Nucléaire militaire : actualiser la pensée de l’Église de France
Par cinq représentants d’associations engagées pour la paix (1),
13/03/2023
Vladimir Poutine, pour réaliser ses desseins de conquête en Ukraine, utilise agressivement sa politique de dissuasion en menaçant de représailles nucléaires toute action de la communauté internationale qui porterait atteinte à ses projets. Une large part de la population française a de ce fait redécouvert la peur atomique. Pour beaucoup, elle s’était évanouie. La guerre en Ukraine vient pourtant rappeler une réalité martelée par le Secrétaire général de l’ONU en août 2022 : «Nous sommes à un malentendu, une erreur de calcul de l’Armageddon. Les dirigeants doivent cesser de frapper à la porte de l’apocalypse et retirer définitivement l’option nucléaire de la table. »
Face à cette possibilité d’une fin de l’histoire, nous avons le choix entre trois attitudes. La première est le déni de la réalité du risque. Nul ne peut contester l’existence de ce danger, ni les conséquences humanitaires et environnementales qui en résulteraient. Cette situation doit interroger chacun de nous sur les raisons de ce déni volontaire.
La deuxième s’appuie sur l’idée répandue de l’efficacité de la dissuasion depuis 1945, aucun État n’ayant utilisé, dans le cadre d’une guerre, d’arme nucléaire. Une affirmation qui, comme son contraire, ne peut être prouvée. En revanche, nous pouvons constater que la possession de la force nucléaire a permis à la Russie d’envahir l’Ukraine. La possession de l’arme ne crée donc pas la paix, mais elle permet de faire la guerre. En novembre 2017, le pape François soulignait cette réalité de la dissuasion : «Les armes atomiques n’engendrent qu’un sentiment trompeur de sécurité et ne peuvent constituer la base d’une coexistence pacifique entre les membres de la famille humaine, qui doit en revanche s’inspirer d’une éthique de solidarité. »
La troisième attitude est celle de la responsabilité. Ce sujet ne doit pas être réservé aux experts, car il n’est nul besoin d’entrer dans une problématique technique pour s’interroger sur cette possession d’armes, dont l’immoralité est soulignée par le pape François. Et n’oublions pas un élément essentiel : ces armes, si elles étaient utilisées, frapperaient des populations civiles. Chaque citoyen peut examiner les facettes de ce sujet, en articulant éthique de conviction et éthique de responsabilité.
Une écrasante majorité des États s’est posé toutes ces questions de 2010 à 2016 à travers une série de rencontres, notamment à l’ONU. En toute conscience, en 2017, après avoir négocié les termes du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian), 122 États ont apporté leur réponse pour engager une nouvelle sécurité internationale en interdisant ces armes, et notamment la politique de dissuasion. En vigueur depuis le 22 janvier 2021, le Tian a été signé à ce jour par 92 États et ratifié par 68, dont le Saint-Siège.
Comme les autres puissances nucléaires, la France a quant à elle fait jusqu’ici le choix de bouder ce processus démocratique onusien. Nul ne clame que le désarmement nucléaire sera une chose aisée. Au contraire, nous savons que nous faisons face à une montagne de complexité. Mais, au regard de la situation actuelle et des avancées juridiques internationales, il est plus que temps qu’un dialogue approfondi et sans tabou s’ouvre sur le nucléaire militaire au sein des organisations politiques, des cercles éthiques et philosophiques, des communautés spirituelles et des Églises. La dernière prise de position de la Conférence des évêques de France remonte à 1983, alors qu’on négociait les traités de limitation, puis de réduction des armes stratégiques. Le moment d’une actualisation de la pensée de l’Église de France sur ce sujet n’est-il pas venu ? Le monde est imparfait, nous le savons. Mais nous devons affronter les défis avec réalisme et honnêteté pour l’avenir de l’humanité. «Si eux se taisent, les pierres crieront !» (Lc, 19, 40)
(1) Jean-Marie Collin, directeur d’Ican France (Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires)
Étienne Godinot, membre de l’Institut de recherche sur la Résolution non-violente des conflits (IRNC)
Patrick Hubert, Communauté Mission de France
Michel Roy, secrétaire général de Justice et Paix France
Alfonso Zardi, délégué général de Pax Christi France