I Lien entre crise sanitaire du COVID-19, destruction de l’environnement et changement climatique
« Nous ne pouvons interpréter ce qui nous arrive que comme une conséquence des destructions que nous avons infligées à la nature. Il y a un lien direct entre destruction de l’environnement, changement climatique et pandémies », souligne le philosophe Dominique Bourg[1], professeur honoraire à l’Université de Lausanne, ancien président du conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot. « Nous aurons d’autres pandémies, puisqu’on détruit les écosystèmes et l’habitat de certaines espèces. On sera beaucoup plus sujets aux maladies infectieuses vectorielles- transmises essentiellement par des insectes et des acariens, comme le paludisme. »
La pandémie de Covid-19 n’est sans doute pas d’origine climatique, même si nous n’avons pas encore de certitude sur les éventuels changements environnementaux qui auraient pu rapprocher les populations des animaux hôtes (chauve-souris et pangolin) de l’homme. Mais depuis une dizaine d’années, de nombreux scientifiques étudient les liens entre l’explosion des maladies virales, l’augmentation des zoonoses et la déforestation, dans les zones tropicales et en Amazonie notamment. Les interactions entre l’érosion de la biodiversité et le dérèglement climatique sont connues de longue date mais encore trop souvent traitées séparément, aussi bien dans le domaine de la recherche que des politiques publiques.
II Impacts du premier confinement lié à la crise du Covid 19 sur l’environnement :
Le confinement et la baisse de l’activité économique ont entraîné une baisse drastique d’une partie de la pollution atmosphérique, en particulier les dioxydes d’azote, de la pollution lumineuse et sonore, et le retour des animaux dans les villes désertées.
–Baisse drastique de la pollution atmosphérique, en particulier les dioxydes d’azote
En France, tous les laboratoires de mesure ont fait le même constat : le ralentissement de l’activité économique a entrainé une baisse des émissions d’oxydes d’azote (Nox), de 50 à 70 % depuis le début du confinement, et donc des effets bénéfiques pour la qualité de l’air.
En Chine, on a assisté à une chute spectaculaire des engorgements routiers et, directement liée à la réduction drastique des activités industrielles fortement dépendantes du charbon et du pétrole, à une quasi-disparition du dôme de pollution qui recouvrait habituellement les grandes métropoles et le nord-est du pays. A Venise, après quelques jours seulement de confinement, « l’air est pur, la lagune étale, l’eau limpide, cela n’est pas arrivé depuis des décennies », écrit l’écrivain Roberto Ferrucci, le 14 mars 2020 dans Le Monde.
– Baisse plus relative de la pollution lumineuse
La pollution lumineuse a des conséquences néfastes sur notre santé et sur la faune et la flore. Ainsi les lucioles, ces petits insectes qui s’illuminent la nuit, sont en déclin, tout comme certains poissons qui vivent près des récifs coralliens, où la surface des eaux marines est habituellement éclairée par les navires de croisière et les hôtels flottants. Avec la crise, des communes comme Cannes (Alpes-Maritimes) ont arrêté les décorations lumineuses et diminué l’intensité de l’éclairage public. A Paris, l’absence de traînées de condensation d’avions dans le ciel a permis à la capitale de connaitre enfin pendant le premier confinement de belles nuits étoilées.
– Baisse de la pollution sonore
Mesurée en en Ile-de-France par les stations de Bruitparif, elle a considérablement diminué elle aussi, en raison du fort ralentissement à la fois de l’activité économique, de la circulation routière, ferroviaire et aérienne (diminution de près de la moitié du trafic aérien dans le monde le 25 mars 2020 par rapport au 25 mars 2019 selon les données de Flightradar24).
« On peut imaginer que cette année, on ait moins de mortalité chez certaines espèces d’oiseaux par gain énergétique et puis une meilleure natalité par augmentation du succès reproducteur », explique Samuel Challéat, géographe et chercheur au CNRS. Plus d’insectes disponibles dans les parcs pour se nourrir et moins de stress dû à la pollution devraient permettre une meilleure survie des jeunes oiseaux.
