EDITORIAL
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Paul Eluard, Poésie et vérité, 1942[1]
J’écris ton nom
Pour dire les forces de l’esprit nous n’avons que le pouvoir des mots. En n’oubliant pas bien sûr le silence. En n’oubliant pas non plus qu’en disant les idées force, les mots en disent aussi les côtés obscurs, la part d’ombre que chacune peut receler. Ce sont ces mots, forts et pauvres à la fois, que nous essayons d’écrire, au fil de nos lettres, au fil des échanges au sein de cette communauté d’espoir que constitue notre association.
« Laïcité, j’écris ton nom ». C’est ce que nous continuons à faire avec ce numéro où nous rendons compte de notre échange avec Jean-Louis Bianco et de l’initiative que nous avons prise d’un appel à la création d’une autorité indépendante pour succéder à l’Observatoire de la laïcité.
« Fraternité, j’écris ton nom »[2]. C’est ce que nous avons cherché à faire le 16 mai en célébrant la Journée internationale du vivre ensemble dans la paix. Nous reviendrons dans notre prochaine lettre sur ce mot, le troisième de notre devise républicaine.
« Liberté, j’écris ton nom », disait Paul Eluard en 1942. « Egalité, j’écris ton nom », avait ajouté dès 1789 la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, avant qu’en 1848 la République, deuxième du nom, leur adjoigne leur petite sœur « fraternité », adelphité qui les relie, pour éviter, autant que faire se peut, que parfois, comme au marché de Brive- la-Gaillarde, elles se crêpent le chignon.
« Démocratie, j’écris ton nom ». Même si, heureusement, les circonstances sont moins dramatiques qu’en 1942, il faut aujourd’hui, comme pour la liberté à l’époque, avoir foi et espérance dans les vertus de sagesse et de discernement de la délibération collective pour chanter ce chemin d’humanisation que constitue l’aspiration démocratique.
« Spiritualité, j’écris ton nom ». C’est, en ces moments dramatiques de notre histoire, il y a quatre-vingts ans, et au nom de la résistance spirituelle que certains se sont levés pour éviter que la France ne perde son âme[3], notamment dans l’antisémitisme d’Etat du régime de Vichy. Aujourd’hui c’est peut-être davantage d’un sursaut spirituel que de résistance qu’il est besoin, pour (r)animer la démocratie, la liberté, l’égalité, la fraternité, et la laïcité ; pour leur (re)donner leur âme.
C’est ce à quoi nous nous attacherons en tous cas à l’occasion de notre prochaine Université d’été, du 10 au 12 septembre à Lyon, en essayant d’écrire ensemble les mots pour le dire.
Daniel Lenoir,
président de Démocratie et Spiritualité
[1] « Liberté » in Au rendez-vous allemand (Les éditions de minuit, 1945)
[2] Patrick Viveret, Fraternité, j’écris ton nom (Les liens qui libèrent, 2015)
[3] France, prends garde de perdre ton âme est le titre du premier numéro des Cahiers du témoignage chrétien, publié à Lyon en novembre 1941, dont TC célébrera à l’automne le 80ème anniversaire.