JC Devèze le 16 09 22
Mes réflexions à la suite de l’Université d’été de DS
Bifurquer vers où et comment ?
Samedi matin, Jean-Baptiste de Foucauld s’est interrogé sur la façon d’organiser une bifurcation face aux impasses actuelles. Par la suite, Pierre Giorgini nous a parlé de son utopie qui était d’oser le futur avec les étudiants. Cela m’a conduit à réfléchir à l’utopie suivante : bifurquer pour oser le futur à un moment où nous sommes arrivés à un tournant de l’histoire de l’humanité. Pour affronter un changement de période marqué par la fin du mythe d’une abondance rendue possible par une croissance sans limites, il faut trouver la direction à prendre pour être capable de prendre une nouvelle voie dans la durée. Cela conduit à la question de bifurquer (1) vers où et comment. Nous ne pouvons plus, en effet, revendiquer un vivre ensemble responsable et solidaire sans prendre les virages nécessaires pour répondre à nos prises de conscience des défis actuels.
Trouver la direction à prendre requiert une boussole nous orientant vers un horizon commun qui nous fait espérer un futur donnant du sens à nos vies et à nos efforts. Cet exercice d’orientation requiert d’affiner notre vision de l’avenir en se mettant d’accord sur les défis à relever et sur les utopies à poursuivre (par exemple celle d’un monde toujours plus humain, plus fraternel, plus sobre, plus civilisé, plus démocratique).
Cheminer ensemble dans un monde pluriel nous oblige à discerner et à affronter les obstacles sur la voie à emprunter vers l’horizon commun, voie qui peut être courbe ou suivre divers itinéraires. Il s’agit de veiller à ce que ceux-ci se rejoignent et soient rendus cohérents et synergiques grâce aux interactions constructives entre transformations personnelles et transformations sociales. Ceci nécessite à la fois des personnes dont la richesse de la vie intérieure leur permet de changer et des collectivités s’appuyant sur un socle commun permettant de baliser le chemin pour que leurs membres avancent ensemble.
Pour arriver à définir l’horizon commun (2), il est préférable de disposer d’un socle partagé de convictions et de repères consensuels sur ce qui donne sens à la vie. Pour édifier des repères partagés, il faut d’une part accepter des dialogues et des épreuves qui nous remettent en question, d’autre part organiser chaque fois que nécessaire une délibération respectueuse de l’éthique du débat (impératif repris comme priorité à la fin de l’UE). La difficulté est de surmonter à la fois nos peurs et nos désaccords (3).
En matière démocratique, il faut trouver une voie entre la perpétuation de l’oligarchie démocratique actuelle et l’utopie de l’autogestion citoyenne (4). Ceci nécessite une réflexion approfondie sur le rôle respectif des partis et des mouvements citoyens, de la société civile organisée (exemple du Pacte de pouvoir de vivre), des initiatives civico-politiques (par exemple celle d’Utopia rassemblant en octobre 2022 le Mouvement Convivialiste, les Archipels « Jours heureux » et « De l’écologie et des solidarités »), des jeunes générations militantes, des porteurs d’initiatives créatives de terrain, etc. Par ailleurs, il s’agit d’articuler les indignations et résistances légitimes avec les régulations et expérimentations disponibles pour les mettre au service d’utopies largement partagées. Enfin, il faut inscrire l’élaboration commune dans des institutions évolutives permettant d’organiser des processus politiques mobilisant des acteurs s’appuyant sur leur culture et leur spiritualité pour oser mettre en œuvre des méthodes correspondant à l’objectif recherché.
Bifurquer nous appelle à la fois à un travail rationnel pour affronter la complexité et être capable de changer de paradigme et à une introspection permettant de lutter contre nos peurs et de trouver des motifs pour s’impliquer et espérer.
1- Agro de formation, j’ai été sensible à l’injonction des jeunes diplômés de cette école appelant à une bifurcation
2- Pour le Pacte civique, ce sont les principes de créativité, justice, sobriété, fraternité.
3- Par exemple par rapport à un diagnostic de la situation, diverses sensibilité s’expriment : ceux qui privilégient les méfaits d’une globalisation néolibérale ignorant l’urgence écologique ; ceux qui craignent les dangers d’une situation géopolitique où s’affrontent l’Occident démocratique et les anciens et nouveaux impérialistes ; ceux qui redoutent l’insécurité culturelle et civique liée en particulier à notre crise éducative ; etc…
4- On peut se demander si, à la convention citoyenne sur le climat, il n’aurait pas dû être fait le choix d’y inviter un tiers d’élus et deux tiers de citoyens.