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10L194 Témoignage de Danielle Thévenot dans le cadre de Démocratie & Spiritualité

Témoignage de Danielle Thévenot dans le cadre de Démocratie & Spiritualité

 

J’ai essayé de me livrer à cet exercice personnel suite à tous ces témoignages tellement encourageants dans leur profondeur spirituelle, découverts dans le livre de Patrice Sauvage et de Thierry Verhelst.

Patrice Sauvage en parlant de ces témoignages de vie revient toujours à la dimension verticale d’enracinement, qui permet de répondre à l’appel d’une transcendance vers le haut et d’un ancrage dans la vie quotidienne, dans nos engagements, ligne horizontale de son schéma.

A partir de cela, je me suis interrogée.  Quel est pour moi cet enracinement, d’où viennent mes ancrages ?

Pourquoi je ressens ces deux entités spiritualité et d’engagements tellement fondamentales dans ma vie ? Quelles en sont les origines ? Quelles ont été et quelles sont mes difficultés, mes fragilités qui limitent ma spiritualité alors qu’elle m’a donné le souffle et le dynamisme nécessaires pour toujours redémarrer dans la confiance et l’ouverture aux autres et pour autant aimer la Vie ?

 

Mes racines, mon identité

Après avoir rejeté, à une certaine période de ma vie d’adulte, mes appartenances, une famille d’origine ou noble ou bourgeoise, catholique traditionnelle ou parisienne athée du côté de mon père, une enfance coloniale, refusé des positions politiques tellement différentes des miennes, je me suis peu à peu réconciliée avec moi-même et mes racines. J’ai essayé de comprendre cette famille qui m’a aimée, m’a marquée, de retrouver certaines valeurs qui m’ont été transmises et qui ont aussi forgé ma personnalité.

Je parle en particulier de ma grand-mère partie jeune fille de son Limousin natal, accompagner trois de ses frères en début du siècle en Nouvelle-Calédonie, à l’appel du Gouverneur Feuillet pour s’installer, peupler l’île et y travailler comme colons, là où je naîtrais ainsi que mon frère.

Mon père viendra de Paris à Nouméa comme jeune ingénieur chimiste et enseignant .

Mes ancêtres arrivés en Calédonie étaient animés d’un humanisme chrétien dans un cadre familial solide,  avec de grandes qualités de travail, de courage, d’intégrité, de simplicité de vie, que j’ai pu découvrir au milieu d’eux dans mon enfance.

Par contre, leur relation très paternaliste aux mélanésiens-canaques a été pour moi, une grande interrogation à laquelle je n’ai pu répondre qu’une fois adulte, en essayant de comprendre le contexte de l’époque, grâce à l’éclairage et la sagesse de Jean-Marie Tjibaou qui reste pour moi un repère, un homme  prophétique, spirituel et pleinement engagé, dans la connaissance et l’amour de sa Terre et de ses habitants, avec une dimension universelle.

Une richesse de mon enfance a été celle de vivre dans cette nature, imprégnée de soleil, au contact de l’eau, de la terre, dans un épanouissement corporel qui m’a ensuite permis d’appréhender les gens et l’environnement avec une sensibilité autre qu’intellectuelle

L’autre imprégnation fut celle de vivre dans mon enfance, au milieu de gens différents de moi, et de découvrir naturellement des cultures et façons de vivre différentes, en Calédonie puis au Vietnam, Indochine à l’époque, où nous avons vécu six ans. Ces contacts humains faisaient partie de ma vie et m’ont permis, je pense, une ouverture sur le monde, une sensibilité et une curiosité  des autres.

Je découvrais très jeune le mystère de l’autre et en même temps l’injustice, même si je ne savais pas la nommer, la violence, la guerre au Vietnam, des massacres, des japonais en armes, des bombardements américains, des militaires français arrogants, les positions politiques de mes parents, tout cela à l’âge de 12, 13 ans m’a marquée  et m’a permis adulte de chercher à comprendre ce qui se passait dans le monde, à faire des choix et à me sentir solidaire.

Mais à partir de ces racines, de ces repères et de ces transmissions, tout reste à construire ! 

