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9L185 Le génie de la France, d’Abdennour Bidar par Jean-Claude Devèze

Fiche de lecture de Jean-Claude Devèze (V2 du 8/10/21)

 

Le génie de la France, d’Abdennour Bidar (Albin Michel, 2021)

Abdennour Bidar, apôtre du dialogue interspirituel, annonce en titre de son dernier livre une réflexion sur le génie français, thème crucial pour aborder les problèmes de notre pays comme du village global. Il nous invite en fait surtout à approfondir cette valeur inséparablement spirituelle et politique qu’est la laïcité.

Dans une première partie, s’interrogeant sur « l’énigme durable de notre destinée », l’auteur s’efforce d’abord de caractériser le génie français, insistant surtout sur « un génie qui dit non », contestataire, critique, indocile, s’indignant, désobéissant dès que notre honneur est en jeu. C’est ensuite qu’il introduit l’objet de son livre qui est de montrer que la laïcité est le pivot du génie français.

Abdennour Bidar attribue l’origine de notre esprit de rébellion dans un non au pouvoir de l’Eglise sur la France, puis dans un refus de transférer la sacralité du pouvoir de l’Eglise sur la République. Ainsi, la laïcité consacrerait l’esprit d’insoumission français à tout pouvoir sacré, qu’il soit religieux ou politique. Cette attitude largement partagée permettrait de ne pas tomber dans une compétition de sacralité avec des jeunes musulmans revendiquant la supériorité des valeurs de l’islam ; par contre, l’auteur pense que ce ne sera cependant pas suffisant tant que l’islam n’aura pas approfondi comment rendre compatible démocratie et loi musulmane.

A la fin de la première partie, l’auteur essaie de réconcilier le politique et le religieux dans le cadre d’un dialogue d’une République aux principes souvent trop rigides avec une démocratie s’ouvrant de façon parfois excessive à toutes les diversités ; il s’agit de partager des valeurs tout en n’imposant pas une unification des identités. Il souhaiterait donc ne sacraliser ni la République, ni le politique, ni le religieux, mais cultiver à travers la laïcité une exigence spirituelle.

Dans une deuxième partie centrée sur « la laïcité et la destruction des idoles », l’auteur met d’abord en exergue la liberté politique et spirituelle que permet la laïcité ; ceci devrait conduire à une « liaison du spirituel et du politique opérée grâce à la déliaison du religieux et du politique ». Il appelle à « deviner ce que la laïcité inaugure spirituellement pour l’humanité » en laissant vide la place de la croyance envahie par le trop plein religieux.

Ceci le conduit ensuite à présenter la laïcité comme iconoclaste, devant combattre les idoles qui encombrent un Temple de la laïcité qui devrait être vide pour laisser place au sacré, au mystère et à la liberté de croire ou de ne pas croire. L’auteur demande de relier la sagesse iconoclaste issue de la Bible à l’inspiration politique provenant d’un génie laïque libérant consciences et mystique.

L’auteur achève sa réflexion par la préconisation d’une démarche pratique vers une spiritualité laïque en lien avec une religion de la liberté. Il trouve l’approche de Fernand Buisson trop encombrée de religion républicaine et d’un divin nous appelant à devenir des Christs. Pour dépasser ce spiritualisme idéaliste et déiste, il faut pour lui se passer de Dieu en allant vers un athéisme mystique porteur d’une sagesse en lien avec une spiritualité laïque. Il préfère avec André Comte-Sponville et Christian Bobin rechercher une vie spirituelle dépouillée des images sacralisées de Dieu comme de notre ego. La laïcité devient alors un exercice spirituel autant qu’un principe politique requérant une démarche vertueuse du citoyen ; ceci conduit à travailler sur le lien indispensable entre citoyenneté et intériorité dans le cadre de nos liens avec autrui, avec la nature et avec le vivant.

Le livre d’Abdennour Bidar nous invite à continuer à approfondir les réflexions de l’auteur sur trois sujets qui sont importants pour D&S. D’abord, son obsession de faire de la laïcité un impératif spirituel est intéressante, mais me semble déséquilibrée ; il serait plus intéressant de faire interagir, compte tenu de ce qu’est le génie français, les approches politico juridiques, spirituelles et culturelles (en recourant à l’esprit de finesse pour discerner et en respectant la logique de l’honneur lié au respect des convictions de chacun). Ensuite, en ce qui concerne la spiritualité laïque, l’auteur, s’interrogeant sur un au-delà du spiritualisme laïque, semble en recherche d’une voie mobilisant des conceptions philosophiques, religieuses et politiques à clarifier. Quant au thème omniprésent du vide (la laïcité comme Temple vide, un centre de la Cité humaine vide comme condition suprême de la démocratie laïque, notre vide laïque, la nécessité de laisser vide la place de la croyance et de faire le vide en soi, l’ère du vide, la peur du vide, le cœur vide, etc.), il lui manque pour être complètement convaincant l’énoncé de processus permettant d’en faire le meilleur usage pour cheminer ensemble vers le bien commun sans être suspendu dans le néant. Delphine Horvilleur me semble plus convaincante quand elle indique que, pour son ministère, la laïcité est un cadre qui permet que « l’espace autour de nous restera non saturé des convictions ou des certitudes des uns et des autres.

D’autres positions de l’auteur seraient à débattre, en particulier celles portant sur les points suivants :

  • la négation de la pénétration de l’islamisme à l’école (p. 91) oublie de faire référence aux contestations de l’enseignement de certains sujets au programme compte tenu d’une islamisation de nombreux jeunes, aux attitudes négatives d’élèves lors de minutes de silence après des attentats terroristes, etc. ; il faudrait que les professeurs arrivent à mieux prendre en compte l’enseignement du fait religieux et soient capables de proposer des espaces pour répondre aux questions de leurs élèves sur les religions ;
  • les « dieux » sont rapidement congédiés (p. 113), ce qui est significatif du regret de l’auteur d’avoir bien du mal à nous passer de l’idée du Dieu des religions ; ceci ne permet pas d’aborder l’apport des croyants dans la vitalité de notre démocratie, par exemple à travers un humanisme chrétien aidant à respecter autrui et à discerner par le débat ;
  • son intéressante dénonciation d’une République qui politise l’islam en voulant l’organiser (p. 131 et suivantes) ne débouche pas sur des propositions de solutions crédibles (elles se limitent à une action exemplaire des préfectures et de la police) ; il ne mentionne pas la promotion nécessaire du dialogue des islams avec l’État comme avec la société.

En conclusion, ce livre est un plaidoyer intéressant sur la laïcité comme invitation à plus de spiritualité, mais par contre seulement une approche partielle du Génie de la France. Pour nous aider à incarner une laïcité inspirante, il aurait été fructueux d’approfondir les interactions entre une vie personnelle qui requiert de l’intériorité et une vie collective qui, reposant sur des relations avec autrui et avec la société, nous invite à se changer et à changer ensemble.

 

NB  Son ouvrage contient à des références à des personnalités de D&S : à Jean-Baptiste de Foucauld (p. 38 et 39) pour les trois cultures du développement ; à Daniel Lenoir (p.136) sur une laïcité exigeante pour les religions ;  à Éric Vinson (p. 192) sur la force spirituelle de Jean-Jaurès.

A propos Régis Moreira

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