Faut-il laisser certaines églises se transformer en mosquées ? Dalil Boubakeur fait cette proposition dans son livre Lettre ouverte aux Français, sorti au mois de juin. Le tollé qu’elle a provoqué est l’occasion de faire un point plus serein.
Il existe aujourd’hui 45 000 églises catholiques, dont 38 000 sont toujours légalement affectées au culte, mais aussi 4 000 lieux de culte protestants, 420 synagogues, 150 églises orthodoxes, 2 450 mosquées (plus 300 en construction) et environ 380 lieux de culte bouddhistes.
Cette situation pose bien évidemment problème pour deux raisons principales :
- On estime aujourd’hui, à partir de sources diverses et avec encore une certaine approximation, qu’il existe un peu moins de 3 millions et demi de catholiques pratiquants [1], pour environ deux millions de musulmans pratiquants. C’est-à-dire seulement une fois et demie de plus, pour 14 fois plus d’édifices cultuels. Il manque des mosquées en France, c’est évident.
- S’ajoute à cela le fait que seules les églises sont entretenues par les communes et les cathédrales par l’État, avec donc une charge financière qui dépasse les capacités des collectivités dans bien des cas. Les autres édifices cultuels sont à la charge des propriétaires pour la construction et l’entretien.
La question financière débouche sur une interrogation de principe sur la loi de 1905. Pour les uns, celle ci doit traduire la neutralité absolue de la République ; pour d’autres l’État doit garantir un exercice effectif de la religion, et donc le cas échéant aider à la construction de lieux de culte. Au grand désespoir de certains juristes, le Conseil d’État et le Conseil Constitutionnel semblent partager cette seconde approche [2].
Il faut également mentionner deux cas particuliers : celui des synagogues en Alsace, historiquement présentes dans chaque petite ville et que le Consistoire ne peut plus entretenir ; celui du refus implicite d’ouvrir les églises catholiques aux orthodoxes.
Pour en revenir au culte musulman, beaucoup d’élus, sous la pression électorale bien souvent, ont cherché à contourner l’interdiction de subventionnement pour aider la construction d’une mosquée sur leur territoire.
Ces contournements ont pris trois formes : la garantie des emprunts contractés par les associations religieuses, l’octroi de subventions pour financer la construction des parties «culturelles» des édifices cultuels (bibliothèques, salles de lecture), la mise à disposition des terrains constructibles par la conclusion de baux emphytéotiques administratifs cultuels [3].
Un très récent rapport sénatorial pointe des « dérives » dont les conséquences sont de moins en moins acceptées par nos compatriotes : manque de transparence sur l’origine des autres financements, en particulier des pays du golfe, vus comme le cheval de Troie de l’intégrisme ; clandestinité de certains lieux…
Pour autant les élus n’utilisent que rarement la voie du déclassement de leurs d’églises [4], et une seule fois, à Graulhet, pour une transformation en mosquée [5]. Lorsqu’il est prononcé, il débouche la plupart du temps sur la vente des édifices ou leur reconversion en lieu culturel, et non sur leur destruction (depuis le 1er janvier 2000, seulement 19 églises ont été démolies en France). Ce n’est pas le cas par exemple au Royaume-Uni où, entre 1969 et 2011, l’Église anglicane a fermé 1 872 églises.
On voit là les limites de la position des élus qui, tout en contournant la loi de 1905, se déclarent à la quasi unanimité (97% selon l’étude TNS Sofres annexée au rapport du sénateur Maurey du 15 mars 2015) hostiles à la construction de nouveaux lieux de culte, mosquées ou églises évangéliques, ou à leur cession au profit d’autres cultes.
C’est que, chez les Français, y compris non pratiquants ou même sans convictions religieuses, persiste le sentiment d’une identité de la France liée au catholicisme ou à la chrétienté, incarnée par les églises qui jalonnent l’histoire et le territoire. Ces derniers seraient 67 % à s’opposer à ce que les églises vides deviennent des lieux de culte musulmans, selon un sondage IFOP pour Valeurs actuelles. On aurait tort de se moquer de cette attitude.
En définitive on voit bien que le débat sur la transformation d’églises en mosquées est une mauvaise réponse, un raccourci facile, qui ravit certains « laicistes » car il heurte de manière polémique les convictions des croyants catholiques ou musulmans, mais qui se révèle l’œuvre d’apprentis sorciers qui n’avaient pas mesuré la portée de leurs propositions : aussitôt instrumentalisé par les politiques, Nicolas Sarkozy en tête signant la pétition « touche pas à mon église », il a provoqué des réactions ambiguës de la hiérarchie catholique. Certes une église vide à vocation à redevenir pleine, mais il est évidemment illusoire de penser que cela puisse être le cas des 38 000 édifices dans un avenir proche. De plus en plus de lieux de culte vont se retrouver dans les fichiers d’agents immobiliers, c’est certain.
De toutes manières la montée en puissance de DAESH semble reléguer au second plan la question posée par D Boubakeur. Quel élu prendrait le risque de la transformation de son église dans le contexte terroriste actuel ?
Démocratie et Spiritualité doit-il pour autant se désintéresser de la question initiale ? Sans doute non.
Le cas d’une chapelle ou d’une église désaffectée dont une communauté musulmane solliciterait l’usage auprès des autorités religieuses et communales peut à nouveau se produire dans les années qui viennent.
A Bussy St Georges les lieux de culte catholiques, bouddhistes, musulmans et juifs se côtoient sans difficulté, comme dans le quartier de Javel à Paris. Si les parties sont dans un esprit de respect mutuel, résultat par exemple de liens anciens, la cession ou le prêt pourraient intervenir, sous certaines conditions.
Parmi celles-ci, l’exigence d’un dialogue inter religieux, qui pourrait par exemple se concrétiser par une réflexion partagée sur les personnages communs aux trois religions, patriarches ou prophètes. Un conseil avec des représentants des communautés et de la collectivité devrait être constitué et pourrait être saisi à la demande d’une des parties.
[2] Le Conseil d’État (arrêt du 19 juillet 2011, Mme Vayssière) et le Conseil constitutionnel (QPC du 21 février 2013, décision n°2012-297) ont «assoupli» la règle de non subventionnement des cultes au motif qu’elle aurait connu trop de dérogations pour avoir valeur constitutionnelle. Les Hautes juridictions ont jugé que l’obligation de neutralité religieuse de l’État était un accessoire du principe constitutionnel de laïcité et qu’il incombait avant tout aux autorités publiques de garantir la liberté de religion, y compris en soutenant éventuellement la construction de nouveaux lieux de culte pour compenser les difficultés financières d’une communauté religieuse.
[3] Sur 190 lieux de culte musulmans en chantier (ou inaugurés depuis 2011), on constate que 114 projets ont été rendus possibles grâce à la cession d’un terrain municipal Ainsi le projet de grande mosquée de Tours a-t-il débuté grâce à une vente de terrain à un prix dérisoire (7,5 €/m2) et une promesse de subvention «culturelle» à hauteur de 2,5 millions d’euros
[4] Légal lorsqu’elles peuvent être considérées comme désaffectées, sous le contrôle du juge administratif assez strict en pratique.
[5] Je mets à part les deux exemples de prêts d’une chapelle, l’un par les sœurs de St Joseph à Clermont Ferrand – qui est achevé- et l’autre – en cours- à Lille. Dans les deux cas le lieu était la propriété de la communauté et non de la mairie.