Le cheminement personnel, les ruptures, la famille, les évènements vont me donner matière à  me décaper et à me renouveler sans cesse.

Mariée à 20 ans, la première étape de ma vie d’adulte fut ancrée dans le bonheur de ma vie de couple, de mes deux enfants, dans mon vécu en Afrique de 20 à 30 ans.

Malgré, ma langue maternelle que je gardais, ma religion chrétienne occidentale, mes repères familiaux ou autres que je retrouvais pendant les congés, sans comprendre en profondeur les cultures traditionnelles  liées à une forte spiritualité, je m’enracinais en Afrique, avec de nouveaux ancrages dans le  quotidien, dans une autre façon de vivre, dans le  perpétuel apprentissage des différences, de l’adaptation.

Un enracinement dans un environnement humain que nous respections, que nous aimions. Oui, je me suis imprégnée (fécondée, au sens étymologique) d’une culture dans le vécu, par mes sens, par mon intuition, par le cœur, par la beauté et le plaisir, plus que par la connaissance et la raison. Voilà pourquoi je me réconcilie sans cesse avec l’Afrique.

Malheureusement, en août 1964, tout m’a semblé s’effondrer à la mort tragique de mon mari. Tué au Kivu, ainsi qu’un de ses collègues et de nombreux villageois, surpris par une colonne de rebelles congolais et de réfugiés tutsis arrivée sur les lieux de leur travail. Mon mari était responsable d’un projet financé par l’Organisation Internationale du Travail, après l’Indépendance, qui consistait à développer la culture du thé dans la région, la production et  la vente en faveur des villageois eux-mêmes, ainsi qu’à améliorer les conditions de vie des villages concernés. Ce projet nous passionnait, les réalités humaines vécues au sein du projet nous permettaient de rester confiants et de croire en l’avenir. Nous pensions ne pas être concernés par les tensions politiques internes et externes…Nous ne pouvions imaginer à quel point les intérêts économiques et politiques nationaux et internationaux étaient secrètement agissants, mercenaires à l’appui, sans aucun souci des populations.

Lorsque j’ai ressenti à la mort brutale de mon mari, un désespoir immense, une rupture à tout jamais, les enfants m’ont obligée à réagir mais c’est une dimension intérieure profonde qui me dépassait et qui m’a permis de pardonner, de retrouver l’amour en moi et l’amour des autres, bref l’amour de la  Vie.

L’amour et l’intérêt que nous avions portés pendant des années à l’Afrique, aux hommes, aux femmes de ces pays, ne pouvaient pas disparaître dans un seul geste  de violence et de rébellion. Jean y est resté, là où sa vie avait un sens. Le souffle spirituel que j’ai ressenti alors, fut un souffle d’unité et non de vengeance, un souffle d’amour qui se poursuit, un souffle infini que je ressens partout dans le monde au-delà de toutes les cruautés.

Les Africains m’ont aussi appris la réalité quotidienne de la mort, à vivre avec, sans l’oubli.

Revenue en France avec mes jeunes enfants, j’ai cherché à comprendre, à garder des liens avec l’Afrique, puis à réagir ici contre les injustices, contre les situations de racisme, d’exclusion, que j’avais pu connaître depuis mon enfance.

En tant que femme seule, je découvrais le long et difficile apprentissage de l’autonomie mais ma priorité

était celle de mes enfants malgré le temps difficile à gérer entre eux, mon travail, des études, mes loisirs.

Ma mère venait de temps en temps à Paris et me remplaçait lorsque j’avais à me déplacer. Je tenais à ce que les grands-parents de mes enfants soient des repères affectifs et sécurisants pour eux.

Puis « 68 est arrivé » en bousculant les idées reçues, me remettant en question, m’ouvrant sur une dimension du Politique dans tous les domaines de la vie.

