9L198 – La Résistance et ses poètes – Anthologie par Monique Krieguer

La Résistance et ses poètes – Anthologie

L’anthologie de Pierre Seghers, recueil de poèmes, de chansons et de textes, est un cri profond et beau. C’est un témoignage vivant rédigé dans des circonstances exceptionnelles, la captivité,  les camps, la Résistance, l’Occupation.  Cet ouvrage, qui renaît à travers une nouvelle édition presque cinquante ans après le grand livre de référence, reste d’une brûlante actualité. Il nous met en garde et engage à l’action. Pierre Seghers avertit : « Jeune-gens qui me lirez peut-être, tout peut recommencer. … N’acceptez jamais de devenir les égarés d’une génération perdue.».

Ce cri, le cri de l’humanité et des multiples poètes, nous creuse, nous pétrit dans les profondeurs.
La souffrance est là, manifeste. Souffrance emmurée, figée, souffrance de laquelle éclot  une vie nouvelle.
« Oui, j’ai peur au ventre d’être battu. / Et je vais me faire battre. Entends-tu/ comme un châle qu’on déploie/  la voix/ de ma femme/ celle de mon enfant/ la joie revenant/ rouge-gorge de flamme ?/ La prison bourdonne, dents serrées, / où les pleurs sont à macérer/ comme les douleurs/ de l’enfantement / retenu, splendeur/ de l’avènement. » (Anonyme, d’une prison allemande, 1943).
Madeleine Riffaud, arrêtée, torturée, condamnée à mort écrit :
« Ils ont pu tordre mes mains/ Je n’ai jamais livré vos noms. / On doit me fusiller. Demain. / As-tu peur, dis ? Oui ou non / … Ceux-là, demain, qui me tueront / Ne les tuez pas à leur tour. / Ce soir, mon cœur n’est plus qu’amour. / Ce sera comme la chanson : / Les yeux bandés/ Le mouchoir bleu/ Le poing levé/ Le grand adieu. ».

Ce livre est un appel à la liberté alors que des hommes sont cloués sur terre. Il s’agit de dépasser les limites, regarder le ciel à travers les barreaux. Qui est le plus libre ? Le prisonnier dont le corps est en captivité ou le gardien de prison dont l’esprit est en prison ? Ce chemin vers la liberté d’esprit, la liberté spirituelle, demande de ne pas se détourner, de faire battre son cœur au rythme de cette aspiration toujours croissante.
Ce livre est un appel à résister, à  lutter, lutter avec les autres, lutter avec soi-même. Dans ‘La guerre sainte’  de René Daumal, l’homme, ami et ennemi de lui-même, arrache ses masques et d’innombrables illusions,  parcourt les chemins escarpés de la lutte continuelle, comme Arjuna, le guerrier de la Bhagavad-Gita.
Pour apprécier la pleine signification et la force de ces poèmes,  il faudrait s’ouvrir à chacun des auteurs-poètes, tâche rendue quasi-impossible par leur grande diversité. Il faudrait se tenir là où les poètes se tenaient :
Poètes de la réalité des camps – hommes ou femmes devenus chaînes de forçats marchant dans les déserts de la souffrance et de la mort.
Poètes des errements – « la renonciation sur le visage du lâche, la sainteté du mensonge, l’alcool du bourreau » (René Char).
Poètes de la vie, mystérieuse énergie qui refuse les ténèbres et unit : « une lampe  inconnue de nous, inaccessible à nous, à la pointe du monde, tenait éveillés le courage et le silence. » (René Char).

Ces poèmes touchent par leur beauté, non pas la beauté des fleurs cultivées sous serre mais celle de la rose sauvage qui pique avec ses épines et fait couler le sang. Alors, le cri du cœur porte très loin et l’espoir est le bâton que le cœur tient à la main pour avancer sur son chemin.

« Comme une main qui se referme/ Comme un refus qui se raidit/ Comme un défi aux yeux de fer/ Mon cœur … Il fleurira terre ou poteau/ un peu plus tard, un peu plus tôt/ C’est plus d’espoir qu’il ne lui faut/ Mon cœur  » (Pierre Seghers)

Pierre Seghers (1906, 1987) est poète, résistant, éditeur de poètes du monde entier. En 1974 paraît  le grand livre La Résistance et ses poètes qui regroupe une étude générale et une anthologie. En 2022, ce grand livre est réédité sous forme de deux volumes distincts.
Pour Pierre Seghers, la poésie est aussi essentielle à l’homme que les battements de son cœur.