Agnès Antoine
Avec Geneviève, c’est une personne d’exception qui disparaît et le monde s’en trouve appauvri. Je l’ai connue lors des débuts de « Démocratie & Spiritualité » et une très belle et profonde amitié s’était instaurée entre nous en dépit de notre différence de génération. Et c’est d’abord cette amie de longue date, devenue presque comme un membre de ma famille, dont je ressens douloureusement la perte aujourd’hui. Geneviève avait traversé des épreuves difficiles dans sa vie, qui, loin de fermer son cœur, l’avaient au contraire creusé pour accueillir la souffrance des autres, entre autres en exerçant avec passion la méthode Vittoz qui l’avait elle-même ressuscitée. Elle nous laisse beaucoup de textes écrits qui témoignent de sa « petite voie » spirituelle si personnelle et qui, dans leur prose poétique, intense et singulière, font entendre sa petite voix inimitable. J’espère pouvoir lui rendre plus longuement hommage lorsque, sortis de cette période folle qui a eu raison d’elle, nous pourrons vivre à nouveau en humains et nous réunir autour de son souvenir. Malgré la tristesse de son départ je me réjouis profondément d’avoir eu la chance de la rencontrer, de tous les échanges qui nous ont fait grandir mutuellement et de pouvoir la garder bien vivante dans mon coeur.
Anne-Sophie Boutry
Sa plume s’arrête aujourd’hui 30 avril de plonger dans l’encre de la vie. « C’est fini, murmure -t-elle, vous m’entendez ? Fini. A 94 ans, je m’envole. Petit Jésus, vite s’il vous plait. Qu’attendez-vous ? »
A quelques lieues de là, j’entends les derniers tressaillements d’une femme, un peu trouée, plate, vibrante comme une herbe au printemps. Son long bras perfusé repose sur le lit blanc. Un filet d’air coule en elle jusqu’à moi.
« En fin de parcours, nous les plumes ne sommes plus que l’ombre de nous-mêmes : une pâleur de lune. » Elle me glisse cette phrase impérieuse en pleine nuit. Je me lève, obéis à un ordre secret, retrouve ses textes au salon. Son écriture se déroule toute en hauteur, sans réelle rondeur, légère, grisée : elle effleure la feuille de papier d’une fine trace, comme une danseuse offrant un dernier tour de piste sur la pointe des pieds.
Qu’aura -t-elle imprimé en moi ? Je lis :
- « J’ai souvenir du jeu de cerf-volant, inventé, paraît-il, par les anciens chinois. Jeu symbolisant les mouvements de l’âme qui va et vient au gré du souffle de l’imaginaire. Le cerf-volant, retenu par une corde, revient toujours là où la main le veut, à moins que la corde ne casse ! Alors, « on perd la tête », la conscience est livrée au délire.
Quelle liberté que de pouvoir laisser aller ses pensées, ses désirs, ses rêves, ses regrets parfois ou même ses remords, en demeurant capable de revenir au centre rassurant de soi-même ! »
Ses mots, d’autres encore, donnent un goût d’encre dans la bouche mêlée de miel et je rebondis. N’est-ce pas en sortant du sillon, en accueillant un certain délire, que l’on devient créatif ? Que ferions-nous sans inconnu devant nous ?
La lecture se poursuit :
- « A l’inverse du bébé nouveau-né, je suis et resterai une mémoire de vie, peut-être maladroite à se dire mais fidèle richesse du oui de chaque jour, du oui de chaque soir, pour les peurs dépassées et la paix restaurée, quotidienne cueillette des joies, des sourires, des lueurs, petite fleur chaque soir égayant la conscience, puis enfin le bouquet sans doute bien fané, au très léger parfum touchant le cœur d’autrui… si peu, un presque rien dans un cœur dépouillé, dans un corps impuissant, réduit à l’abandon. »
La femme de plume tremble en cet ultime instant, je le sais, je le sens, un cerf-volant lâche les amarres, des larmes butinent les fleurs qu’elle aime tant, le papillon poursuit son trajet hors du temps.
Il est tôt. L’horizon barre le ciel d’un trait avant qu’une flamme ne bascule l’obscurité : l’amorce en couleur de la matinée. La voix haut perchée de Geneviève s’éteint. Sa parole, des graines à germer, à grandir, à bien vieillir portent fruits. Elles ensemencent aujourd’hui mon être, tout comme ses écrits. Je revois sa main de marbre bleuté. Vient l’heure du recueillement. Faire donc place nette au salon, ranger les souvenirs de mon amie pour ne pas les disperser, ici dans ce dossier qu’à nouveau je rouvrirai, un signe s’imposera. Un billet chute de la table. Je m’agenouille pour lire un message venu de si loin, celui de l’ange sur le point d’accueillir Geneviève, peut-être :
- Chaque pensée que tu m’adresses est un fil très fin.
