Jean-René Brunetière
24 novembre 2022
Michel Rouffet
« Montagnard attentif »
S‘il fallait à Michel un totem, c’est ce que je retiendrais de 55 années d’amitié.
Montagnard, pyrénéen, Michel a grimpé à peu près tout ce qui s’escalade. Il a fait découvrir la montagne à tant de compagnons… Je me souviens, nous étions ensemble à l’école Polytechnique et nous discutions de notre avenir. Chacun y allait de ses anticipations, de ses ambitions plus ou moins floues… Michel était le seul à n’avoir aucun doute : sa vie, ce serait la montagne, ses Pyrénées.
Michel a eu une carrière professionnelle exemplaire : sensible au développement du tiers-monde il a commencé sa carrière d’ingénieur des Ponts et Chaussées à Alger : l’Algérie socialiste de 1973 était alors un pays phare des « non alignés », dont nous pensions qu’il avait pris la bonne voie pour sortir du sous-développement. Moi j’étais à Constantine et nous partagions un idéal qui n’a sans doute pas tenu toutes ses promesses.
Rentré en France, il s’est coulé dans le poste qui ne pouvait être destiné qu’à lui : chef du service d’aménagement touristique des Pyrénées. Adepte, en avance sur son temps, d’un développement respectueux de la nature et des hommes, il a pris soin de « sa » montagne pendant plus de 30 ans, refusant obstinément toute mutation et toute promotion, juste fidèle. Ainsi, il rendait de son mieux à la montagne ce qu’elle lui donnait.
Montagnard dans sa façon d’avancer, déterminé, les yeux fixés sur le sommet. Une énergie constante, que seule la maladie finale a réussi à entamer. Ce qu’il faut d’audace, qui le mettait parfois en situation acrobatique : je me souviens de cette descente au clair de lune à Saint-Pierre-del-Forcats, rentrant d’une « reconnaissance de domaine skiable » où nous nous étions enfoncés jusqu’au ventre dans la neige. Nous avions juste croisé vers 21h les ratracks que le maire avait déjà envoyés à notre recherche…
Amoureux de la nature qui lui ouvrait une porte vers la transcendance, vers plus grand que nous. Je l’ai rarement entendu prononcer le nom de « Dieu » : comme les juifs pour qui le tétragramme « YHWH » reste imprononçable, il ne voulait sans doute pas enfermer le très haut, chercher à le posséder, à clore la recherche en quelque sorte. Je l’enviais un peu, moi qui aime bien prendre refuge dans mes convictions confortables. Du coup, il était extraordinairement ouvert à la diversité des convictions, des spiritualités, des sensibilités. On comprend que Compostelle Cordoue ait été pour lui quelque chose de grand. « Marcher, dialoguer, comprendre », c’était Michel. Nous mettrons toute notre ardeur à continuer son chemin.
Attentif, à l’écoute…
Attentif aux autres, dans une gentillesse souriante et modeste.
Michel écoutait, observait, avec bienveillance, avec respect. Sans mollesse toutefois. Il savait être têtu sur l’essentiel. Nous nous souvenons de sa rigidité quand certains avaient proposé de changer le nom de Compostelle Cordoue. Je pense qu’il avait raison. Le nom porte l’histoire de cette belle aventure conduite par ses président(e)s successifs, depuis Gabrielle Nanchen jusqu’à Alain Simonin et Michel était dépositaire de cette histoire.
Pour moi, secrétaire général, il était un président merveilleux : il incarnait la finalité et je bricolais dans sa zone de confiance. Nous nous comprenions à demi-mot, dans une fraternité active et pragmatique. Il avait fédéré autour de lui un solide groupe où chacun prend naturellement sa part tant de la joie que des corvées.
Finement attentif à l’inattendu. Tout montagnard, tout corporel, tout rugbyman qu’il était, Michel était aussi un intellectuel en réflexion permanente, Il ne répugnait pas à l’abstraction, pourvu qu’elle nourrisse nos vies. Peu porté sur le bla bla, usant de mots simples et justes dont il était économe. Quand il parlait, il apportait toujours quelque chose où le cœur trouvait de la nourriture, montrant que rien de ce qui avait été dit par les uns ou les autres ne lui avait échappé.
Attentif à Christiane, aussi, c’est peu de le dire. Peut-on parler de Michel sans évoquer Christiane, son poisson pilote, son amour inaltéré ? Aujourd’hui amputée, qu’elle trouve la force dans la conviction que Michel est présent au moins dans nos cœurs et peut-être au-delà…
Voilà, nous marchions… Et puis soudain, un air de flûte se faufilait… le groupe de marcheurs faisait halte et d’un coup se taisait, sous l’emprise, envoûté. Michel avait sorti sa flûte et sa musique nous traversait.
« Nul ne dise dans le pays « le joueur de flûte a trahi »,
Et Dieu reconnaisse pour sien le brave petit musicien ! ».