Avortement aux États-Unis : une décision qui interpelle
La décision de la cour suprême remettant en cause l’exercice du droit à l’avortement de chaque femme confrontée à un choix douloureux est une tragédie pour chacune d’elle, et encore plus celles pour qui sont pauvres et marginalisées.
Cette façon d’ignorer la liberté de chaque femme de décider de son rapport à son corps face à la maternité nous interpelle. Il est donc intéressant d’élargir notre perception du problème en passant du droit d’une « individue » au droit d’une personne insérée dans un tissu social. En effet, chaque femme appartient à diverses communautés qui ont chacune leur logique identitaire. Si elle est en couple et/ou en famille, la décision d’avorter ou d’assumer la naissance d’un enfant devrait normalement se prendre avec son conjoint ; si elle se sent appartenir à une communauté nationale qui contribue à prendre en charge sa santé et les besoins de sa famille, sa décision devrait prendre en compte les possibilités que l’Etat et la société solidaire lui offrent ; si elle se sent membre d’une humanité partageant une conscience universelle, elle doit se demander si la protection de la vie de toutes les espèces est cohérente avec la fin d’une vie qu’elle porte en elle ; si elle adhère à une foi religieuse, elle doit s’appuyer sur sa vie spirituelle pour discerner entre ce qui est bien ou mal compte tenu des impératifs contradictoires qu’elle affronte.
Ce qui précède nous conduit bien entendu à ne pas juger une femme qui décide d’avorter, mais aussi à rappeler que chaque personne humaine s’épanouit si ses relations à autrui et à ce qui l’entoure sont cohérentes avec ses aspirations porteuses de sens. La décision incompréhensible et inadmissible d’une cour suprême conservatrice et à majorité masculine risque en fait de renforcer le fossé entre un individualisme féministe libertaire, souvent anti-masculin, et un communautarisme patriarcal liberticide, souvent lié à une religion intégriste.
Ce qui est en jeu plus largement aux Etats Unis, c’est l’avenir dans ce pays des droits des hommes et des femmes alors que son socle démocratique comme civilisationnel semble se déliter. Ce qui est en jeu dans le monde libre, c’est la capacité à allier transformation personnelle porteuse de sens et transformation sociale porteuse d’humanité fraternelle. A nous d’en tirer les conséquences en matière de dialogue et discernement, d’éducation à une sexualité responsable et éthique, de promotion du dialogue conjugal et familial, de lutte contre les inégalités sociales, etc. « Loin des calculs politiques et des postures idéologiques » comme le rappelle dans son éditorial Anne-Bénédicte Hoffner.
Jean-Claude Devèze (courrier adressé à La Croix le 27 06 2022)