Fin, léger comme un souffle,
Et pourtant contrepoids aux mille et une cordes
Par lesquelles la terre t’attire vers le bas. (1)
Je me relève, m’étire de bas en haut, pointe le ciel, m’ancre sur le tapis, demande ensuite au jour naissant de m’accueillir comme une maman qui m’aiderait à tourner une page. Puis ouvrir l’oreille vers le jamais entendu avant de poursuivre la lecture d’un livre sacré, celui que Geneviève m’aura aidé, pas à pas, à déchiffrer. En trébuchant, en cheminant…
- Dialogues avec L’ange. Entretien 15 avec Lili
Marie-Pierre Bovy
Je la revois dans mon souvenir avec une grâce fraîche et fragile mais très déterminée… Un doux parler très riche d’expériences et de quête de liberté et de vérité. Je rends grâce à Dieu pour son amitié qui, avec celle de vous tous, nous a soutenus mon mari Pierrot Bovy et moi au début de notre séjour à Mazille (fin 97/ début 98…) jusqu’à son décès en début 99. Puis j’ai retrouvé Geneviève de temps en temps à Paris dans l’amitié partagée avec Agnès Antoine.
Marie-France Brugvin-Carenzo
Je commence à écrire une réponse évoquant la présence lumineuse de Geneviève, incarnant pour moi la pertinence et la cohérence – avec qui elle était – de la méthode Vittoz. Nous venons de perdre des amis d’un certain âge pour d’autres raisons que le virus en cours qui vient d’en toucher quelques-uns non loin de nous. Nos fragilités sont là et les paroles de Geneviève aident à nous tenir confiants.
Madeleine Cord
Geneviève a été et restera pour moi une belle, une grande dame, lumineuse.
Nous avons cheminé ensemble plusieurs années dans l’accompagnement des chercheurs d’emploi à SNC qui souhaitaient être aidés psychologiquement. La méthode Vittoz, pour laquelle elle s’était formée, s’est révélée très pertinente et aidante pour celles et ceux, venant de SNC, qu’elle recevait.
Elle m’écrivait en 2014 un très beau texte « Le berceau » dont voici quelques extraits : « De diminution en diminution, de dépendance en dépendance, me voici donc contrainte à l’aventure inverse de la vie. De qui donc suis-je enceinte ? Qui de moi veut grandir en mon humanité charnellement dépassée ? Tu n’es pas seule, tu redeviens semence, disparaissant aux yeux du monde ; en toi s’accomplit l’invisible. Néanmoins n’oublie pas : ni le jour ni l’heure tu ne pourras connaître. Alors en humble tâche, entretiens le berceau. «
Michelle Duclos
Geneviève m’avait offert ce texte à l’occasion de l’un de nos échanges chez elle et de l’un de nos sujets ce jour-là autour de la finitude. Je l’avais gardé précieusement pour « en faire mon miel » tant la force de sa pensée, ses talents s’y révèlent. Dans la perspective de ma visite à la fin du confinement le 11 mai, je prévoyais de lui adresser auparavant un courrier dans l’idée d’y joindre l’un de ses écrits. J’avais choisi celui, si brillant, intitulé « Le défunt » pour échanger à nouveau. Si apprendre son décès m’a émue, je reste en compagnie de la belle personne qu’était pour moi Geneviève ; gratitude pour tout ce qu’elle m’a transmis, joie profonde de l’avoir connue.
Jean-Baptiste de Foucauld
Geneviève était vraiment exquise après un difficile chemin. Elle a beaucoup apporté à DS à une certaine époque en parlant de son itinéraire et de la méthode Vittoz. Elle avait un contact qui soutenait.
Gérard Gigand
Geneviève, la plus jeune des dames âgées que j’aie pu connaître, laissera un sillage d’affection dans le coeur de beaucoup d’entre nous.
Véronique Gigand
Nous pensions souvent à Geneviève même si nous ne nous étions pas vues depuis longtemps. Une belle personnalité.
Bernard Ginisty
Geneviève, si dynamique et lumineuse, m’a toujours impressionné par sa lucidité, sa force d’âme et sa modestie. Elle a été, pour moi, une personne essentielle dans l’histoire de D&S.
Françoise Gourion
Ce qui me touchait en Geneviève, c’était sa volonté, son désir de vie envers et contre tout.
