« Il n’y a que des commencements »
Chronique de Bernard Ginisty du 20 décembre 2021
Le 25 décembre 1886, le jeune Paul Claudel entra par curiosité à Notre Dame de Paris, au moment où la chorale de la cathédrale chantait le cantique latin de Noël Adeste fideles. Il eut alors, écrit-il, la révélation de “ l’éternelle enfance de Dieu ” qui devait l’habiter toute sa vie. Évoquant des années après cette expérience spirituelle, il rappelait le rôle majeur qu’y avait joué Arthur Rimbaud, celui qui, au terme de sa Saison en enfer voulait “ par-delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer – les premiers ! – Noël sur la terre ” (1) La célébration annuelle de la naissance du Christ n’a de sens que comme invitation à l’inattendu, l’inouï et non répétition de ce que l’on croit savoir déjà. En ce sens Noël est l’événement fondamentalement subversif.
Une des plus grandes erreurs de la modernité aura été de croire que les savoirs des spécialistes pouvaient dispenser des risques de l’invention. Parce qu’ils sont tétanisés par les experts, les responsables politiques osent de moins en moins créer de nouveaux espaces citoyens. Or, il n’y a de réponses aux problèmes que lorsque l’on s’affronte à leur dimension concrète. Il s’agit alors, non de “ travaux pratiques ”, mais de “ naître ” à quelque chose de neuf. La vérité de l’homme ne s’éprouve que si le Verbe se fait chair. Cette rencontre de Dieu avec l’humble anonymat d’une naissance chez des pauvres qui vont devenir des réfugiés, invite en permanence à ne pas s’évader des relations avec les hommes et d’abord les plus exclus. Il n’y a pas à fuir les hommes pour trouver Dieu. La radicalité ne réside pas dans la séparation, elle se vit dans l’incarnation à travers les aléas de la chair. Noël signifie autre chose que la nostalgie des réveillons de notre enfance ou une émotion passagère enrobée par le triomphe de la marchandise. C’est à des lieux et à des temps de renaissance que nous convie la fête de Noël. Non dans des lendemains enchantés, mais dans l’aujourd’hui. L’émerveillement de Noël a la violence des origines. Désormais, « le Verbe en venant dans le monde illumine tout homme », et aucun pouvoir ne peut plus masquer cette lumière.
Nous ne chantons pas à Noël l’émouvante esthétique de nos enfermements et de nos sécurités, mais l’invitation à inventer la fraternité humaine qui désormais peut seule donner sens à l’histoire. Noël célèbre la venue de celui pour qui il n’y avait pas de place dans les ordres établis. Sa naissance a dérangé les compromis politico-religieux de l’époque et conduit le roi Hérode à massacrer l’enfance pour conjurer ce surgissement de neuf. Quant’ à l’économie marchande, son verdict est clair : « il n’y a pas de place pour eux à l’hôtellerie ». Que reste-t-il lorsque les ordres politiques, religieux et marchands vous rejettent, sinon l’hospitalité des humbles, la grotte, refuge pour SDF, et la fuite quand les États deviennent meurtriers.
L’Évangile n’est pas le lieu de notre bonne conscience ou de notre refuge identitaire. Il est perpétuelle naissance, par-delà toutes ses expressions historiques. Comme l’écrit Maurice Bellet : « L’inouï de l’Évangile doit prendre “ figure humaine ”, historique ; mais dès que cette figure se fixe, elle ment ; il n’y a que des commencements » (2).
(1) Arthur Rimbaud Une saison en enfer Œuvres complètes La Pléiade, éditions Gallimard 1983 p. 115.
(2) Maurice Bellet La chose la plus étrange éditions Desclée de Brouwer 1999 p. 59.