« Il n’y a pas de grâce sans incompréhension », mais il y a un petit air de Simone Weil dans la radicalité d’Aurélien Barrau ; la Simone Weil des écrits de Londres et de la « Note sur la suppression générale des partis politiques », quand il dit que « ce n’est ni par la création de commissions et de comités, ni par l’instauration systématique du fameux « rapport de force », ni par la croyance aveugle au miracle technologique, qu’un tout autre monde pourra jaillir. Moins encore par militantisme médiatique ou jeu de représentation politique. Sans mentionner l’obscène vacuité des débats-spectacles télévisés. Tout cela est déjà mort. Il faut être beaucoup plus profond, plus subversif et plus élégant ». Une radicalité qui, plutôt que de se surfocaliser « sur les effets », s’attache, c’est l’étymologie même, à « travailler les causes », « travailler l’origine, c’est à dire le parti pris idéologique qui les engendre ». Cette radicalité qui anime, au sens le plus fort du terme, l’éthique de conviction. Une radicalité qui cherche à transcender, dépasser, déplacer les oppositions et les nuances, entre violence et non-violence, entre rébellion et terrorisme, entre collapsologie et résilience, entre croissance et décroissance.
Une radicalité prophétique en quelque sorte, et qui renvoie à la triangulation pascalienne, quand il appelle à « une révolution politique, poétique et philosophique » et qu’il souligne, lui l’astrophysicien et épistémologue, que, des trois termes, c’est le second qui est le plus important : « les poètes sont bien plus essentiels que les économistes, les physiciens et les politologues », probablement parce que ce sont eux, comme les artistes en général, qui expriment le mieux la dimension spirituelle de l’humanité. Dire cela ce n’est ni récuser l’importance des connaissances et des savoirs, « outil descriptif et projectif » ; et « les mathématiques nous apprennent (…) qu’une courbe exponentielle tend rapidement vers l’infini et que changer la normalisation ne retarde que marginalement le passage des seuils d’irréversibilité » ; ni non plus déserter le terrain d’une démocratie aujourd’hui atteinte dans sa forme occidentale, comme d’autres types d’organisation avant elle, de « décrépitude politique par perversion interne », en promouvant les « assemblées citoyennes », comme moyen de déjouer « les écueils évidents des différentes modalités représentatives aujourd’hui à l’œuvre ».
Un texte court, en dialogue avec Carole Guilbaud, dérangeant et roboratif, radical donc et qui pourrait donner le sentiment que son auteur rejoint, avec Simone Weil, la cohorte des « grands virtuoses de l’amour et de la bonté a-cosmique de l’homme ». En fait, comme la philosophe de la France libre, cette formulation radicale d’une éthique de conviction pour notre temps peut conduire à repenser l’exercice de l’éthique de responsabilité par ceux qui acceptent de se compromettre « avec la politique, c’est à dire avec les moyens de la puissance et de la violence », sans la confondre avec ce machiavélisme primaire qui caractérise les « élites » au pouvoir. Et ce d’autant que, « plus que machiavéliques, nos prétendues élites sont incompétentes ».
Daniel Lenoir