On le voit maintenant : l’éthique de la conviction et l’éthique de la responsabilité ne sont pas contradictoires, mais elles se complètent l’une l’autre et constituent ensemble l’homme authentique, c’est à dire un homme qui peut prétendre à la « vocation politique ».[1]
Comment concilier éthique de responsabilité et éthique de conviction, ou plus exactement les articuler, faire en sorte que l’éthique de responsabilité plonge ses racines dans l’éthique de conviction, et que l’éthique de conviction tienne compte des réalités de la pâte humaine ? Contrairement à une idée reçue, Max Weber, l’auteur de cette distinction devenue célèbre, n’oppose pas les deux éthiques. Laissée à elle-même, l’éthique de responsabilité se dégrade en une forme de machiavélisme pour qui la fin justifie les moyens, même s’ils sont contraires aux finalités poursuivies ou au moins revendiquées ; laissée à elle-même, l’éthique de conviction se dégrade dans une posture purement tribunicienne, une forme de radicalisme sans nuance, souvent intolérant et sans prise sur les réalités. Comment « discerner dans les compromis que l’action ou la vie impose souvent, les limites à partir desquelles l’éthique de conviction ne doit pas céder devant l’éthique de responsabilité, et ce quel qu’en soit le coût » comme nous y invitons dans notre appel pour un sursaut spirituel et démocratique lancé à l’occasion des célébrations du solstice d’hiver[2] », et comme y travaille notre groupe « RPS »[3]
C’est ce que nous avons essayé de faire lors de notre conviviale sur la question migratoire, avec deux points de vue différents, pour ne pas dire divergents. D’un côté l’immigration interroge notre sens de l’hospitalité, traduction sur ce terrain du troisième terme de la devise républicaine comme l’a rappelé récemment le Conseil constitutionnel. De l’autre, elle génère une angoisse identitaire qui, si elle n’est pas entendue, se projette dans la peur et le rejet de l’autre, et alimente les délires xénophobes d’une extrême droite qui a retrouvé ses sources maurrassiennes.
Le débat sur le pluriversalisme, que nous ouvrons dans ce numéro, est peut-être un moyen de dépasser cette contradiction entre l’aspiration à une fraternité humaine qui vise à un universel dans lequel les identités culturelles auraient vocation à se dissoudre, et le respect et la promotion d’identités collectives -nationales, culturelles, ethniques, religieuses-, qui sont aussi constitutives de nos identités individuelles et personnelles : en visant un universel ascendant, partant de la diversité des références, plutôt qu’un universel transcendant, et trop souvent dominant, s’imposant à l’ensemble des consciences individuelles. En d’autres termes, chercher un langage commun, à partir de la diversité des langues, plutôt que l’inverse : l’anti-Babel en quelque sorte.
Daniel Lenoir
[1] Max Weber « Le savant et le politique », [2] Auquel il est toujours possible de s’associer sur https://www.wesign.it/fr/democratie/citoyennes-citoyens-reveillons-nous [3] Responsabilité(s), Pouvoir(s) et Spiritualité(s).