-Le retour des animaux dans les rues désertes des villes
Depuis le début du confinement, en raison de la moindre présence humaine et de la forte diminution de la circulation automobile, la faune, habituellement très discrète dans les villes, a réoccupé les espaces non disponibles auparavant : hérissons, chauve-souris, à Paris : canards sur le périphérique, renards au jardin des Plantes, sangliers, dindes sauvages, pumas, voire caïmans dans d’autres métropoles mondiales. Ces animaux « s’aventurent plus profondément dans les villes parce qu’ils ne sont plus nourris. Ils ont moins de nourriture disponible, moins de détritus » selon Bruno David, paléontologue et président du Muséum national d’histoire naturelle. Mais pour les espèces menacées, les effets du confinement ne seront pas assez durables pour entrainer des changements significatifs d’une génération sur l’autre.
III La pollution de l’environnement, facteur aggravant des épidémies
Les bienfaits de la crise sanitaire sur l’environnement, en particulier de la baisse des émissions de CO2 se sont accompagnées cependant du maintien d’une pollution aux particules fines, les plus dangereuses pour la santé, dont les concentrations ont stagné et sont restées élevées, avec un pic de pollution observé fin mars 2020 en Ile de France et dans le Grand- Est, régions les plus touchées par le coronavirus. Or, ces particules fines, lorsqu’elles ne viennent pas de la pollution industrielle ou / et automobile, proviennent d’une autre source : les activités agricoles, en particulier les épandages qui ont débuté à cette période. Une étude de juillet 2021 a révélé l’usage répandu en Europe de pesticides soupçonnés d’être génotoxiques. Selon la Fédération Atmo France, qui étudie la qualité de l’air, « une exposition chronique à la pollution de l’air est un facteur aggravant des impacts sanitaires (mars 2020) ».
Ce lien entre la pollution et la propagation du virus est détaillé par le département d’épidémiologie de l’Inserm, après une étude de 2003 sur le lien entre la pollution de l’air et les cas létaux de SRAS -syndrome respiratoire aigü sévère -en Chine, confirmé par une nouvelle étude américaine sur la létalité du Covid pour des patients exposés pendant quinze à vingt ans aux particules fines PM2,5. Mais elle ne permet pas de trancher sur le rôle direct de la pollution ou sur des effets indirects, qui favoriseraient des maladies cardiovasculaires ou pulmonaires, facteurs d’augmentation du risque de mourir du virus. Ces deux effets s’exercent-ils en même temps ? En avril 2020, l’association Respire a déposé un référé-liberté devant le Conseil d’État pour réglementer les épandages agricoles et la pollution de l’air pendant toute la durée de la pandémie. Ce confinement brutal aura été un formidable révélateur de nos dysfonctionnements.
IV Quelles similitudes entre les deux crises-sanitaire et climatique- et quelles leçons à tirer de cette pandémie pour améliorer le futur climatique de notre planète ?
–La baisse de la pollution atmosphérique constatée pendant le premier confinement est purement conjoncturelle.
Elle est liée à l’arrêt forcé d’une grande partie des activités humaines, dans des conditions dramatiques et avec des conséquences sociales et économiques très lourdes. Depuis des décennies, la tendance globale est à la hausse des émissions de gaz à effet de serre. Selon le philosophe Dominique Bourg, « compte tenu de ce que nous avons déjà émis, l’augmentation de la température moyenne sur Terre sera de 2 degrés d’ici 2040 ». Si on voulait l’éviter, selon le Giec, il faudrait réduire au moins de moitié les émissions mondiales en dix ans. ». En juillet 2021, des pics de chaleur atteignant 51 degrés ont été enregistrés dans l’Ouest américain au climat habituellement tempéré.
-La pandémie de Covid 19 et la crise climatique présentent des similitudes
Edouard Bard, climatologue et professeur au Collège de France, voit dans cette épidémie « une répétition générale » de la propagation du réchauffement mondial prévu pour les prochaines décennies, avec les mêmes réactions individuelles et collectives face au risque et à l’adversité : réflexes d’incrédulité, de sidération ou de panique, et les mêmes effets, notamment un impact plus fort sur les plus pauvres à l’échelle internationale. Le rapport de la Fondation Mo Ibrahim, consacré à l’épidémie de Covid 19 depuis un an en Afrique, révèle que sur ce continent, la pauvreté extrême est en hausse pour la première fois en plus de vingt ans, avec une augmentation des violences et des émeutes, un arrêt de la scolarisation des filles. Moins de 2% de la population africaine est partiellement immunisée en juillet 2021, et on manque de tests, de vaccins, de lits d’hôpitaux et de personnel soignant pour lutter contre l’ensemble des fléaux qui ravagent le continent africain (malaria, tuberculose, VIH s’ajoutant au Covid 19). En Amérique du sud ou en Asie, les disparités concernant les chiffres de la vaccination sont également considérables d’un pays à l’autre : un peu plus de 20% des Indiens ont reçu une 1ère dose en juillet 2021 contre moins de 10% des Philippins et moins de 5% des Bangladais. On fait le même constat à l’échelon national et même local, les communes françaises les plus pauvres étant les plus touchées à la fois par le Covid 19 et par le manque d’accès à la vaccination. Disparités que l’on observe aussi pour le changement climatique
Les deux crises démontrent aussi clairement l’amplification des impacts régionaux par les déplacements humains et la mondialisation des échanges. Elles illustrent bien l’absolue nécessité de la concertation internationale et de la coopération pour une entraide médicale et économique, ainsi que pour trouver des solutions pérennes, vaccins et traitements curatifs, baisses des émissions de CO et transition vers une économie durable.
