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10L186 Le patriarcat n’est pas une religion

PUBLIÉ LE

30 OCTOBRE 2021 PAR PHILIPPE BRENOT

 

S’il est un domaine qui symbolise au mieux le patriarcat c’est le champ des trois grands monothéismes (Judaïsme, Christianisme, Islam) issus d’une même tradition abrahamique frappée par la faute originelle qui instaure, dès l’origine, un ordre hiérarchique entre les hommes dominants et les femmes subordonnées, secondaires, esclaves, exclues.

Aujourd’hui où les rôles évoluent, où le féminin a droit de cité et où la tension patriarcale s’atténue dans l’Occident démocratique, les femmes, qui sont traditionnellement exclues des ministères du culte, revendiquent leur place à parts égales avec les hommes dans leur religion. Car leur exclusion n’a jamais été formulée dans les textes premiers. Cette règle n’est explicite que dans l’église catholique qui ne connaît ni papesse, ni cardinale, ni évêque, ni prêtresse… mais une très notable évolution est à remarquer dans le Judaïsme, l’Église chrétienne réformée et, depuis peu, l’Islam, qui laissent aujourd’hui une place à des femmes ministres du culte.

Florina, Kahina et Emmanuelle

Dans leur formidable ouvrage de référence, Des femmes et des dieux*, Floriane, Kahina et Emmanuelle réalisent une très utile rencontre de leurs trois confessions dans la dimension la plus profonde qui est celle du partage et dans la perspective nouvelle des femmes dans l’exercice du culte. Partage des savoirs et des expériences, partage de la démarche intérieure, partage de l’estime et du respect d’autrui.

Emmanuelle Seyboldt est pasteure et présidente du conseil national de l’Église protestante unie de France. Elle est la première à raconter sa vocation, très précoce, à l’âge de sept ou huit ans : « Je cherchais pourquoi vivre, et ce qui pouvait faire tenir le monde (…) Dès mon enfance, Dieu était Celui qui viendrait rétablir la justice et mettre une pointe d’espérance en l’avenir… » puis « J’ai compris que Dieu avait besoin de mes propres forces, de mon intelligence et de mes mains pour combattre l’injustice. » « Alors, en primaire, lorsque l’instituteur nous demande d’écrire le métier que l’on souhaite exercer plus tard « j’avais inscrit « pasteur » (…) jamais je n’ai pensé exercer un autre métier. Jamais personne ne m’a empêché de le faire. » Le cadre de l’Église réformée est particulièrement ouvert et à l’écoute des femmes et des hommes qui la composent. Emmanuelle Seyboldt s’étonnera même que l’on vienne lui proposer de présider le conseil national de l’Église protestante unie de France alors qu’elle n’avait rien demandé. Les femmes font partie à part entière de la communauté religieuse réformée, il n’est que de savoir la proportion de femmes pasteures en France, qui est aujourd’hui de 15 %. Il est vrai que les pasteur(e)s sont marié(e)s et avec une vie de famille tandis que dans l’église catholique et l’église orthodoxe, qui restent arc-boutées sur des principes masculinistes archaïques, les femmes n’ont jamais eu « voix au chapitre ».

 

Floriane Chinsky est rabbin, docteur en droit et formatrice en Écoute mutuelle. Elle exerce son ministère dans le cadre de « Judaïsme en mouvement » dans le 20e arrt de Paris. Comme Emmanuelle, Floriane a grandi dans une famille de très grande ouverture d’esprit, dans « un rapport au monde à la fois généreux et très égalitaire : « rien ne m’était interdit ou conseillé parce que j’étais une fille. ». Dès l’âge de sept ans, révoltée par le poids des injustices, elle organise une marche pacifiste dans la cour de l’école. Mais cette éducation familiale très libérale se heurte vite aux réalités socio-religieuses : « J’ai découvert avec surprise que, à la synagogue, on séparait les hommes des femmes (…) jamais je n’avais été discriminée d’une façon aussi directe. » Alors Floriane s’interroge et veut examiner par elle-même les textes « Je voulais savoir ce que disaient les sources et quelle était la légitimité de la tradition que j’avais reçue. » Elle entreprend alors des études rabbiniques qui confirment la validité du judaïsme humaniste dans lequel elle a été élevée. « C’est en étudiant les écrits que j’ai trouvé la légitimité de ma démarche. J’ai pris conscience que les femmes pouvaient vivre pleinement un engagement fort, exactement au même titre que les hommes (…) Aujourd’hui je suis rabbin et ma vie entière est guidée par cette conviction que je cultive depuis mon plus jeune âge : la non-violence. » Avec ce recul épistémologique : « Je veux participer à ce « projet divin » même si « dieu » n’existait pas. »