Je me souviens particulièrement d’un séjour en Savoie où elle m’avait rejointe ; elle grimpait, gambadait dans la montagne. Je n’en revenais pas de sa souplesse et de sa résistance (“vu mon grand âge”, avait-elle tendance à répéter). Son corps, ses yeux rieurs, son rire, ses paroles exprimaient son émerveillement de la nature, son amitié et sa gratitude d’être là.
Je me souviens aussi d’Hermanville où je l’avais rejointe, de cette plage à perte de vue qu’elle aimait et particulièrement d’une longue promenade où nous affrontions avec vigueur le vent et les embruns qui nous fouettaient le visage. Là aussi elle exprimait son bonheur d’être là.
Odile Guillaud
Derrière une apparence discrète et fragile Geneviève était une forte personnalité. La qualité, l’authenticité, la sensibilité de ses interventions ne pouvaient laisser indifférent. Nous l’avons beaucoup aimée.
Voici ce que je lui écrivais pour ses 90 ans :
Il y a quelques 25 ans que nous nous connaissons !
Mais tu ne t’es pas dévoilée tout de suite : à Saint Merry, on voyait une bien jolie « vieille dame » si fine, si distinguée, si sage en apparence !
Et puis, un soir, chez toi, je vois encore la scène, tu nous racontes ton histoire… Et nous voilà sidérés, et notre regard change, et grandit notre admiration !
Oui, Geneviève, tu avais eu le courage de rompre avec une société sclérosante, de quitter Pharaon, ses pompes et ses œuvres…
Pour te retrouver toi-même, pour vivre enfin.
Mais ce ne fut pas si facile, tu parles même de la traversée du désert et tu te plais à évoquer les rencontres, les amitiés qui t’ont sauvée. Citons aussi la méthode Vittoz que tu transmets si bien aux autres vers plus de confiance et de sérénité.
Et depuis tu ne cesses de nous étonner, de nous appeler, nous aussi, à l’authenticité de nos choix, de nous insuffler ta force de vie.
Un peu plus tard, j’ai eu l’occasion de te parler de « Démocratie & Spiritualité ». Ce lien entre la vie politique et sociale d’une part et la spiritualité d’autre part, leur mutuelle fécondation : voilà de quoi séduire notre vibrante Geneviève !
Et nous cheminons ensemble, au gré des célébrations de Saint Merry, des rencontres au sein des groupes de Carême…
Merci, Geneviève, de l’affection dont tu m’entoures, du soutien que tu nous apportes dans l’épreuve que nous vivons maintenant : cette dure maladie neurologique qui atteint Gilles depuis une bonne année.
Tu nous dis que tu vieillis, que tu as du mal à vieillir : on veut bien te croire, mais comme tu sais bien en parler, de ce grand âge que tu portes si joliment.
Et tu n’hésites pas, encore dimanche dernier, à prendre le micro pour nous signaler ce beau livre d’Abdennour Bidar : « plaidoyer pour la fraternité ».
Oui, Geneviève, cette fraternité, tu sais la faire vivre autour de toi !
Joyeux anniversaire, chère Geneviève ! Quel bonheur et quelle chance de t’avoir comme amie !
Anne Guillot
Geneviève était ma grande sœur spirituelle.
Marie-José Jauze
J’ai connu Geneviève dans les débuts de D&S puis de nouveau dans la courte période de notre groupe « Femmes ».
Paula Kasparian
La mémoire de Geneviève nous rappelle le lien qui nous a unis aux débuts de D&S et qui, sans doute, continue de nous unir dans la diversité de nos engagements actuels. Amitié, Paix et Force à vous tous pour contribuer à bâtir, chacun à sa façon, le monde qui vient. En espérant que ce lien retrouvé soit l’augure d’un avenir renouvelé, œuvrant chacun en synergie (visible ou invisible) avec les autres, sur la base de ce qui nous a reliés à un moment donné et qui demeure.
Danielle Mérian
Geneviève Esmenjaud nous a quittés jeudi matin 30 avril 2020, « tranquillement » nous dit sa fille. Depuis quelques temps très handicapée, elle aspirait à mourir. La voilà exaucée. Mais nous, nous la pleurons.
Daniel Duigou, qui a préfacé le livre poignant qu’elle a écrit en fin de vie, Je suis née une seconde fois ( chez Pygmalion ), m’écrit : « Une femme si sensible, si intelligente… bouleversé. Je remercie le ciel de m’avoir permis de rencontrer de telles figures en venant à Saint-Merry. Une grâce. » Oui ce fut une grâce d’avoir avec nous Geneviève. Elle a commencé sa vie dans notre Communauté en 1977 avec Xavier de Chalendar, qui l’a abondamment sollicitée pour des articles dans « Aujourd’hui des Chrétiens ». Elle n’a jamais cessé de nous donner de beaux textes qu’on trouve sur notre site, dont le dernier « Le défunt », un testament ?
