Où en sommes-nous à Démocratie et spiritualité sur la spiritualité ?
Où en sont nos points d’accord et nos interrogations ?
Nous distinguons la spiritualité de la religion. Qu’est-ce à dire ? La spiritualité est une démarche des personnes, intérieure, mais aussi engagée dans la société. Dans le contexte actuel, la spiritualité demande la libre adhésion des individus, participe à leur développement personnel, de façon toujours provisoire, et sans que s’impose de l’extérieur aucune norme.
Les religions, en général, génèrent des démarches spirituelles diverses. Il peut exister des pratiques ou des croyances religieuses sans spiritualité. Il y a aussi des démarches spirituelles sans référence religieuse.
Dans le cadre du pacte, nous présentons notre association comme un regroupement de personnes se référant à des spiritualités diverses, tout en considérant la « démarche » spirituelle comme une énergie nécessaire à notre société et comme une tâche à soutenir.
La charte définit « le spirituel comme ce qui fait appel à l’intériorité de l’homme, lui fait refuser l’inhumain, l’invite à s’accomplir dans une recherche de transcendance et à donner du sens à son action, le met à l’écoute des autres et le porte à donner, échanger, recevoir ». Dans la diversité de leurs parcours et de leurs références spirituelles, les membres de Démocratie et spiritualité partagent sans doute une même exigence éthique (à distinguer des systèmes de normes morales), ainsi qu’un rapport personnel à un « sens » ou à une « transcendance » : le « refus de l’inhumain » a des significations fort différentes selon les personnes ; il renvoie inévitablement à une définition de l’humain (et donc à une anthropologie ou à un humanisme) qui varie selon les cultures : pour les uns, ce sera le refus de l’avortement, pour les autres, le refus de la misère, de l’exploitation et de l’injustice (à la limite, pour certains, le refus de l’homosexualité, pour d’autres celui de l’homophobie), etc.
Dans le cadre du Pacte civique, le rapport à l’éthique est aisément communicable : avec Levinas, Mounier ou de grandes figures comme Gandhi, Martin Luther King, l’abbé Pierre ou Joseph Wresinski, ce que peut être une démarche éthique est compréhensible par tout le monde ! En revanche, la référence à la transcendance est plus compliquée : elle est comprise, par les uns comme un « surplomb » nécessaire à toute action, par les autres comme la figuration d’une paternité, corollaire nécessaire de toute fraternité ; par d’autres encore, comme intrinsèque à toute existence. Dans notre contexte « désenchanté » où les « grands récits » (sur la Patrie, sur un Avenir meilleur ou sur la Révolution) n’ont plus cours, il semble possible de faire reconnaître par nos partenaires l’enjeu que représente pour la démocratie le dépassement de l’individualisme, qui exige forcément un dépassement de soi…
Le texte présenté au colloque de Saint-Denis, « La démocratie, valeur spirituelle ?” fait état d’« une intériorité de masse, souvent en lien avec un engagement associatif et démocratique, qui n’a pas droit de cité dans notre espace public » et qui est mal repérée dans le jeu politique qui, « traditionnellement, s’adresse plus à l’homme extérieur (à ses intérêts, à ses appartenances sociales et professionnelles) qu’à l’homme intérieur » (et à sa quête de reconnaissance). « La précarisation de fait de l’existence […] oblige chacun à fabriquer son identité à partir d’un sens en élaboration permanente. » Or, l’évolution récente des sciences humaines apporte une lisibilité nouvelle au caractère massif de toutes ces « luttes pour la reconnaissance » où l’individu recherche la « confiance en soi », le « respect de soi » et l’« estime de soi ».
Dans le cadre du Pacte, il conviendrait de montrer le rôle essentiel de la spiritualité dans la construction des identités (si nécessaire à la démocratie), mais aussi, le cas échéant, de manière potentielle, dans les dynamiques sociétales.
Les expériences spirituelles sont davantage lisibles quand elles sont vécues dans des situations extrêmes : dans les camps de la mort (Etty Hillesum), dans les faubourgs de Calcutta (sœur Térésa) ou face à l’exclusion (Philippe Maillard). Cela nous rend modestes quant à nos propres expériences, mais révèle la possibilité du spirituel dans des situations de grande précarité, de grande déprime ou d’extrême vieillesse…
Le spirituel a ses périls ; les possibilités de dérive sont multiples : évasion dans l’imaginaire ou l’émotif, dans l’individualisme et l’apolitisme, dans des fonctionnements autoritaires peu respectueux des libertés individuelles, ou bien dans des idéologies élitistes, totalisantes et sectaires…
Dans le cadre du Pacte, il conviendra de montrer que nous en sommes conscients et que nous sommes vigilants !
Pour nous, il existe une forte intrication entre démocratie et spiritualité… mais il convient de l’expliciter. Certes, la spiritualité (inhérente à l’humain) et la démocratie (qui s’est souvent construite contre les religions) sont des réalités autonomes ! Mais nous pensons que, dans le contexte actuel de crise de société, elles s’appellent l’une l’autre :
La démocratie a besoin de l’énergie que la spiritualité peut apporter dans notre société à des individus trop souvent déprimés, incertains ou démobilisés à l’égard de tout. Elle a besoin de ce qu’elle porte d’exigence de dépassement de soi ou de transcendance des intérêts particuliers ;
La démocratie est aussi, en elle-même, une « force » (ou une « valeur ») spirituelle dans la mesure où elle ne se réduit pas à un mode d’organisation de la société, ni à un ensemble de procédures de répartition des pouvoirs. Elle est également un régime politique qui compose les réalités individuelles pour le meilleur et pour le pire, et qui sait utiliser les luttes sociales, qui sont également des « luttes pour la reconnaissance » des individus et des groupes. C’est un régime qui, pour survivre aux tensions, doit reconnaître à tous et à chacun sa valeur propre. « La démocratie, dit John Dewey, est la croyance en la capacité de l’expérience humaine de générer les buts et méthodes qui permettront à l’expérience ultérieure d’être riche et ordonnée. » « Comme les spiritualités, la démocratie vise à l’accomplissement de la destinée humaine dans le monde réel » (J.-B. de Foucauld).
Corrélativement :
La spiritualité a besoin de la démocratie pour contrecarrer toute tendance à l’hégémonisme, à l’exclusivisme et au sectarisme. La démocratie suscite un brassage qui peut aider à faire reconnaître les injustices et les ségrégations, et à repousser tout spiritualisme déconnecté des réalités sociales et économiques ;
La spiritualité peut être aussi porteuse d’authentiques valeurs démocratiques, à condition de reconnaître l’égale dignité de tous les hommes, quels que soient leur rang et leur situation sociale, ainsi que l’égale vocation de chacun à répondre aux appels intérieurs et à entrer dans une démarche spirituelle impliquant un véritable engagement. Potentiellement, la spiritualité donne une liberté intérieure ; elle fonde une égalité de droit à la vie, au respect et à la responsabilité ; elle est source de vraie fraternité !