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10L185 Abdennour BIDAR, Génie de la France par Sébastien Doutreligne

Sébastien Doutreligne, le 27 octobre 2021,

 

Abdennour BIDAR, Génie de la France, Albin Michel, 2021

Dans cet ouvrage, Abdennour BIDAR nous invite à penser spirituellement la laïcité.

A l’inverse des auteurs cherchant à marquer ce qui peut diviser les citoyens de la nation française, Abdennour Bidar recherche ici ce qui est commun et ce qui unit dans un cadre d’action mondialisé : « Notre responsabilité éthique et culturelle envers la mondialisation est ainsi de faire vivre notre propre génie français d’une façon suffisamment actualisée et ouverte pour qu’il apporte sa contribution la plus singulière à cette mondialisation. » Et la racine de ce « génie de la France » est la laïcité.

L’ouvrage débute avec trois citations, dont une que j’estime assez marquante de François Mitterrand, rapportée dans l’un des ouvrages de Marie de Hennezel : « Vous voyez, la France n’est pas prête pour la laïcité parce qu’elle n’a pas encore fait le chemin de l’intériorité. La vraie laïcité, c’est l’intériorité. »

Cette citation place d’entrée de jeu les propos d’Abdennour BIDAR vers une conception de la laïcité tournée vers la spiritualité, autrement dit ce qu’il dénomme la « laïcité intérieure ».

Cette conception philosophique de la laïcité arrive en deuxième partie d’ouvrage, la première étant consacrée aux racines de l’« esprit » français, prenant appui pour cela sur des figures incontournables de l’histoire, de la philosophie, de la dramaturgie, de la politique et de la religion :

  • un « pays qui dit non » dont l’histoire est marquée par des « esprits hyper critiques », un non à caractère universel, faisant dire que l’esprit français dépasse les questions de territorialité et de nationalité, contestant l’ordre établi « qui n’est plus que le désordre établi à l’échelle de la planète », avec une économie destructrice de la vie ; les « non » de la culture démocratique évoqués par Jean-Baptiste de Foucauld. Un pays qui dit non lorsque « des pans entiers de l’islam sont malades du dogmatisme, de l’intolérance, de l’antisémitisme […] » en reconnaissant les liens fondamentaux entre ce développement et la question sociale.
  • un pays qui se rebelle contre le sacré, et un pays devant faire face « au puissant défi de l’islam ». Abdennour BIDAR estime que la France a à la fois dit non au sacré politique (pouvoir sacré de l’Etat, religion civile) et au sacré religieux. En ce sens, il estime que la laïcité « consacre […] l’esprit français d’insoumission à tout pouvoir sacré, qu’il soit religieux ou politique. » Il conteste, à raison, la vision de la laïcité perçue comme une religion d’Etat – le laïcisme.  ;

 

  • un pays face au puissant défi de l’islam, tendant à sacraliser notamment sa laïcité, en la revendiquant plus sacrée que le sacré d’ordre religieux, qui lui-même considère la loi divine comme forcément supérieure aux lois créées par les humains. L’ « erreur fatale » nous dit Abdennour BIDAR, a été de considérer la laïcité comme « une arme antireligieuse », avec pour ennemi l’islamisme, mais aussi malheureusement l’islam.

 

  • une République dont l’école oppose de manière stérile la science, forcément rationnelle, à la religion, irrationnelle à souhait. Laisser la place à l’intuition pour dépasser la raison, c’est ce que de grands penseurs scientifiques ont pourtant fait… De nos jours, il n’y a quasiment plus de place à la transcendance, au mystère accessible par des chemins différents (religion, science, philosophie, poésie). Une culture et une pédagogie capables d’accueillir les différentes visions du monde, scientifiques et spirituelles, capables également d’écouter la parole des élèves, semblent plus que nécessaires de nos jours.

Face à ces constats, que faire ?

Abdennour BIDAR propose de viser le graal politique qui est une « compréhension partageable de la République et de la démocratie ». En lieu et place d’être associée à un vocabulaire guerrier et martial visant l’islam et totalement inapproprié, la laïcité se doit d’être considérée en tant que principe au service du triptyque républicain : liberté, égalité, fraternité.

Abdennour BIDAR estime que nous ne savons pas encore « quel est notre génie propre entre les deux sacrés, religieux et politique ». Il estime que la laïcité « signe […] en réalité l’arrêt de mort de toute sacralisation du pouvoir ».

Intitulée « La laïcité ou la destruction des idoles », la deuxième partie de l’ouvrage comprend trois chapitres. Le premier a trait aux relations entre laïcité et liberté. Le deuxième évoque la laïcité en tant qu’iconoclasme. Le troisième et dernier chapitre aborde la perspective d’une spiritualité laïque.

Rappelant que démocratie et laïcité peuvent être synonymes, Abdennour BIDAR estime que la laïcité revêt à la fois un sens politique et un sens métaphysique. Un Etat laïque est un Etat qui accorde à ses citoyens la liberté spirituelle. Autrement dit, la séparation des Eglises et de l’Etat produit une union entre le politique et le spirituel. Aussi, considérer la dimension spirituelle de la laïcité implique d’aller au-delà de la « sortie de la religion », ouvre une voie à un dépassement de la sécularisation moderne. Selon l’auteur, la laïcité constitue l’avènement d’une nouvelle ère spirituelle pour l’humanité (ère méta ou post-religieuse). Elle inaugure le prochain processus de civilisation. La France est ainsi considérée comme « le pays d’une aurore spirituelle majeure pour l’humanité ».

