conflit, c’est un anéantissement, un génocide  permanent, un nettoyage ethnique par la mort et les déplacements forcés. Les puissances  politiques de ce monde sacrifient le peuple de Palestine pour garantir leurs intérêts au Moyen Orient. Elles affirment que notre anéantissement est nécessaire pour assurer la sécurité du peuple d’Israël. Elles nous offrent en sacrifice sur l’autel de l’expiation, et c’est nous qui payons, de notre vie, le prix de leurs péchés.

Où est la justice ? Ils parlent du droit international. Ils nous font la leçon sur les droits de  l’homme et nous regardent de haut, comme s’ils étaient supérieurs à tous les autres en matière de valeurs et de morale. Je leur dis : « Allez-vous-en avec vos lois et vos discours sur les droits  de l’homme ». Vous, les Européens et les Américains, vous avez été mis à nu aujourd’hui devant  le monde entier. Tous ont vu votre racisme, et votre hypocrisie. Vraiment, vous n’avez pas  honte ? Moi, personnellement, je ne veux pas vous entendre parler de paix et de réconciliation.

Ce que veulent les habitants de Gaza aujourd’hui, c’est Vivre. Ce qu’ils veulent, c’est une nuit  sans bombardements. Ce qu’ils veulent, ce sont des médicaments, et des opérations  chirurgicales avec une anesthésie. Ils veulent que soient satisfaits leurs besoins les plus  élémentaires pour pouvoir vivre : de la nourriture, de l’eau propre, et de l’électricité. Ils veulent  la liberté, et une vie dans la dignité. Ceux qui sont constamment bombardés, battus et persécutés  ne veulent pas qu’on leur parle de réconciliation et de paix. Ils veulent simplement que l’agression prenne fin !

Ils nous ont demandé de prier. Les gens de Gaza continuent à nous demander de prier, et eux mêmes ne cessent de prier. Où trouver une telle foi ?

Nous aussi, nous avons prié. Nous avons prié pour leur protection… et Dieu ne nous a pas  répondu. Même dans la « maison de Dieu », dans les bâtiments de l’église, ils n’ont pas été protégés. Nos enfants meurent face au silence du monde, et face au silence de Dieu. Qu’il est  dur à vivre, le silence de Dieu ! Aujourd’hui, nous crions avec les psalmistes : « Mon Dieu, mon  Dieu, pourquoi as-tu abandonné Gaza ? Jusqu’à quand l’oublieras-tu tout à fait ? Pourquoi lui  caches-tu ta face ? Le jour, je t’appelle, et tu ne réponds pas ; la nuit, et nous ne trouvons pas  le repos. Ne t’éloigne pas des gens de Gaza, car le danger est proche, et il n’y a pas d’aide.  Seigneur, notre Dieu sauveur ! Le jour, la nuit, nous avons crié vers toi … Que notre prière  parvienne jusqu’à toi … Tends l’oreille à notre plainte … Car notre vie est saturée de malheurs,  et nous frôlons les enfers… Nos yeux sont épuisés par la misère. Nous t’avons appelé tout le jour, Seigneur, les mains ouvertes vers toi. Pourquoi nous rejeter ? Pourquoi nous cacher ton  visage ? » (adapté à partir des psaumes 13, 22 et 88).

Nous cherchons Dieu ici, dans ce pays, ici sur cette terre. Et théologiquement,  philosophiquement, nous demandons : Où donc est Dieu quand nous souffrons ? Comment  expliquer son silence ?

Mais ne nous attardons pas à la philosophie et à des questions existentielles. Dans ce pays,  même Dieu est victime de l’oppression, il est victime de la mort, de la machinerie de guerre, et  du colonialisme. Nous voyons le Fils de Dieu ici sur cette terre crier la même question quand il  est sur la croix : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Pourquoi permets-tu que  je sois torturé ? Que je sois crucifié ?

Dieu souffre avec le peuple de ce pays. Son destin est le même que le nôtre. Comme l’a écrit  Mitri Raheb dans son article « Théologie dans le contexte palestinien » qu’on peut lire en arabe dans un livre que j’ai publié : « Quant au Dieu de ce pays, il n’est pas comme les autres dieux…  Sa terre est labourée avec du fer… Ses temples sont détruits par le feu… Son peuple est foulé  aux pieds, et il ne bouge pas le petit doigt. Le Dieu de cette terre est caché à la vue. Vous  cherchez ses traces, mais vous ne les trouvez pas. Vous désirez ardemment qu’il déchire les  cieux et qu’il descende pour voir. Pour entendre. Pour être compatissant. Pour nous sauver. Le  Dieu de cette terre ne repousse pas les armées et leur brutalité, mais il vient partager le sort  de son peuple. Sa maison est détruite. Son fils est crucifié. Mais son mystère ne périt pas. Au  contraire, il renaît des cendres, il se relève et c’est avec les réfugiés que vous le voyez. Il marche  et, dans l’obscurité de la nuit, il fait jaillir des sources d’espoir. Sans ce Dieu, la Palestine reste  une terre brûlée. Sans lui, elle reste un champ de destruction. Mais si Dieu piétine ses  fondations, c’est uniquement pour en faire une terre sainte, une terre où la bonne nouvelle de  la paix résonne sur les collines. » 

Bien-aimés, en ces temps si durs, consolons-nous avec la présence de Dieu au milieu de la  douleur, et même au milieu de la mort, car Jésus n’est pas étranger à la douleur, aux arrestations,  à la torture, et à la mort. Il est à nos côtés dans notre douleur.

À Gaza, Dieu est là sous les décombres. Il est avec ceux qui ont peur, il est avec les réfugiés. Il  est là dans la salle d’opération. C’est cela notre consolation. Il traverse avec nous la vallée de  l’ombre et de la mort. Si nous voulons prier, ma prière c’est que ceux qui souffrent ressentent  cette présence qui guérit, et qui réconforte.

Nous avons un autre réconfort encore : celui de la résurrection. Quand nous avons le cœur brisé,  quand nous souffrons, quand nous affrontons la mort, répétons-nous la bonne nouvelle de la  résurrection : « Christ est ressuscité ! ». Il est devenu le premier-né de ceux qui se sont  endormis. Quand j’ai vu les images des corps de ces saints dans leurs sacs blancs devant l’église,

lors de leurs funérailles, c’est cet appel du Christ qui m’est venu à l’esprit : « Venez, les bénis  de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation  du monde » (Matthieu 25,34).

Devant les images de la mort et toutes les photos d’enfants morts, nous pouvons entendre aujourd’hui l’appel immortel du Christ : « Laissez venir à moi les petits enfants et ne les en  empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux » (Marc 10,14). S’il n’y  a pas de place pour les enfants de Palestine et les enfants de Gaza dans ce monde cruel et  oppressant, ils ont une place dans les bras de Dieu. Le Royaume est pour eux. Face aux  bombardements, face aux déplacements, et face à la mort, Jésus les appelle et leur dit : « Venez  à moi, vous qui êtes bénis par mon Père. Laissez venir à moi les enfants, car le Royaume est à  eux ». C’est cela que nous croyons. Et c’est cela notre consolation dans notre douleur. Amen.

 

Munther Isaac 

Munther Isaac est pasteur de l’église évangélique luthérienne de Noël à Bethléem, doyen du  Collège biblique de Bethléem, et directeur des conférences « Christ au checkpoint ». Son  dernier livre s’intitule L’autre côté du mur – Un récit chrétien palestinien de lamentation et  d’espoir. Il vient d’être traduit en français et doit être publié avant Noël.

 

A propos Régis Moreira

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