Emmanuel Mounier d’hier à aujourd’hui, l’actualité d’une pensée de Jacques Le Goff
recension de François Leclercq
Comité de rédaction
Pendant plus de cinquante ans, Emmanuel Mounier a été l’inspirateur de nombreux militants en France, ceux qu’on pourrait appeler les chrétiens de gauche. Sa pensée est-elle encore d’actualité, après les bouleversements qui ont secoué la France et le monde depuis trente ans ?
C’est la question que pose Jacques Le Goff, président de l’Association des Amis d’Emmanuel Mounier, dans son dernier livre, édité aux Presses Universitaires de Rennes.
Des précisions utiles sur la biographie de Mounier
Le premier tiers du livre rend compte des grandes étapes du fondateur de la revue Esprit (en 1932), après qu’il eut renoncé à une tranquille carrière universitaire : « J’ai choisi la pauvreté, explique-t-il dans une lettre… L’œuvre commencée, je m’y maintiendrai, jusqu’à la misère comprise. »
Jacques Le Goff revient sur la période de l’Occupation et apporte des précisions qui règlent définitivement les quelques controverses sur l’attitude de Mounier par rapport au régime de Vichy (qui l’a emprisonné arbitrairement pendant dix mois).
Mais surtout, cette biographie est une histoire de la naissance et de l’évolution d’une pensée, façonnée par l’événement. Disons plutôt LES événements, tant ils ont été nombreux entre la Crise de 1929 et la Guerre froide d’après-guerre.
Une vie consacrée à la réflexion, aux rencontres (Mounier savait accueillir, écouter) et à l’écriture, Pendant les cinq dernières années de sa vie, Mounier ne publie pas moins de dix ouvrages, dont L’Éveil de l’Afrique noire (après un voyage de plusieurs mois), Feu la chrétienté, Le Personnalisme…
La suite du livre est consacrée, comme l’annonce le titre, à l’actualité de Mounier, dans quatre domaines : l’économie, la culture, la bioéthique et la politique.
Comment lire Mounier ?
Évidemment, Mounier ne pouvait prévoir les problèmes qui seraient ceux du 21ème siècle. Si le respect de la Nature et des animaux est un principe chez Mounier, il ne pouvait bien sûr pas connaître l’ampleur des menaces qui pèsent maintenant sur l’écologie.
Mais Mounier est un esprit libre, attentif, observateur et il a de fructueuses intuitions. Sur le travail par exemple, les finances : il dénonce la subordination de l’économie à la finance. « Et, nous dit Jacques Le Goff, il insiste sur le potentiel de libération du monde du travail par allègement du poids des tâches et ouverture des perspectives émancipatrices hors-travail ».
Dès 1932, dans son éditorial du numéro d’Esprit intitulé « Refaire la Renaissance », Mounier nous propose une direction : « L’esprit seul est cause de tout ordre et de tout désordre, par son initiative ou son abandonnement. »
Un sens en politique
Si la politique n’est pas tout, elle est dans tout. Mounier ne s’est jamais engagé dans un parti mais il a soutenu, quand il l’a jugé bon, certains partis et certaines actions. Car pour lui l’engagement est indispensable, mais Mounier propose un sens, une direction. Pas des rails ni des solutions arrêtées !
J’ai retenu dans les propos de Jacques Le Goff « les trois traits caractéristiques de la manière d’être personnaliste dans l’action : la conviction d’une vérité partagée, l’allergie au manichéisme, l’attachement à la laïcité ».
Et pour illustrer ces principes, Jacques Le Goff prend des exemples dans la vie politique ou syndicale de trois acteurs qui se sont réclamés du personnalisme : Jacques Delors, Edmond Maire et Michel Rocard.
Cette partie est éclairante. Et chaque exemple, chaque citation peut nous servir de guide dans notre action politique.
De nombreux auteurs, de nombreuses lectures
L’une des grandes richesses de ce livre est le nombre d’auteurs cités. Depuis les contemporains de Mounier (Marcel Mauss, Jacques Maritain, Péguy, Hannah Arendt), jusqu’aux essayistes du 21ème siècle (Claudine Haroche : L’avenir du sensible PUF 2014, Jean Peyrelevade : Le Capitalisme total, Seuil, 2005…).
Il cite également d’autres personnalités qui, sans être personnalistes, lui semblent respecter la dignité de l’homme (Damien Carême, Amartya Sen…)
C’est une vraie mine de lectures et de réflexion proposée ainsi tout au long de ce livre passionnant, qui développe pour le militant exigeant toute l’actualité d’Emmanuel Mounier.