Ce contexte me permit une nouvelle naissance  consolidée par une communauté de base de la Mission de France à Paris, à la marge de l‘Eglise. J’y ai découvert un réseau de personnes engagées localement comme à un niveau international qui restent pour moi des repères et qui ont suscité un nouveau  sens à ma vie, un sens plus collectif.  Le ressort était celui d’une autre lecture de l’Evangile au service des autres qui exigeait une lucidité politique sur la société et sur nos comportements, une autre spiritualité que celle que j’avais connue dans l’Institution de l’Eglise. Les portes de mon appartement étaient ouvertes, amis latino-américains, portugais, jeunes français… Je me sentirai dorénavant à contre-courant des circuits dominants de pouvoir, de carrière, d’argent, de sécurité professionnelle.

En 1971, je fais le choix pour des raisons personnelles de quitter Paris et mon travail de permanente dans une ONG internationale. J’avais eu l’occasion de retourner plusieurs fois en Afrique et de travailler avec des associations de femmes africaines remarquables mais je supportais de moins en moins les orientations et les discours abstraits dans les différents colloques d’organismes internationaux fort coûteux, où les personnalités se retrouvaient et s’écoutaient parler !

Partie avec mes enfants à Grenoble, je voulais  m’engager concrètement  avec d’autres, sur le terrain, dans le quartier pilote de la Villeneuve qui se construisait.

J’ai eu la chance de pouvoir faire le choix de mes engagements professionnels en accord avec mes engagements personnels humains et politiques : poste d’enseignante dans un collège expérimental, création d’un Centre d’accueil et de formation de jeunes en difficultés, puis responsable de différentes actions dans le secteur de l’insertion de chômeurs, accompagnement personnalisé, chantiers d’insertion, participation à la création d’une Entreprise d’Insertion….

Entre temps, je m’étais remariée à Grenoble et avais donné naissance à un beau garçon, Pablo.

Dans cette période de vie, d’activités dans lesquelles je me suis entièrement investie, je parlerai davantage de spiritualité laïque dans le partage quotidien et dans la démocratie de « l’être ensemble ».

Le fait religieux était nié par les adultes comme par les jeunes, trop loin de la réalité .

Je n’ai, sans aucun doute, pas su prendre suffisamment de recul par rapport à tout ce que je vivais intensément. Mes ressources financières très justes ne me permettaient pas de participer à des stages, de suivre une formation personnelle, ni de m’offrir des séances chez un psy, comme j’ai pu le faire par la suite  pour un travail sur moi.

Après 10 ans de vie commune, j’ai remis en question aussi mon couple dans lequel je souffrais d’un manque de communication profonde et de partage. Nous nous sommes alors séparés.

Cependant, cette période m’a mûrie et m’a beaucoup enrichie sur le plan humain, et en surcroît, la beauté de la montagne environnante me procurait un élément  apaisant, un Deo gratias quotidien.

 

Dimension spirituelle à travers la rencontre de l’autre.

La  rencontre inter-personnelle avec l’autre fait partie pour moi  du lien social qui me paraît vital. Dans chaque rencontre, dans chaque échange authentique, je trouve une dimension spirituelle, au-delà de l’expression elle-même, au-delà des apparences. J’ai toujours été passionnée par le mystère de l’autre à travers son vécu, sa psychologie, son propre combat. Comment alors, sans se disperser, garder un peu de temps et d’esprit disponible pour rencontrer l’autre, valeur humaine et source de vérité.

J’ai eu la chance d’avoir une expérience professionnelle d’échanges interpersonnels avec des hommes et des femmes très démunis et en souffrance dans leur vie. Ils m’ont appris alors l’écoute, le respect, l’échange dans la confiance à installer entre nous. Tous ces partages ont été des dons humains. J’ai pu approcher le courage et des richesses humaines cachées, la souffrance matérielle mais surtout psychique qu’il fallait peu à peu transformer  en situations positives, en goût de la vie et en reprise de confiance vis à vis de soi et des autres.

L’accompagnement social demande avant tout de transformer son propre regard, ses propres réactions. Ce travail intérieur,  de lucidité, d’ouverture à l’autre et d’intuition, n’est-ce pas cela la spiritualité qui passe au-delà des problèmes matériels et  des savoir-faire professionnels ?  

 

Une nouvelle étape

Depuis quelques années, en ce début de retraite, je cherche à préciser ce que je mets et ce que je vis sous le terme de spiritualité.

