« Tout comme un cancer en croissance continuelle détruit les systèmes qui soutiennent la vie en détruisant son hôte, une économie en croissance continue détruit lentement son hôte, l’écosystème terre «. Lester Brown, « L’état de la planète » 1998.
Quels sont les accords qui créent une richesse obscène pour quelques-uns tout en appauvrissant progressivement le reste de l’humanité ? se demandent les auteures. Aussi proposent-elles une révolution cognitive et un éveil spirituel.
Leur réflexion part de la convergence de plusieurs courants : la souffrance éprouvée par de plus en plus de personnes à travers la planète pour sa propre survie, les découvertes fondamentales de la pensée scientifique : théorie quantique, astrophysique, biologie, théorie des systèmes (G.Bateson) ; la tradition des sagesses des peuples premiers, les voix mystiques des grandes religions …
Nous éprouvons que nous sommes des êtres vivants sur une terre vivante, dans un Univers Vivant. En dépit de nos conditionnements (2 siècles de société industrielle) nous voulons retrouver l’aspect sacré du monde. Nous constatons, à un autre niveau que l’apparent et le visible, l’interdépendance de tous les règnes, la présence de l’Esprit et de l’Intelligence dans la matière. Ainsi nous formons une communauté avec tous les êtres.
Si on se réfère aux traditions spirituelles : les auteures revendiquent l’inspiration de la théologie de la Libération, le bouddhisme engagé, avec le respect de la terre et la notion d’« Inter-être », la pensée hindoue (les vaches sacrées), l’hassidisme, le soufisme et le taoïsme. Egalement la renaissance des mouvements chamaniques, l’éco féminisme et l’éco justice (voir plus loin), enfin le mouvement décroissant.
Joanna Macy qui est à l’origine des séminaires qu’elle anime depuis de nombreuses années (1980), met les participants en situation d’honorer la douleur qu’ils éprouvent au sujet du devenir de notre planète. Il s’agit d’une douleur refoulée à la fois individuelle et collective. Nous souffrons en tant que membres d’un même corps, qu’il s’agisse des hommes, des animaux, des plantes ou du pillage de la terre. « Cette douleur est le prix de la conscience dans un monde menacé et souffrant » Car on constate un refoulement sociétal par rapport à cette souffrance. En effet les médias sont contrôlés par les entreprises destructrices qui ne voient que leur intérêt à court terme pour faire du profit à n’importe quel prix. « Les rigueurs économiques générées par la société de croissance mettent en pièce le tissu social et engendrent la violence, » que ce soit dans les pays dits riches ou dans les pays en développement. Notre société fabrique principalement des consommateurs matérialistes et souvent addictifs. Il s’agit d’une analgésie psychique entrainant fragmentation et aliénation. S’installe le syndrome du bouc émissaire : « C’est la faute aux migrants, aux chômeurs, aux SDF » …Sous prétexte de pragmatisme, d’adaptation à la réalité il nous faut nous adapter à la mondialisation économique, financière, technologique et les politiques nous proposent un discours populiste ou libéral comme s’il n’y avait pas d’alternative.
L’écologie profonde d’Arne Naess, philosophe norvégien, spécialiste de Gandhi (et alpiniste de surcroit) questionne les postulats fondamentaux de la société de croissance industrielle. (J.Macy a écrit un livre avec lui non traduit en français).
Avec l’Australien John Seed, il s’agit de penser comme une montagne, ou comme la forêt tropicale :« Je fais partie de la forêt tropicale et je me protège moi-même en la protégeant » Nous faisons partie de / nous sommes la terre/la nature. Il est question d’un Soi métaphysique/écologique
Autres courants inspirateurs du « Travail qui relie », (un des noms des séminaires de J.Macy) :
L’éco-féminisme : la guerre contre la nature s’inspire de la domination masculine bien antérieure à l’ère industrielle. Cette domination ancestrale a fait bon ménage avec le dualisme de la pensée, la réification du vivant, le divorce entre l’esprit et le corps, la logique et l’expérience. Ainsi Judy Bari, protectrice des séquoias dont la vie, qui fut en accord avec sa pensée, fut représentante de ce courant.
L’éco-justice s’intéresse aux questions raciales et aux problèmes de classes et de pauvreté. « L’ancienne division entre les défenseurs des droits sociaux et économiques et ceux de la nature ne tient plus. Leurs objectifs sont inséparablement liés et se renforcent mutuellement. Les dommages et la pollution causés par la société de croissance industrielle ont dégradé les humains tout autant que l’habitat. Les industries polluantes sont localisées et les déchets toxiques sont déversés là où habitent les populations pauvres et les gens de couleur. Les agriculteurs contaminés par les pesticides, les mineurs empoisonnés par l’uranium, les habitants des forêts dont le lieu de vie est rasé sont pour la plupart des gens de couleur. Leur origine ethnique et leur pauvreté en font des cibles faciles qu’une société pleine de préjugés néglige aisément ».
De même la psychologie classique a fait l’impasse sur notre séparation culturelle d’avec la nature, sauf sans doute dans la pensée de C.G.Jung, mais qui est restée un peu trop confidentielle. Rencontre féconde entre écologie et spiritualité.
L’éco-psychologie s’ouvre à cette dimension. Les séminaires de J.Macy permettent aux participants d’expérimenter toutes sortes de rencontres, de situations, d’émotions ; on y apprend l’écoute, les visualisations, la méditation, on y invente des rituels… Les 2/3 de l’ouvrage dont il est question proposent toutes sortes d’exercices de groupe extrêmement fructueux et efficaces, l’objectif étant de permettre aux personnes de ne plus se sentir impuissantes par rapport à l’ampleur des problèmes mais de devenir acteurs pour créer un autre monde soutenable. Je n’en fais pas la recension .Ceux qui sont intéressés pourront se référer à son ouvrage ou participer à un séminaire avec des animateurs ayant travaillé avec elle (Michel Maxime Egger, Claire Carré des « Roseaux dansants »…).
En effet, il me paraissait plus important de brosser à grandes lignes les fondements théoriques de l’ouvrage pour mettre en perspective la vision du monde de ce courant d’ « écologie profonde » qui, me semble-t-il, est appelé à prendre de plus en plus d’importance dans un monde en perte de repères.