-Le bouleversement des équilibres écologiques et climatiques de la Terre remet en question le pacte entre croissance et démocratie fondé sur un implicite, la maîtrise de la nature comme ressource illimitée, selon le philosophe Pierre Charbonnier[2] l’un des rares à soutenir que l’idéal démocratique est compatible avec une remise en question profonde de notre modèle économique et de notre mode de vie. Sur des modes différents, ces deux catastrophes, pandémie et crise climatique, nous font entrer dans le monde des contraintes, des limites à nos voyages, à notre consommation, à nos productions. La crise a pointé les limites d’un marché alimentaire mondialisé et les liens entre alimentation et sécurité. Elle a mis en évidence les dépendances de notre alimentation et les efforts à accomplir en matière de relocalisation (qui ne reposeraient pas que sur une logique de marché) pour satisfaire nos besoins fondamentaux et faire face aux crises futures, sanitaires ou climatiques. En effet les GES issus de l’alimentation représentent 24 % de l’empreinte carbone de la France. Selon la Convention citoyenne pour le climat, réduire leur émission nécessiterait une modification des pratiques de tous les acteurs de la chaîne alimentaire (producteurs, industriels, distributeurs, consommateurs) pour garantir une alimentation saine, durable, moins animale et plus végétale, peu émettrice de GES et accessible à tous, en rendant efficiente la loi EGALIM5.
Mais beaucoup de changements dépendent de la politique européenne et des traités internationaux. Même si elle parait très insuffisante, la loi climat adoptée par l’UE en juin 2021 représente une avancée. Elle fixe l’objectif d’une baisse des émissions de GES de 55% en 2030 et la neutralité carbone en 2050 : fin des voitures thermiques en 2035, taxation des importations, agriculture plus verte ; le pacte vert pour l’Europe établit le programme et fixe une feuille de route dans les secteurs de l’industrie, des transports, l’énergie et la finance.
Adoptée par le Parlement français le 20 juillet 2021, la loi « Climat et Résilience » reprend une partie (seulement) des 146 propositions de la Convention citoyenne pour le climat sur la rénovation thermique des logements soumis à la location, les transports aériens « domestiques », l’interdiction d’implanter de nouveaux centres commerciaux sur des sols naturels ou agricoles, l’éducation à l’environnement et la restauration scolaire etc…
De son côté, la Chine qui émet environ un quart du CO2de la planète, a lancé en juillet 2021 un mécanisme national d’échanges de droits à polluer dans le secteur de l’énergie pour atteindre l’objectif auquel elle s’est engagée : la neutralité carbone… .d’ici 2060 !
Pour le sociologue Michel Wieviorka, la pandémie actuelle devrait encourager à accepter l’idée que la société, comme le monde, sont confrontés à des risques majeurs, certains causés par l’homme, mais pas tous – ou pas entièrement : accident nucléaire, tsunami, volcan dégageant de vastes quantités de poussière qui obscurcissent la planète et provoquent un refroidissement généralisé, crise financière, etc… Le principe de précaution devrait surtout consister à nous préparer à faire face à de telles menaces et à gérer une crise majeure. A apprendre à mobiliser dans les meilleurs délais ressources et compétences, tirer les leçons des épisodes antérieurs, envisager des formations civiques et éducatives.
[1] Une nouvelle terre. Pour une autre relation au monde, Desclée de Brouwer, 2018.
[2] Abondance et liberté, une histoire environnementale des idées politiques, La découverte, 2021.