Nous lui devons tous beaucoup. Elle a soigné beaucoup d’entre nous avec la méthode Vittoz qui l’a elle-même sauvée quand elle a décidé à 50 ans de devenir une femme libre, de ressusciter. Oui cette belle âme est pour jamais une figure de notre Communauté. Merci Geneviève d’avoir été celle que tu as été. Tu t’es acquittée de la vie, la vie en abondance. Maintenant nous comptons sur toi pour nous donner un coup de main dans nos passages difficiles. Tous nous t’admirons et nous t’aimons et nous rendons grâce à Dieu de t’avoir connue.
Gerardo Ramos
Je veux rendre hommage à Geneviève Esmenjaud qui a été la première, parmi les membres de la communauté de Saint-Merry, à se joindre à la prière organisée par l’association David et Jonathan, lorsque celle-ci a été accueillie officiellement par décision de l’Équipe pastorale d’alors. Geneviève ne s’est pas contentée de rester au fond du chœur en observatrice distante, elle s’est rapprochée de nous pour nous parler, nous rencontrer, nous accueillir. C’est elle qui nous a fait sentir accueillis par ses mots, son attitude généreuse. Depuis, d’autres sont venus à cette prière du 2e vendredi — qui fait partie à part entière des rendez-vous de la communauté — comme Jacqueline C., devenue une habituée. L’intégration de David et Jonathan à Saint-Merry a fait son chemin, même si certains préjugés gardent la peau dure. Merci, Geneviève, de ta générosité ! Entre dans le repos et cette vie éternelle pour laquelle tu t’es si bien préparée !
François Réfrégiers
Geneviève m’a beaucoup apporté depuis plus de trente ans en Vittoz, en amitié et partage spirituel.
Gérard Rouzier
Pour écrire ces quelques lignes en hommage à Geneviève, d’abord, m’asseoir lentement sur la chaise, porter mon attention sur les points de contact entre mon corps et le siège, entre mes pieds et le sol.
Me tenir droit, sans raideur, sans relâchement excessif. Respirer tranquillement, en observant le mouvement de cette respiration. Me poser. Prendre le stylo, attentif au contact, lisse, doux, tiède.
Commencer à tracer les lettres lentement, attentif aux courbes, aux droites, aux mouvements du poignet et à la légère tension entre le pouce, l’index et le majeur qui me fait tenir le stylo.
Tracer les lettres. G, E, N, E, V, I, E, V, E.
Me voilà déjà plus calme, plus centré, plus présent.
Le visage de Geneviève apparait sur la feuille et les lettres qui composent son nom.
Sa voix résonne à mes oreilles.
Je la revois, me montrant comment me rendre en marche consciente du fauteuil de son salon jusqu’à l’entrée, puis revenir.
Je suis présent.
Je revois Geneviève, lors d’un stage où cette fois c’était moi l’animateur et elle qui participait. Un élève a eu un léger malaise pendant un exercice. Geneviève lui propose de faire quelques pas avec elle. Je les laisse s’éloigner.
Quelques instants plus tard, par la fenêtre, je les vois respirer des fleurs, dans le jardin. Geneviève montre les fleurs, les effleure, et Pierre se penche vers les fleurs, les observe, les effleure à son tour, les sent.
L’image est jolie, douce, émouvante.
Merci, Merci, Merci Geneviève pour tout le bien que tu as fait, tout ce que tu as apporté à des centaines d’hommes, de femmes, d’enfants, pendant des dizaines d’années.
Le Père t’a enfin rappelée, toi qui attendais cela avec tant d’impatience depuis que tu ne pouvais plus continuer à donner “le Vittoz”.
Tu reposes en paix, et maintenant, un peu en avance sur nous qui restons ici-bas pour quelques temps encore, tu sais.
Tout est bien.
Merci à toi.
Patrice Sauvage
Présence si dynamique et lumineuse que celle de Geneviève qui était la doyenne de D&S avec Aude Fonquernie. Après avoir quitté vers 60 ans son mari qui l’humiliait et la méprisait elle s’était lancée avec ardeur dans la démarche Vittoz et avait ainsi réussi à se reconstruire. Merci, Geneviève, de nous avoir partagé avec tant de sincérité la foi et l’espérance qui te faisaient vivre.