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9L186 Elisée Reclus

L’homme, conscience de la terre 

Elisée Reclus

 

« De nos jours, le bison, le lion, le rhinocéros, l’éléphant, reculent incessamment devant l’homme, et tôt ou tard ils disparaîtront à leur tour, ceux du moins qui ne deviendront pas des animaux domestiques. Dans les pays fortement peuplés, toutes les bêtes sauvages sont détruites successivement pour être remplacées par les animaux qui nous servent d’esclaves ou de compagnons, […] ou qui sont tout simplement, comme le porc, des masses ambulantes de viande de boucherie. […]

 

La question de savoir ce qui, dans l’œuvre de l’homme, sert à embellir ou bien contribue à dégrader la nature extérieure peut sembler futile à des esprits soi-disant positifs : elle n’en a pas moins une importance de premier ordre. Les développements de l’humanité se lient de la manière la plus intime avec la nature environnante. Une harmonie secrète s’établit entre la Terre et les peuples qu’elle nourrit, et quand les sociétés imprudentes se permettent de porter la main sur ce qui fait la beauté de leur domaine, elles finissent toujours par s’en repentir. Là où le sol s’est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les imaginations s’éteignent, les esprits s’appauvrissent, la routine et la servilité s’emparent des âmes et les disposent à la torpeur et à la mort. Parmi les causes qui, dans l’histoire de l’humanité, ont déjà fait disparaître tant de civilisations successives, il faudrait compter en première ligne la brutale violence avec laquelle la plupart des peuples traitaient la terre nourricière. Ils abattaient les forêts, faisaient tarir les sources et déborder les fleuves, gâtaient les climats, entouraient les cités de zones marécageuses et pestilentielles ; puis, quand la nature, profanée par eux, leur était devenue hostile, ils la prenaient en haine, et, ne pouvant se retremper comme le sauvage dans la vie des forêts, ils se laissaient de plus en plus abrutir par le despotisme des prêtres et des rois. […] Cette corruption du goût, qui porte à gâter les plus beaux paysages, et dont l’origine se trouve dans l’ignorance et la vanité, est désormais condamnée ; l’intelligence humaine va chercher maintenant la beauté, (…) dans l’harmonie intime et profonde de son œuvre avec celle de la nature. […]. Devenu “la conscience de la Terre”, l’homme assume par cela même une responsabilité dans l’harmonie et la beauté de la nature environnante. ».                         

                        

Extraits tirés du second volume de La Terre (1869)

A propos Régis Moreira

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