De quoi le COVID est-il le symptôme ?
Cette épidémie se produit à la suite de nombreux événements générant la désillusion concernant le progrès : les deux guerres mondiales, la stagnation après les trente glorieuses et maintenant le réchauffement climatique et les menaces sur la biodiversité.
Pour la première fois dans l’histoire des sciences et des techniques, un processus complet depuis la recherche, l’expérimentation, l’industrialisation et la diffusion s’est déroulé sous les yeux du grand public.
Au lieu de provoquer l’enthousiasme, il a généré de l’inquiétude face à ce processus très rapide par rapport aux étapes méthodologiques dans le domaine de la production des médicaments et des vaccins.
Cette inquiétude va au-delà de l’expression du refus sous prétexte qu’il n’y a pas assez de recul. Avec un tel comportement irrationnel, il n’y aurait jamais eu de généralisation des vaccins. Elle montre la défiance qui s’installe vis-à-vis de la démarche scientifique elle-même.
Cela est dû au manque de culture scientifique et technique, non seulement des “masses laborieuses » chères autrefois à Georges Marchais, mais aussi d’une grande partie des élites et particulièrement les élites politiques.
Cela explique le succès médiatique d’un robin des bois de la santé. Cette personne personnifie l’idéal type du narcisse transgressif. Transgressif, il ne l’est pas seulement par son look, mais par la remise en cause, contre ses pairs, du processus même de vérification expérimentale.
Une certaine partie du grand public continue à croire à la validité de son remède miracle ; particulièrement dans les régions où il y a une forte opposition au pouvoir central, symbole des élites, des experts, des sachants, des pouvoirs économiques qui mépriseraient le bon peuple.
Le développement de l’individualisme, du chacun sur soi, du narcissisme exacerbé par la publicité qui tend à s’opposer à l’éducation citoyenne, responsable et solidaire, en nous assignant de façon obsédante au simple rôle de consommateur, flatte cette attitude transgressive. Elle dénigre les experts, le savoir et les efforts qu’il faut opérer pour ne pas succomber aux infox, aux ‘fake news’. Le ressentiment se développe de façon confuse et insidieuse.
Or, notre société voit se développer l’usage d’objets techniques sophistiqués qui incorporent de plus en plus de savoirs, mais qui sont perçus comme des boîtes noires par la plupart des utilisateurs qui ne comprennent pas leur fonctionnement. C’est typiquement le cas des outils et des réseaux du numérique qui envahissent tous les aspects de notre vie.
Cette technicisation est particulièrement mal perçue dans le domaine de la santé qui préoccupe particulièrement à bon droit le grand public.
Le thème récurrent dans nos sociétés modernes du gouvernement par les experts, les sachants, ceux qui détiennent le vrai pouvoir, contribue fortement à la désaffection électorale des citoyens qui perçoivent de plus en plus la politique comme un théâtre d’ombre n’ayant aucun impact sur la vie personnelle.
Cette pandémie joue le rôle de révélateur, parmi d’autres, de cette désaffection citoyenne ; elle en est bien un des symptômes actuels.
Apporter un remède collectif à cette situation pour redynamiser une véritable démocratie participative nécessite un grand effort d’éducation.
Ce doit être le rôle en particulier des universités populaires, de l’université du bien commun et de toutes initiatives de ce genre. Cette éducation doit porter principalement sur l’éducation scientifique, pas seulement sur les sciences dures, mais aussi sur les sciences humaines et sociales.
Un philosophe des techniques peu connu, Gilbert Simondon, a montré l’importance de l’intégration des techniques dans la culture générale.
Ses émules, même au niveau mondial, forment encore un cercle trop restreint, particulièrement dans le cadre de l’école des Mines, en France.
Il s’est opposé au mépris des techniques, à leur approche par pure utilité comme l’a fait Heidegger qui a encore un fort impact dans le monde universitaire.
Cette opposition entre humanités et culture technique est particulièrement exacerbée en France. Elle freine le développement d’une société moderne épanouie.
Heureusement des mouvements comme ceux des humanités numériques tendent à corriger les travers de la culture française. Nos amis québécois y contribuent.
Les médias, les réseaux sociaux jouent aussi parfois un rôle positif, malgré leur caractère ambigu. C’est vrai pour la préservation de la biodiversité qui présente des recoupements avec la problématique posée par la pandémie.
Il est d’autant plus nécessaire de développer cette éducation populaire et démocratique aux sciences et aux techniques que d’autres phénomènes semblables vont apparaître.
C’est aussi nécessaire pour une acceptation démocratique qui ne soit pas vécue comme une contrainte mais appelle la participation de tous.
Tout ceci nécessite une profonde inflexion de nos sociétés consuméristes vers plus de sobriété. Ce message est de plus en plus compris mais ne se traduit pas encore concrètement.
Le développement démocratique de la compétence scientifique favorisera une orientation des investissements vers plus de recherche portant sur la préservation du vivant sous toutes ses formes.
Un espoir réside dans la jeunesse ; elle est non seulement mieux éduquée que ses aînés, plus à l’aise dans la maîtrise du numérique, mais la confrontation traditionnelle avec les aînés amène une critique salutaire, incarnée médiatiquement par une personne jeune qui exprime une indignation partagée.
Il ne faut donc pas céder aux lieux communs de la décadence et de la catastrophe, qui se répètent à chaque génération.
Il est encore possible d’agir en faisant preuve de volonté et de lucidité.
Yvon Rastetter