En pratique, la laïcité laisse un vide auparavant rempli par une croyance imposée, en l’occurrence celle de la religion catholique. Le « vide laïque » convoque la liberté de conscience et la liberté d’exercer le culte de son choix, en tant que choix personnel parmi des options spirituelles. La laïcité fait de la religion une affaire libre, aux antipodes du religieux envisagé comme une arme de destruction massive, à l’instar de l’islamisme, du mouvement décolonial, du clientélisme politique, du laïcisme antireligieux, ou du républicanisme populiste faisant notamment de la laïcité et des valeurs de la République une « religion civile ». Une République politisant l’islam constitue par ailleurs le comble pour une République laïque selon l’auteur (via le CFCM ou le futur conseil national des imams). L’islam a plutôt tout intérêt de passer l’épreuve salutaire de sa « subtilisation » (aller au-delà du dogme).

Face à ces constats, dérives voire régressions, le besoin de pédagogie et d’une culture renouvelée de la laïcité est primordial.

Abdennour BIDAR cite Daniel LENOIR (page 136), évoquant dans Témoignage chrétien que la laïcité est une chance pour les religions. Elle reconnaît la liberté religieuse, même pour les fidèles. Elle constitue « une sorte d’hygiène pour les religions, évitant de tomber dans l’obscurantisme ». Il cite également Delphine HORVILLEUR : « la laïcité est une forme de transcendance, une promesse de l’infini. »

D’où l’importance de faire l’effort « de s’approfondir pour s’illuminer du dedans ». (page 138)

Rien n’étant capable de contenir le sacré, le cœur de la démocratie est nécessairement une « temple vide ». Un type de temple se situant au-delà du sacré, accueillant le vide comme la transcendance absolue. Silence, recueillement, coupure entre le dehors du monde et le dedans… ce à quoi invite tout temple dans le monde. Le « vide » en son centre est séparé du « plein » de la Cité.

Accomplir une véritable « séparation laïque au niveau métaphysique et mystique » passera nécessairement par une « nouvelle alliance entre le spirituel et le politique », entre « le pouvoir temporel de la démocratie et le sacré essentiel, le sacré primordial du pur Secret ou Mystère ».

Et sinon, en pratique, comment cela se passera-t-il ? Abdennour BIDAR évoque un « exercice spirituel quotidien – méditation, recueillement, prière, à chacune et chacun d’en choisir librement la forme […] » afin de devenir des citoyens éclairés, faisant vivre cette « inspiration spirituelle » au sein d’assemblées locales et nationale. Mais nous n’en sommes aujourd’hui pas là… et la « profondeur métaphysique et mystique de la laïcité » reste à explorer.

L’ouvrage se termine par l’interrogation suivante « Vers une spiritualité laïque ? ». Ce chapitre constitue la perspective de mise en pratique de la laïcité « bidarienne » du point de vue personnel comme du point de vue collectif national. De son point de vue, la laïcité permet avant tout une recherche intérieure, personnelle. Si tel n’est pas le cas, la vie sociale et politique sera coupée de sources spirituelles. Elle est conçue comme un « lien indispensable à nouer entre intériorité et citoyenneté ». C’est donc à partir du travail intérieur seulement qu’on devient démocrate et qu’on fait vivre réellement la République. Le capitalisme débridé a fait l’inverse en ayant « centré le monde sur un homme décentré ». L’auteur nous invite à laïciser nos âmes, en se détachant de nos carcans intellectuels, psychologiques et métaphysiques, en commençant notre ego, dont l’ « élan vital […] vient de la qualité de ses liens à autrui, à la nature, au vivant […] ».

 

1-En lieu et place d’identité, Abdennour BIDAR parle de génie ou d’esprit, notions davantage dynamiques et moins figées, renvoyant à notre responsabilité en tant que nation : dépasser « la multiplication de nos fractures idéologiques » et « savoir nous perpétuer en nous réinventant, savoir accueillir nos mutations et tout ce qui nous traverse non pas comme autant de menaces mais comme des opportunités de régénération, un afflux de sang neuf dans les veines de notre vieux pays […]. » Le génie ou l’esprit français tient essentiellement à la laïcité.

2- Abdennour BIDAR cite (page 38) Jean-Baptiste de Foucauld (2010), rappelant les trois « non » de la culture démocratique : « le non «  d’une « culture de la résistance lorsqu’une situation est jugée injuste mais évitable, inadmissible mais susceptible d’être changée » ; « non » d’une « culture de la régulation » qui fixe les règles du vivre ensemble le plus juste possible […] ; le « non », enfin, d’une « culture de l’utopie » qui bouscule l’existant par sa radicalité créatrice née d’ « une espérance ineffable » ou du « sentiment profond qu’une réconciliation de l’homme avec lui-même et avec le monde est possible ».

3- La question sociale est directement liée à la question du communautarisme et du séparatisme, nous dit Abdennour BIDAR. Il pose d’ailleurs la question de savoir qui a commencé à se séparer de qui (page 42), en s’appuyant sur des propos de Jean-Paul DELAHAYE et en rappelant que les islamistes se nourrissent de la pauvreté et de l’abandon d’une partie de la population vivant dans des « zones d’exclusion ». Il rappelle ce que Jean Jaurès disait à propos des liens entre la laïcité et les conditions de vie quotidienne des citoyens : « la République française doit être laïque et sociale, mais restera laïque parce qu’elle aura su être sociale. »

4- Abdennour BIDAR se réfère ici à un article de Jean-Yves PRANCHERE de 2014, « La laïcité suppose-t-elle une théologie politique ? », disponible ici (gratuitement) :

https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2014-4-page-531.htm

A propos Régis Moreira

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