Kahina Bahloul, islamologue de formation, est imame à la Mosquée Fatima, qu’elle a fondé et qui promeut un islam libéral. Ses origines sont emblématiques de sa démarche. Née à Paris, elle grandit en Algérie « entre un père algérien et une mère française » très entourée par ses grands-parents. « Ils étaient algériens musulmans du côté paternel, français du côté maternel, lui catholique, elle juive d’origine polonaise. » Cette origine syncrétique contribue certainement à sa grande ouverture d’esprit et aux valeurs qui sont les siennes : l’éthique, la probité, l’honnêteté. « L’amitié profonde qui unissait mes quatre grands-parents a certainement façonné mon regard sur l’altérité et la possibilité de conjoindre en soi tant de diversité. » Sa vocation viendra plus tard car « à sept ans, il m’était impossible d’imaginer devenir imame puisque cela n’existait pas. C’était impensable, inaccessible, je ne me posais même pas la question. » À l’adolescence, elle voit arriver les premiers foulards islamiques dans leur petit village de Kabylie « coïncidant avec l’apparition de cassettes VHS ou audio sur lesquels des prédicateurs intégristes racontaient leurs croyances punitives. Ils décrivaient les châtiments de la tombe, l’ange de la mort qui va nous prendre par les pieds, les yeux, les oreilles… impossible d’échapper à leurs délires (…) C’est à ce moment-là que j’ai commencé à ouvrir les yeux, à me poser beaucoup de questions sur l’interprétation des textes. » Le soufisme sera ensuite une révélation qui va lui permettre de montrer le vrai visage de l’islam. Sur le modèle de deux femmes, ses homologues américaine et danoise, Amina Wadud devenue en 2005 la première imame au monde et Sherin Khankan inaugurant en 2016 sa mosquée au Danemark, pour la première fois Kahina s’autorise à penser : « Et si je devenais imame ? »

 

Le premier jour…

Comme dans la Genèse, ce dialogue entre trois femmes engagées se déroule sur sept jours. Dans Des femmes et des dieux, ces trois femmes d’exception abordent les grandes questions de notre temps à travers le prisme judicieux de leur ouverture d’esprit pour nous permettre de comprendre notamment l’incroyable avancée que représente l’accès des femmes aux ministères des cultes. Chacune d’elles aborde la question du féminisme – essentielle aujourd’hui ; et surtout ce qu’en disent les textes ; la question des intégrismes et des interprétations ; le sacré et la transcendance ; et la grande question toujours récurrente du pouvoir encore très présent du patriarcat. C’est Kahina qui souligne cette grande évidence : « Les hommes se sont complètement appropriés le discours religieux et l’interprétation des textes qui va avec, ce qui aboutit inévitablement à un système de pensée excluant totalement les femmes (…) Dans l’histoire de l’humanité ce qui semble constituer un problème, c’est avant tout le corps de la femme, pas celui de l’homme. » C’est encore elle qui offre son titre à cette chronique par cette citation : « Toute mon action aujourd’hui est guidée par cette conviction : le patriarcat n’est pas une religion. Le patriarcat n’est pas un fondement de l’Islam. Il a été introduit dans la religion par des lectures humaines, des lectures masculines exclusives. Et je veux contribuer à un changement de paradigme. » La place des femmes est en train de changer, même au sein des églises.

 Une réflexion de grande valeur pour nous aider à comprendre le fondement de chacun des grands monothéismes et la place que les femmes peuvent et doivent prendre aujourd’hui en leur sein.

 

*Des femmes et des dieux de Floriane Chinsky, Kahina Bahloul et  Emmanuelle Seyboldt, ed. Les Arènes.

A propos Régis Moreira

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