J’ai vécu une dimension transcendante dans des périodes de souffrance, de ruptures, comme j’ai pu le dire plus haut, mais aussi comme le note K.G.Dürckheim à propos « des expériences spirituelles », dans des moments intenses de bonheur, d’amour, de relations sexuelles avec l’être aimé, dans la solitude et la beauté de l’Art ou de la Nature, aussi bien que dans des luttes collectives, dans des moments de partage avec d’autres et dans l’accueil privilégié de mes petits-enfants. C’est alors une dimension remplie de mystère et de bien-être qui me dépasse et m’apaise tout en développant en moi un dynamisme intérieur et une notion d’infini.

Grâce à ceux et celles qui m’ont entourée, qui m’ont soutenue, interrogée, aimée, tout au long de ma vie, je ressens mon identité bien ancrée. Cette identité est aussi celle de mon corps dans lequel je suis à l’aise même si le vieillissement est un obstacle et une certaine humiliation. Je suis heureuse d’avoir les pieds ancrés au sol, de faire de longues marches, me poser et souffler, être en relation à la nature, m’émerveiller. Corps et esprit en résonance. J’aime partager un bon vin, pétrir la pâte, vider et griller le poisson… Je m’échapperais bien encore à la source de la nature sauvage de mon enfance !

Mes motivations spirituelles ont sans doute précédé mes engagements mais ce sont des aller-retour permanents car mes engagements enrichissent ma spiritualité qui me permet sans cesse,  si je ne veux pas me perdre, de retrouver le sens de ce que je vis, et de ce que je suis.

Il n’est pas question que je renie mes appartenances pas plus que mon patrimoine culturel et religieux – patrimoine occidental – mais je tiens à rester lucide, à garder mes convictions et mes distances par rapport à une Institution d’un grand apparat, hiérarchique et politique, l’Église, louvoyant et excluant.

Le message du Christ représente toujours pour moi le message le plus authentique de justice, d’amour, de dépouillement. Comment retrouver les valeurs de ce message, comment les transmettre dans notre vécu ? La voie spirituelle, la quête du Divin, devrait pour moi être indépendante de toute institution administrative, moraliste et dogmatique. Si Dieu est, « il est Esprit en chacun de nous ».

Je sais aussi combien ma spiritualité peut être à tout moment étouffée par le souci de l’argent, de la consommation, par l’indifférence, par mon manque de patience, par une course perpétuelle après le temps, par le vacarme qui m’entoure, un trop plein d’informations, d’activités, de fausses révoltes….Ebranlée par les comportements dominants mais aussi par l’agressivité dans la vie militante et politique qui nous durcit.

Même si je garde des activités associatives diverses, me  sentant toujours partie prenante dans la construction d’une société plus solidaire, de partage planétaire des biens, je retrouve en moi un souffle plus profond, physique et spirituel, une énergie d’un autre ordre, des « lâcher-prises », du temps de réflexion, de silence qui me donnent plus de paix intérieure. Mais tout n’est pas gagné pour autant !

C’est un continuel équilibre à trouver entre l’action et la méditation ou contemplation, la révolte et la non-violence même verbale, le collectif et le recul individuel.

Pour la passionnée que j’ai toujours été, le vieillissement est un nouvel apprentissage de cet équilibre. Il m’oblige à me transformer. Il me pousse à plus de vérité face à moi-même, à accepter mes limites, ce qui m’aidera, je l’espère, à mieux vivre la mort en moi.

La spiritualité ne va pas sans détachement, sans décapage, pour aller vers l’essentiel.

Le silence et les moments de solitude me sont de plus en plus indispensables.

Je crois à « une force transcendante » en tout être humain. Elle me donne une certaine sécurité, une énergie, une liberté de pensée et une confiance dans la vie, mais le cheminement de l’intériorité  est très exigeant pour rester en unité avec ce noyau vital en moi, retrouver cette lumière intérieure. Il me faudrait certes, être plus disponible et avoir une discipline de méditation plus régulière mais ma spiritualité n’est vivante que si elle s’exprime dans des liens sociaux, dans la fraternité et dans des actions concrètes contre toutes les formes d’exclusion.

 

A propos Régis Moreira

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